Ici-même 2013

Parcours dans l'espace public

Marseille connut pendant la Seconde Guerre mondiale de grands bouleversements et une situation particulière en tant que port de la
« Zone Libre ». ICI-MÊME retrace par des marquages au sol dans le centre-ville, l’histoire des lieux significatifs de cette période, que les Marseillais côtoient tous les jours et que l’usure du temps tend peu à peu à effacer.

Ici-même 2013

Marseille vécut, au moment de l’offensive de la Wehrmacht, puis après la défaite de la France, une situation exceptionnelle. Dernier grand port en « Zone Libre » qui permettait de quitter l’Europe, éloignée de la zone occupée et de la menace nazie, elle attira comme un aimant de très nombreux réfugiés hommes et femmes parmi lesquels des artistes, des intellectuels et des politiques.

Beaucoup furent secourus par des filières d’aide et de sauvetage, françaises et étrangères, avec l’aide de plusieurs consulats repliés dans le Midi. Des mouvements et des réseaux de renseignement et d’action, liés à la France libre ou aux Alliés, y prirent également naissance très tôt. Tous ces éléments firent de Marseille, l’une des premières capitales de la Résistance en France.

La cité phocéenne et sa proche région connurent des épisodes dramatiques comme les déportations de l’été 1942 ou la destruction de la rive Nord du Vieux-Port en février 1943. Après l’Occupation de novembre 1942, la Résistance développa des actions armées et dut faire face à la répression sanglante de la Gestapo. Elle participa activement à la libération de la ville et ses responsables se mirent au service de la reconstruction économique, sociale et politique du pays.

Aujourd’hui, avec l’usure du temps et la disparition des témoins, la mémoire de ces actions et de ces événements tend, peu à peu, à s’effacer. Or, ces années ont joué, en France, un rôle fondateur. Il était donc indispenable, dans le cadre de Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture, de leur redonner chair. Il fallait pour cela rappeler toute la dimension historique de certains lieux que les Marseillais côtoient tous les jours et que les visiteurs sont appelés à fréquenter.

  • PRODUCTION : Marseille-Provence 2013.
  • COPRODUCTION : Goethe-Institut.
  • COMMISSARIAT : Robert Mencherini.

ICI-MÊME est inspiré du projet IN SITU de Linz09 – Capitale Européenne de la Culture en 2009 (Dagmar Höss, Monika Sommer, Heidemarie Uhl)

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  • logo Goethe-Institut

N° 01février 1943/ 1, place Villeneuve Bargemon, Maison Diamantée

Barrage franco-allemand, 3 gamins sur le côté, et, face au barrage, Paul Carpita, écharpe rayée

Barch, Bild 101 I-027-1474-26A / Wolfgang Vennemann / Janvier 1943

Sauvée de la ruine au début du XXe siècle, la Maison Diamantée abrite, en 1941, le comité du Vieux Marseille et une grande salle est dédiée aux Arts et traditions de Marseille et de Provence. La revue municipale Marseille lui consacre un article en juin 1941.

Après la décision de Hitler de raser le vieux quartier, les autorités françaises plaident en faveur de la sauvegarde de la Maison Diamantée et d’autres bâtiments historiques comme l’Hôtel de ville et l’Hôtel de Cabre. Les 13 et 14 janvier 1943, des discussions sont engagées entre Karl Oberg, chef supérieur des SS et de la police en France, le commandant SS Herbert Hagen, René Bousquet, secrétaire général de la police de Vichy, le préfet régional Marcel Lemoine, l’intendant de police Rodellec du Porzic et le préfet délégué à la ville de Marseille, Pierre Barraud.

Les Français proposent de prendre en charge, dans l’ensemble de la ville, les rafles de Juifs et de suspects. Ce qui est fait, en particulier dans le quartier de l’Opéra. Ainsi, ici comme ailleurs, la Collaboration d’État conduit les autorités vichystes à se mettre au service de l’occupant, tout en protestant de leur autonomie.

Dans les jours qui précédent l’évacuation des vieux quartiers, les contrôles d’identité menés par les forces françaises ou allemandes se multiplient dans les ruelles avoisinant la Maison Diamantée. Il est très difficile pour les habitants d’éviter les barrages. Sur l’une des photos prises par les services de propagande de la Wehrmacht, on remarque un jeune homme, avec une écharpe rayée : c’est le futur cinéaste du Marseille populaire, Paul Carpita, qui habitait le quartier avec sa famille.

