Centre de séjour surveillé d'Aincourt

Légende :

Vue générale du centre de séjour surveillé (CSS) d'AIncourt (Seine-et-Oise, Val d'Oise actuel).

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © Coll. Fondation de la Résistance, don Jean Hulin Droits réservés

Détails techniques :

Photographie analogique en noir et blanc

Date document : 1940

Lieu : France - Ile-de-France - Val-d'Oise - Aincourt

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Contexte historique

Situé à une dizaine de kilomètres au Nord de Mantes (Yvelines, ex-Seine-et-Oise), le sanatorium d’Aincourt fut inauguré en 1937. Il avait alors été conçu pour soigner 150 malades atteints de tuberculose.
En 1939, le sanatorium est réquisitionné par les autorités militaires. Utilisé tout d’abord comme Ecole d’instruction pour la Police d’Etat de Seine-et-Oise, des éléments d’une Panzerdivision y ont été cantonnés lors de l’invasion de la France. A partir d’octobre 1940, le sanatorium devient un « centre de séjour surveillé » où peuvent être internés tous individus désignés par le Préfet, « sans enquête ni jugement », considérés comme suspects ou dangereux pour la défense nationale. 
Dans une note non datée, le Préfet de Seine-et-Oise explique pourquoi Aincourt a été choisi pour établir ce CSS : « En choisissant le Sanatorium Départemental d’Aincourt pour en faire le lieu de résidence forcée des individus dangereux pour la Sécurité Publique, on a cherché à obvier aux inconvénients sérieux qui étaient résultés, en juin 1939, de la création des centres d’internement de Baillet et de Saint-Benoît. Tant à Baillet qu’à St-Benoît, les locaux utilisés ne répondaient que très imparfaitement à leur destination. Leur aménagement trop rudimentaire, leur manque de commodités et d’hygiène, avaient donné lieu à des critiques et avaient occasionné des incidents divers. D’autre part, ces deux centres de rassemblement, situés à proximité de la région parisienne et desservis par des stations de chemin de fer, avaient permis un afflux considérable de visiteurs à leurs abords et avaient rendu particulièrement difficiles la surveillance et l’isolement des individus internés. Le sanatorium d’Aincourt obvie à tous ces inconvénients. Les bâtiments pourront en effet détenir dans des conditions excellentes d’hygiène, de commodité et de surveillance un nombre important de détenus. L’accès au sanatorium, distant de Paris de 70 Km et dont la gare la plus proche est à 12 Km, est particulièrement difficile et onéreux. Son éloignement de la Région parisienne et les difficultés ferroviaires permettront d’éviter un défilé continuel de parents et de camarades, source d’incidents parfois sérieux. L’isolement du camp d’internement présente toutes les garanties désirables. »

Le 5 octobre 1940 et les jours suivants, des centaines de communistes de la région parisienne sont conduits à Aincourt, en application du décret-loi du 18 novembre 1939. Parmi les internés figurent huit députés, cinq conseillers généraux, trois maires, 40 conseillers municipaux de la Seine puis des élus de Seine-et-Oise et des militants de base. On compte à Aincourt 524 internés en décembre 1940 et 600 en janvier 1941.
Entre octobre 1940 et décembre 1941, 490 internés venaient du département de la Seine, 606 de la Seine-et-Oise, 49 de Seine-et-Marne et 12 du Finistère (à partir de mars 1941). La grosse majorité des prisonniers venait de la « banlieue rouge ». Ainsi, les villes les plus représentées à Aincourt sont celles où le PC déploie le plus d’activité, à savoir Argenteuil, Aulnay-sous-Bois, Blanc-Mesnil, Villeneuve-saint-Georges, Gennevilliers, Drancy et Fresnes. Les élus y sont nombreux : 34 pour la Seine dont les maires de Gennevilliers, Villejuif, Noisy-le-Sec, trois conseillers municipaux de Paris, cinq conseillers généraux, deux députés Fernand Grenier et Charles Michels) ; 116 pour la Seine-et-Oise, dont les maires de Bois-d’Arcy, des Clayes-sous-Bois, de Montfermeil, Viry-Chatillon, quatre conseillers d’arrondissement, 25 maires adjoints et deux députés (Pierre Dadot et Jean Duclos). Au plan socioprofessionnel, la quasi-totalité des internés appartient au monde ouvrier et plus particulièrement de la métallurgie.
L’encadrement du camp est assuré par des gendarmes français. Le directeur du camp, le commissaire de police Andrey, responsable auparavant des camps de Baillet et de Saint-Benoît, assure une discipline plus sévère qu’à Chateaubriand ou Compiègne : pas de visite, ni livre, ni journal provenant de l’extérieur, punitions inspirées des règlements de prison, vie quotidienne rythmée par le sifflet et la mise en rang. Les premières visites n’ont lieu qu’à Noël 1940 et en juin 1941 pour les internés de la Seine. Le Directeur du camp utilise des « droits communs » criminels ou internés pour prostitution ou marché noir, pour épier les résistants. Il désigné lui-même des otages, dont il transmet les listes à la Feldkommandantur de Saint-Cloud.