N° 0224 janvier 1943/ Début du Quai du port (Quai Maréchal Pétain)

Début quai du port, évacuation évacués avec Ballots, au fond le point à transbordeur

Barch, Bild 101 I-027-1478-05 / Wolfgang Vennemann / 24 Janvier 1943

Wehrmacht, SS et SIPO-SD (« Gestapo ») qui quadrillent la ville depuis le 11 novembre 1942 se méfient de la cité phocéenne où ont eu lieu, le 14 juillet 1942, d’importantes manifestations de la Résistance. Les quartiers nord du Vieux-Port les inquiétent particulièrement : considérés comme très dangereux, on les suspecte de cacher des déserteurs et « des terroristes internationaux ». De plus, les Nazis souhaitent, dans le cadre de la « solution finale », augmenter rapidement le nombre de déportations.

L’attentat du 3 janvier 1943 contre l’hôtel Splendide (près de la gare Saint-Charles) sert de prétexte aux destructions et aux déportations. Pour l’exemple, Hitler ordonne de raser les vieux quartiers immédiatement. L’état de siège est proclamé et de nouvelles unités de la Wehrmacht et de SS, ainsi que de nombreuses troupes françaises sont dirigées vers Marseille. En accord avec les occupants, les autorités de Vichy multiplient les contrôles et les arrestations dans toute la ville.

Les vieux quartiers sont bouclés dans la nuit du samedi 23 janvier et évacués le lendemain. Les opérations durent toute la journée du dimanche, de 8 à 17 heures. Des barrages filtrants sont installés sur les quais. 15 000 personnes, amenées en tramways et camions à la gare d’Arenc, sont entassées, avec leur maigre paquetage, dans des wagons de marchandises et conduites dans des camps à Fréjus. A partir du 28 janvier, la plupart d’entre elles peut revenir dans les Bouches-du-Rhône. Mais plusieurs centaines, envoyées à Compiègne, rejoignent celles arrêtés à Marseille les jours précédents. Nombre d’entre elles, juives, sont transférées à Drancy, puis vers les camps d’extermination où elles ont péri.

N° 0323 janvier 1943/ Hôtel de ville

Nuit 23 janvier 1943, hôtel de ville extérieur tanks à côté de l'hôtel de ville

Barch, Bild 101 I-027-1476-02A / Wolfgang Vennemann / Janvier 1943

Dans la nuit du 23 janvier 1943, les forces de police françaises investissent les vieux quartiers, encerclés par des unités de la Wehrmacht lourdement armées et visitent systématiquement les logements. Les photographies mettent en évidence l’importance du dispositif militaire et policier. Dans l’Hôtel de ville où s’affiche le portrait du maréchal Pétain, les autorités vichystes et les SS se concertent pendant les opérations.

Face à l’objectif du photographe, on remarque, au premier plan, de gauche à droite, le colonel SS Bernhard Griese, à sa gauche, avec un foulard, Marcel Lemoine, préfet régional, à son côté, col de fourrure et grand sourire, René Bousquet, secrétaire général à la police de Vichy, et, derrière lui, Pierre Barraud, préfet délégué à l’administration de la ville de Marseille. 635 personnes sont arrêtées au cours de la nuit et conduites à la prison des Baumettes.

N° 03b30 août 1944/ Hôtel de ville

Nuit du 23 janvier 1943, Hôtel de ville intérieur Réunion Bousquet

Marseille, revue municipale illustrée, 1er mai 1945, p. 4.

La délégation municipale provisoire de Marseille est installée, le 30 août 1944, en fin d’après-midi, par le ministre de l’Intérieur, Emmanuel d’Astier de la Vigerie et par le commissaire régional de la République, Raymond Aubrac. Sa composition, décidée dans la clandestinité, est représentative des mouvements et groupes politiques engagés dans la Résistance. Renouant les liens avec le conseil municipal élu en 1935, dirigé par Henri Tasso et dissous par Vichy, elle est présidée par un avocat socialiste, Gaston Defferre. Celui-ci a créé, pendant la guerre, avec un autre avocat marseillais, son ami André Boyer – mort en déportation - le réseau de renseignement et d’action Brutus.

La délégation municipale cède la place au printemps 1945, à un conseil municipal élu, présidé de nouveau par Gaston Defferre jusqu’à l’automne 1945. Mais la ville de Marseille est sous tutelle depuis mars 1939 à la suite de l’incendie des Nouvelles Galeries. Le conseil municipal est soumis à l’autorité d’un préfet délégué à l’administration de la ville qui est, à la Libération, l’ingénieur Pierre Massenet. La ville de Marseille ne retrouve la plénitude de ses droits qu’en octobre 1946.

N° 04février 1943/ Quai du port (Quai Maréchal Pétain), côté Saint-Jean

Quai du port, côté Saint Jean, février 1943, explosions

Barch, Bild 101 I-027-1480-39A / Wolfgang Vennemann / Février 1943

A leur retour des camps de Fréjus, les habitants des vieux quartiers peuvent récupérer quelques effets dans leurs anciens logements mais beaucoup ont été pillés. Les opérations de démolition commencent le 1er février 1943 vers 9 heures et s’étendent sur deux semaines. Quelques immeubles historiques sont sauvegardés. Les explosions soulèvent une épaisse poussière qui envahit le centre de Marseille. Quatorze hectares de ruines bordent le Vieux-Port.

Après la Libération, plusieurs années sont nécessaires pour reconstruire le quartier détruit (1948 à 1954). Le jeune architecte Fernand Pouillon joue un rôle majeur dans cette réalisation, en particulier pour l’ensemble en pierre du front de mer, de part et d’autre de l’Hôtel de ville.

N° 0522 août 1944/ Quai du port, près du Fort Saint-Jean, pilier Nord du pont à transbordeur

Pont transbordeur après la destruction

Collection Charles & Julien JANSANA

Le pont à transbordeur est construit en 1904-1905 par l’ingénieur Ferdinand Arnodin et inauguré en décembre 1905. Il relie les deux rives de l’entrée du Vieux-Port grâce à une nacelle suspendue à son armature métallique. Le pylône Nord s’élève au bout du quai du Port, à proximité du Fort Saint-Jean dont il est séparé par un canal comblé dans les années 1930. En 1940, l’état du pont à transbordeur est très dégradé par manque d’entretien. Sa démolition est envisagée. Au début de l’année 1944, la circulation de la nacelle est interrompue. Le 22 août 1944, pour fermer totalement la passe du port où a déjà été coulé le paquebot Cap Corse, les troupes d’occupation dynamitent les deux pylônes du pont. Mais seul le pilier Nord s’écroule en entrainant dans les eaux la moitié de l’armature métallique supérieure. Le moignon subsistant est détruit, ainsi que le pylône Sud, en septembre 1945.

N° 06février 1943/ Rue Caisserie

Plan des destructions

DR

Le quartier du Panier s’élève sur les buttes Saint-Laurent, des Moulins et de la Roquette qui dominent le Vieux-Port et l’Hôtel de ville, sur l’emplacement de la Massalia antique réoccupé à l’époque médiévale. L’extension de la ville aux époques moderne et contemporaine, le percement de la rue Impériale (rue de la République) au XIXe siècle contribuèrent à en faire un espace à part. Les désormais « vieux quartiers », habités par une population nombreuse souvent d’origine immigrée, et dont une partie des ruelles étroites est réservée à la prostitution, ne tardent pas à avoir une très mauvaise réputation, encouragée par de violentes campagnes de presse. Pourtant, ils abritent tout un petit peuple qui vit des activités maritimes, pêcheurs, marins ou dockers. Plusieurs plans sont proposés pour leur rénovation dont celui de l’architecte Eugène Beaudoin au début de l’année 1942.

La rue Caisserie qui s’étend de la place de Lenche jusqu’à la place Daviel est, à flanc de colline, l’une des principales artères Est-Ouest du quartier. Elle constitue la limite nord des destructions de février 1943, qui s’étendent du quai du port (alors rebaptisé Maréchal Pétain) au Sud, jusqu’aux rues de la Roquette et Chevalier Roze à l’Ouest, l’Esplanade de la Tourette et la place Saint-Laurent à l’Est, sur une superficie de 14 hectares. La partie détruite est reconstruite au début des années 1950. On voit bien aujourd’hui, de part et d’autre de la rue Caisserie, la différence architecturale entre les immeubles reconstruits (côté impair) et ceux qui ont été préservés.