Malgré le règlement draconien, des cellules clandestines du PC parviennent à s’organiser au sein du camp. Dans un rapport du 13 février 1941, le directeur signale au Préfet qu’ « il y a au centre des réunions clandestines d’internés par profession et par localité. Les internés d’Aulnay-sous-Bois et de Montreuil se réunissent tous les jours, pendant le temps libre à un endroit fixé la veille et qui change quotidiennement. » Pour les anniversaires de la révolution d’octobre, du 9 février 1934, de la Commune, les internés boivent ostensiblement un verre de vin. La cellule réussit même à faire circuler un journal clandestin, L’Interné d’Aincourt, écrit à la main et recopié (notamment par Pierre Moalic, secrétaire adjoint du syndicat CGTU de l’enseignement du Finistère). Le 4 décembre 1940, le Préfet ordonne le transfert à à la centrale de Fontevrault (Maine-et-Loire) des 100 internés les plus dangereux.

Le 5 avril 1941, environ 200 hommes refusent de descendre au travail vraisemblablement en signe de protestation contre la nomination en qualité d’ambassadeur à Moscou, de M. Bergery, député de Seine-et-Oise, considéré par les communistes comme l’un de leurs adversaires les plus acharnés. Après plusieurs sommations du directeur, 51 d’entre eux poursuivent leur refus. Punis, ils sont mis à l’isolement au pain sec et à l’eau. Le lendemain matin, dimanche 6 avril, un mouvement général de grève de la faim s’étend à tout le centre, à titre de sympathie envers les punis. Pour éviter une propagation de l’agitation, ceux-ci sont envoyés le jour-même à la Centrale de Poissy.

En 1941, le Parti Ouvrier et Paysan Français (POPF) fondé par Marcel Gitton, ancien secrétaire du PC, constitue également une cellule au sein du centre avec l’appui du directeur du camp pour défier l’hégémonie du PC sur les internés. Le groupe initial est formé d’anciens militants ayant déjà rompus avec le PCF. Le responsable de la cellule est Marcel Varoteaux (libéré en juin 1941, il fut assassiné le 20 septembre 1943). Selon le Directeur, 150 internés ont adhéré au POPF. Le 8 septembre, à la suite de l’assassinat de Gitton, les internés adhérents au POPF ont adressé un télégramme de condoléances à Mme Gitton. Les tensions montent entre communistes et gittonistes et entraînent de graves incidents en mai et juin 1941. Ainsi, le 31 mai, l’interné Craye frappe Denis, gittoniste, en pleine figure à l’aide d’un balai brosse. Dans le courant de juin, Marcel Henry de Draveil est convoqué devant une sorte de tribunal présidé par l’interné Taillade, qui lui fait savoir que s’il adhère au POPF, il sera jeté à l’eau dès son arrivée à Draveil. Menaces et bagarres donnent lieu à une perquisition générale dans la nuit du 3 au 4 juin 1941 qui amène la découverte de tracts, d’un cahier de chants révolutionnaires et de matraques en bois. Les communistes, dirigés par Craye d’Alfortville et Pierre Villon-Guinsburger sont accusés d’avoir voulu créer un tribunal pour juger les renégats. L’administration du camp transfère 31 agitateurs à Rambouillet puis à Gaillon, et quatre des responsables sont déférés devant la justice. Le 12 décembre 1941, la Section spéciale de la cour d’appel de Paris condamne Auguste Garnier et Van de Put à 20 ans de travaux forcés, Eugène Le Gall et Ernest Droalin à 15 ans avec l’accusation d’avoir fomenté une rébellion au camp d’Aincourt et constitué un tribunal révolutionnaire.