N° 071940-1942/ 30, rue de la République, siège d’organisations juives d’assistance

Le Petit Marseillais, 1er statut des juifs

Le siège de la commission centrale des organisations juives d’assistance (CCOJA) est établi au 30, rue de la République. Ces organisations tentent de pallier, autant que possible, les effets de la politique antisémite de l’État français et des deux lois (« statuts des Juifs ») du 3 octobre 1940 et du 2 juin 1941 qui excluent les Juifs de la communauté nationale. La CCOAJ regroupe, en particulier, le comité d’assistance aux réfugiés (CAR), l’organisation reconstruction travail (ORT), la HICEM et le JOINT, deux importantes organisations d’émigration et de secours, les éclaireurs israélites de France (EIF), l’œuvre de secours aux enfants (OSE). Cette dernière gère, en partenariat avec l’Unitarian service Comittee, organisation protestante américaine, un dispensaire médical polyvalent, 25, rue d’Italie. En novembre 1941, la création de l’Union générale des israélites de France (UGIF), imposée par le gouvernement de Vichy et dans laquelle devaient se fondre toutes les associations juives non cultuelles, met fin à l’existence de la CCOJA.

N° 081940-1942/ Quai des Belges

Citation d’Anna Seghers

« Mères qui avaient perdu leurs enfants, enfants qui avaient perdu leur mère, résidus des armées décimées, esclaves échappés à leurs chaînes, troupeaux humains chassés de tous les pays et qui arrivaient finalement à la mer, où ils se précipitaient sur les bateaux d’où ils seraient de nouveau chassés, tous fuyaient devant la mort, jusqu’à la mort. C’est ici que toujours les bateaux avaient jeté l’ancre, juste à cet endroit-là, parce qu’ici finissait l’Europe, parce qu’ici commençait la mer. C’est ici, c’est à cet endroit-là, que toujours s’était dressée une auberge, parce qu’ici la route se jetait dans la mer ».

Anna Seghers, Transit

Anna Seghers, née à Mayence en 1900, est décédée à Berlin en 1983. En 1928, elle reçoit le prix Kleist pour son livre La révolte des pêcheurs de Santa Barbara. Ses ouvrages sont brûlés par les nazis et elle s’exile en France en 1933 avec son mari Ladislas Radvanyi et leurs deux enfants. Ils habitent dans la région parisienne jusqu’à la guerre. En 1940, son mari est interné au camp du Vernet et ensuite transféré au camp des Milles. Anna Seghers s’installe alors à Marseille où elle fréquente nécessairement le milieu des réfugiés et les cafés du Vieux-Port où ils se retrouvent souvent. Cette citation, extraite de son roman Transit paru en 1944, traduit la situation et l’angoisse de ces hommes et ces femmes qui ont fui le nazisme et sont perpétuellement en instance de départ. Le 24 mars 1941, Anna Seghers embarque pour la Martinique, avec son mari et ses enfants à bord du cargo Paul Lemerle où se trouvent aussi André Breton, Victor Serge et Claude Lévi-Strauss. La famille gagne ensuite le Mexique.

N° 091940-1942/ 5, La Canebière, hôtel Moderne (aujourd’hui Océania)

Photographie de Jean Moulin

En novembre 1940, Jean Moulin, révoqué de sa fonction de préfet d’Eure-et-Loir par le gouvernement de Vichy, vient s’installer dans la maison familiale de Saint-Andiol dans les Bouches-du-Rhône, sous sa véritable identité. Mais, sous le faux nom de Joseph Mercier, il parcourt la Provence et rencontre les dirigeants des premiers mouvements de Résistance. Il obtient un passeport sous son nom d’emprunt et, à la fin de l’année 1941, il gagne Londres en passant par l’Espagne et le Portugal. Il utilise les renseignements obtenus en France dans le rapport sur la Résistance qu’il remet alors au général de Gaulle. Devenu envoyé spécial de ce dernier, sous le pseudonyme de Rex, il est parachuté le 2 janvier 1942 dans la région des Baux de Provence. Jean Moulin, Rex, reprend alors contact avec les dirigeants des mouvements de Résistance et défend auprès d’eux les instructions du général de Gaulle. Il complète sa couverture légale en ouvrant à Nice la galerie de peinture Romanin.

N° 101934-28-29 mars 1942/ Place G. De Gaulle (place de la Bourse)

Manifestation 28-29 mars 1941 (Yougoslavie), Canebière

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 8W 22

Le 9 octobre 1934, Alexandre Ier de Yougoslavie et le président du conseil Louis Barthou sont assassinés dans leur voiture, lors d’une visite officielle du roi en France. L’attentat qui suscite une énorme émotion a lieu à Marseille, sur la Canebière, à proximité de la place de la Bourse. Une plaque est disposée sur les lieux de l’attentat et un monument commémoratif érigé à l’angle de la préfecture. Le fils d’Alexandre Ier, Pierre, est encore mineur, et le royaume de Yougoslavie est mis sous la régence du prince Paul Karadordevic. En 1941, ce dernier s’incline devant l’ultimatum d’Hitler et adhère au pacte tripartite Allemagne-Italie-Japon. Mais, le 27 mars 1941, un coup d’état et une révolte populaire portent au pouvoir le jeune Pierre II. A Marseille, dès le 28 mars, en soutien au nouveau roi, des gerbes sont déposées au pied de la plaque de la Canebière et du monument commémoratif de la préfecture. Le mouvement, peut-être spontané au départ, prend rapidement de l’ampleur. Les gerbes de fleurs s’amoncellent, comme le montrent cette photographie, et les dépôts se transforment en véritables manifestations. La police interdit de fleurir les deux lieux de mémoire et procède à quelques arrestations. Des entrefilets paraissent dans la presse et la BBC diffuse la nouvelle

N° 1114 juillet 1942/ Canebière - place G. de Gaulle (place de la Bourse). Grand Café Glacier

Manifestation du 14 juillet 1942

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 76 W 116

Dès les premiers jours de juillet 1942, les mouvements de Résistance – par tracts - et la France Libre - à la BBC - appellent à manifester le 14 juillet, dans toute la zone non occupée. Il s’agit, à l’occasion de la fête nationale dont le gouvernement de Vichy a fait une journée de deuil, de rappeler les idéaux républicains et d’appeler à la lutte contre l’Occupation. Des manifestations ont lieu dans la plupart des grandes villes de la zone Sud. Elles sont particulièrement importantes à Marseille, comme le montrent les photographies prises par la police. Les manifestants se rassemblent près du monument des Mobiles, au sommet de la Canebière, descendent celle-ci jusqu’au Vieux-Port et à l’hôtel de ville. Les slogans criés par la foule dénoncent Pierre Laval et le régime de Vichy et demandent la libération des prisonniers. On entonne La Marseillaise. Le siège du Parti populaire français (PPF) établi dans la rue Pavillon, proche de la Canebière, est attaqué et deux manifestantes sont tuées à coups de revolver par les militants de ce parti. La police procède à de nombreuses arrestations sur place et ultérieurement. L’écho de ces manifestations auxquelles avaient appelé en commun la France libre et la Résistance intérieure est extrêmement important.

N° 1223 janvier 1943/ Place devant l’Opéra

Communiqué de presse, cabinet du préfet, 23 janvier 1943

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 56 W 71

Lors des discussions autour de l’évacuation et de la destruction des quartiers nord du Vieux-Port, les 13 et 14 janvier 1943, les autorités françaises proposent à Karl Oberg, chef supérieur des SS et de la police en France, d’élargir les opérations de police à tout le centre-ville et de les prendre en charge. C’est ce qu’elles font dans la nuit du 22 au 23 janvier 1943, en particulier dans le quartier de l’Opéra, qui abrite de nombreuses familles juives. Les individus à appréhender sont, d’après la note de service concernant l’opération « les repris de justice, les souteneurs, les clochards, les vagabonds, les gens sans aveu, toutes les personnes dépourvues de cartes d’alimentation, tous les Juifs, les étrangers en situation irrégulière, les expulsés autorisés, toutes les personnes ne se livrant à aucun travail régulier depuis un mois ». 1 865 personnes sont arrêtées au cours de visites domiciliaires planifiées à partir du fichier juif. Elles sont conduites à la prison des Baumettes comme les 635 autres arrêtées la nuit suivante dans les quartiers du Vieux-Port. Sur les 2 500 détenus des Baumettes, plus de la moitié est transportée à la gare d’Arenc le dimanche matin, 24 janvier 1943, et déportée.