Le 30 août 1941, à la suite de l’exécution de 50 otages à Nantes, les internés se lèvent et observent une minute de silence au moment du dîner. Neuf des fusillés avaient séjourné à Aincourt.

A partir de la fin de l’année 1941, l’avenir du camp est incertain. En effet, « le rassemblement des éléments les plus agités et les plus déterminés du Parti communiste aux portes de Paris » devient une obsession pour le Préfet de Seine-et-Oise qui propose à plusieurs reprises le transfert du camp en Afrique du Nord.
Peu à peu, les internés sont transférés à Compiègne, à Voves et à Rouillé. Le 23 mai 1942, le Secrétaire d’Etat à l’Intérieur demande à ce qu’Aincourt devienne un camp de femmes communistes. Le premier convoi de femmes arrive du camp de Choiseul (Loire-Atlantique) le 11 mai 1942 ; il comprend 93 femmes et un enfant. Au 23 août 1942, le camp contient 109 internées politiques et 46 « indésirables » (trois nomades, sept juives, quatre femmes condamnées pour marché noir, sept prostituées, 18 étrangères et deux Françaises condamnées de droit commun, cinq étrangères expulsés non condamnées). Le 14 mai 1942, le Directeur du camp d’Aincourt établit un rapport à l’attention du Préfet sur l’état d’esprit des internées : « Ce convoi comprenait 60 internées politiques et 33 juives étrangères, prostituées et condamnées de droit commun. L’une d’entre elles, la femme M. tenait dans ses bras un enfant âgé de 13 mois alors que la nommée H. se trouvait en état de grossesse avancée. L’ensemble de ces internées se trouvait dans un état de saleté repoussante, les soins de propreté les plus élémentaires paraissant avoir fait défaut depuis fort longtemps. J’ai donné toutes instructions pour que toutes ces femmes soient dirigées immédiatement sur les douches et toutes les couvertures qu’elles détenaient ont été envoyées à la désinfection. (…) Dès l’arrivée du convoi en gare de Mantes, je devais intervenir pour rappeler à ces femmes paraissant tout ignorer de la discipline qu’elles ne devaient pas chanter ni se livrer à la moindre manifestation collective. Ce premier avertissement ne servit à rien et c’est en chantant que le convoi arrivait au camp. Immédiatement je réunissais ces femmes au réfectoire et leur donnais lecture du règlement. Quelques unes voulurent protester en affirmant qu’elles n’étaient pas en prison. Je dus employer un langage sévère et les menacer de sanctions. (…) La discipline stricte à laquelle j’ai soumise, dès hier, toutes ces femmes n’a donc pas été admise sans protestations. Certaines ont menacé de faire la grève de la faim. En raison des tolérances admises à Chateaubriand, je fais toutes réserves sur des incidents possibles, mais, sauf instructions contraires de votre part, je continuerai à appliquer aux internées femmes le règlement qui a toujours été appliqué aux hommes depuis la création du centre. »

Le 15 septembre 1942, le camp fut évacué. Livrées à la Gestapo, les internées furent déportées en majorité au camp de Ravensbrück d’où bien peu revinrent. En mars 1943, Bousquet installa à Aincourt une école de formation de GMR. Le camp fut officiellement dissous le 13 septembre 1943.

Le 9 avril 1994, à l’instigation de l’ANACR et des associations départementales des internés et déportés du Val d’Oise et des Yvelines, une stèle commémorative a été inaugurée à l’emplacement du camp d’Aincourt.


Fabrice Bourrée

Sources :
Archives départementales des Yvelines, 1W70 à 72 (archives du camp d’Aincourt), 1104W51 (camp d’Aincourt).
Archives de la Préfecture de Police, rapports hebdomadaires sur la répression des menées communistes.
Archives Jean Hulin, ANACR Val d’Oise.
Nadia Ténine-Michel, « Le camp d’Aincourt » in Les communistes français de Munich à Chateaubriand, Paris, Presses de la FNSP, 1987.
Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français (Maitron en ligne)