Dans un communiqué en date du 23 janvier, la préfecture revendique l’entière responsabilité de ces rafles qu’elle distingue des opérations de destruction du quartier du Panier.

N° 1314 juillet 1942/ 31, rue Pavillon, siège du PPF

Manifestation 14 juillet 1942, rue Pavillon

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 76 W 116

Le Parti populaire français (PPF) est créé nationalement en 1936 par Jacques Doriot auquel se rallie, à Marseille, Simon Sabiani. Ces deux anciens responsables communistes des années 1920 évoluent, au cours des années suivantes, vers l’extrême droite et le fascisme. Le PPF s’engage résolument, après la défaite de 1940, dans la voie de la Collaboration armée avec l’occupant, et recrute pour la Légion des volontaires français contre le communisme qui se bat sur le front de l’Est aux côtés des troupes allemandes. Le 14 juillet 1944, les militants du PPF de Marseille, parmi lesquels se trouvent de nombreux membres de la pègre, recherchent l’affrontement avec les manifestants et, lorsque la foule attaque le siège du PPF, 31 rue Pavillon, ils tuent deux femmes à coups de revolver. Quelques jours plus tard, un important cortège funéraire suit l’enterrement de ces deux manifestantes au cimetière Saint-Pierre de Marseille. La BBC rend compte de l’événement.

N° 141940-1944/ 5, rue Beauvau, Office de placement allemand

Encarts publicitaires de l’OPA dans la presse régionale

DR

En 1941-1942, l’extension du conflit et le passage à la guerre totale accentuent très fortement les besoins en main-d’œuvre du Reich. Les autorités d’occupation tentent, par tous les moyens, de recruter des travailleurs, notamment par l’intermédiaire des offices de placement allemand (OPA) dont le siège, à Marseille, est établi 5a et 6a rue Beauvau. Celui-ci dispose également d’antennes nombreuses dans tout le département. L’OPA, dans ses publicités dans la presse et lors de séances de cinéma, fait miroiter les avantages, principalement matériels, du travail en Allemagne. En 1942, le nombre de partants outre-Rhin augmente grâce aux divers dispositifs mis en place par l’État français, dans le cadre de la Collaboration. Le gouvernement de Pierre Laval instaure, en avril 1942, la Relève (échange théorique d’un prisonnier de guerre contre trois ouvriers spécialisés) puis, au début 1943, le Service travail obligatoire (STO) qui contraint les jeunes à partir pour l’Allemagne. Dans ces deux cas, les services de l’État français et ceux de l’OPA travaillent ensemble.

N° 151940-1942/ 3, Quai des Belges, Le Brûleur de Loups

Contrôle de police devant le café Au Brûleur de loups

Varian Fry institute. Contrôle de police devant le café Au Brûleur de Loups (photographie prise par le vice-consul des États-Unis, Hiram Bingham)

Les cafés constituent un havre pour les réfugiés qui y trouvent du réconfort et un peu de chaleur entre deux démarches dans les consulats, les organisations de secours et les compagnies de navigation. Ces lieux de convivialité permettent de rompre la solitude et de partager les angoisses. On y échange les dernières informations sur les moyens de fuir loin des nazis et d’obtenir les papiers indispensables pour le faire. Certains de ces établissements sont connus comme le siège de filières de départ. Sur le Vieux-Port, Le Brûleur de loups est le lieu de rendez-vous des artistes et intellectuels. C’est surtout le nom de ce café, qui, semble-t-il, a séduit les surréalistes. Ce milieu n’inspire aucune confiance aux autorités qui y multiplient les contrôles.

N° 161940-1944/ 10, Cours Jean Ballard (Cours du Vieux-Port), Les Cahiers du Sud

Couverture des Cahiers du Sud (N° spécial « Génie d’Oc »)

La revue littéraire Les Cahiers du Sud succède, dans les années 1920, à la petite revue Fortunio éditée, avant la Première Guerre mondiale par Marcel Pagnol et Jean Ballard. Ce dernier, par ailleurs peseur-juré sur les quais, consacre sa vie aux Cahiers du Sud dont il est le directeur. La « revue mensuelle de littérature », loin de se cantonner à des sujets et à des écrivains régionaux, publie de nombreux auteurs non-provençaux, français et étrangers et aborde des thèmes souvent novateurs et de grande ampleur, parfois développés dans des numéros spéciaux, comme en juin-juillet 1941, Message actuel de l’Inde et en 1943, Le génie d’Oc et l’homme méditerranéen. Le « grenier » des Cahiers du Sud au 4e étage du Cours du Vieux-Port, accueille, pendant la Seconde Guerre mondiale de nombreux intellectuels et artistes français et étrangers réfugiés dans le Midi. De 1940 à 1944, la revue publie entre autres, André Breton, Albert Camus, Lanza Del Vasto, Robert Desnos, Paul Éluard, Benjamin Fondane, André Gide, Frédérico Garcia Lorca, André Masson, Loys Masson, Henri Michaux, Saint-John Perse, Jean-Paul Sartre, Paul Valéry, Simone Weil (sous le pseudonyme d’Émile Novis), parmi des auteurs plus méridionaux comme Joë Bousquet, Léon-Gabriel Gros, Charles Mauron, Gaston Mouren, René Nelli, Jean Tortel et Axel Toursky.

N° 171940-1944/ Cours d’Estienne d’Orves (Cours du Vieux-Port), Le Péano

Toile de Pierre Ambroggiani, Le Péano

Le Péano, gouache sur carton ondulé de Pierre Ambrogiani, coll. Jacqueline Serra.

Au début du XXe siècle, à Marseille sur la rive sud du Vieux-Port, dans le quartier du canal de la Douane, on trouve encore de vastes entrepôts hérités des siècles précédents occupés par une grande partie de la Bohème marseillaise, peintres, graveurs, petits éditeurs. Deux grands quotidiens régionaux y sont installés, Le Petit Marseillais, du 9 au 15 quai du canal (aujourd’hui Cours d’Estienne d’Orves) et Le Petit Provençal, 75, rue de la Darse (aujourd’hui rue Francis Davso). Journalistes et artistes, très souvent noctambules, ont coutume de se retrouver au bar Le Péano. Dans les années 1930, le canal de la douane est comblé et le quai éponyme devient cours du Vieux-Port. On croise alors, dans ce quartier, les peintres Antoine Serra, très engagé au Parti communiste, Pierre Ambrogiani, le « Daumier facteur », qui brosse ses premières toiles, François Diana, le graveur Léon Canedel et même le « montparno » Kisling. Tout ce petit monde artistique est dispersé par le conflit mondial et ses retombées ; Kisling part aux Etats-Unis ; Antoine Serra est pourchassé par la police de Vichy et les occupants. A la Libération, on donne au cours du Vieux-Port le nom du grand résistant Honoré d’Estienne d’Orves. Le Péano retrouve ses couleurs et ses habitués artistes et journalistes. Dans les années 1960, le cours est défiguré par la construction d’un parking aérien, heureusement démoli depuis.

N° 181936-1940/ 68, rue Sainte, maison de la culture

Une de Peuple et culture, n°1, 20 septembre 1936

DR

La maison de la culture de Marseille, la deuxième après celle de Paris, est créée en 1936 sous l’impulsion de l’association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR), proche du Parti communiste. Louis Aragon y donne une conférence le jour de son inauguration le 28 mars 1936, suivi par André Malraux le 24 mai 1936. Le premier numéro de son journal Peuple et culture paraît le 20 septembre 1936 avec, en première page, des extraits d’un article de Jean Giono contre la guerre, « Je ne peux pas oublier », paru en 1934. Le monde du travail et la culture populaire sont privilégiés dans cette publication au contenu très engagé. Ainsi, le numéro du décembre 1936 accorde une grande place à la guerre d’Espagne, avec plusieurs dessins de Pierre Ambrogiani. La section des arts plastiques, dirigée par Antoine Serra joue, un rôle important dans la vie de la maison de la culture où elle organise plusieurs expositions. Ce centre culturel fertile, mais dont les valeurs sont à l’opposé de l’Etat français, est l’objet de perquisitions et fermé pendant la Deuxième Guerre mondiale.

N° 191940-1942/ 2, Boulevard Charles Livon, Bas-Fort Saint-Nicolas

Interrogatoire Simone Weil au Bas-Fort Saint-Nicolas

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 8 W 22

Le Fort Saint-Nicolas, comme le Fort Saint-Jean qui lui fait face de l’autre côté de la passe du Vieux-Port, fut édifié au XVIIe siècle. La « citadelle de Marseille », comme on l’appelait alors, est scindée au XIXe siècle en deux parties par l’ouverture du boulevard, qui porte aujourd’hui le nom de Charles Livon. Le Bas-Fort Saint-Nicolas abrite le Tribunal militaire de la XVe région qui, pendant la Deuxième Guerre mondiale, poursuit les prévenus de propagande communiste et d’atteinte à la sûreté de l’État. Nombre d’entre eux sont condamnés à de lourdes peines. C’est ici que Simone Weil est interrogée par le juge d’instruction militaire, le 15 novembre 1941, sur ses contacts avec une filière tchèque, qui fait sortir de France, clandestinement, des militaires désireux de reprendre le combat contre les pays de l’Axe. Le dossier complet est transmis à la Section spéciale de la cour d’appel d’Aix qui condamne les inculpés, en septembre 1943 à des peines de plusieurs années de prison. Simone Weil a pu partir aux Etats-Unis avant le procès.

N° 201940-1942/ Boulevard Charles Livon, Haut-Fort Saint-Nicolas

Extrait du journal de Jean Zay (arrivée au Fort Saint-Nicolas

De nombreux résistants de toutes tendances sont emprisonnés dans le Haut-Fort Saint-Nicolas. Certains sont en instance de jugement ou récemment condamnés par le tribunal militaire de la XVe région militaire. D’autres y sont incarcérés à l’occasion d’un transfert vers l’Outre-mer. C’est le cas, entre autres, des députés communistes en transit vers l’Algérie, ou de Jean Zay. En octobre 1940, l’ancien ministre de l’Éducation nationale du Front populaire, faussement accusé de désertion, est condamné à la déportation à vie par le tribunal militaire de Clermont Ferrand. Il est conduit à Marseille, le 7 décembre 1940, pour être envoyé en Guyane. C’est à cette occasion qu’il connait les geôles du Haut-Fort Saint-Nicolas. La description qu’il en donne dans son journal intime est tout à fait conforme aux autres témoignages : des cellules glaciales dans lesquelles règne une semi-obscurité, une nourriture très insuffisante, des conditions de vie qui détériorent rapidement la santé des détenus. Le départ pour la Guyane ne pouvant avoir lieu, Jean Zay est transféré, le 7 janvier 1941, à la prison de Riom. Il en est extrait le 20 juin 1944, par des miliciens qui l’assassinent dans les bois.

N° 211940-1942/ 8, rue des Catalans, domicile de Simone Weil à Marseille

couverture de l’ouvrage de Simone Pétrement

Simone Weil et ses parents, arrivés à Marseille en septembre 1940, s’installent, en novembre, au 8, rue des Catalans. La famille Weil réussit à quitter Marseille pour l’Afrique du Nord, puis les Etats-Unis, le 14 mai 1942. Au cours de ses 18 mois de séjour à Marseille, la philosophe, âgée de 31 ans, écrit des textes théoriques fondamentaux à propos des valeurs, des civilisations, des sciences et de la religion. Elle entretient aussi un dialogue spirituel suivi avec le dominicain Joseph-Marie Perrin. Poussée par son désir de partage du malheur du monde, elle mène une vie ascétique, refusant de se fournir au marché noir, intervient en faveur de plusieurs internés, travaille quelques semaines en Ardèche comme ouvrière agricole. Simone Weil participe également à la Résistance en diffusant Témoignage chrétien. Mais sa préoccupation est surtout de gagner Londres pour appliquer son « Projet d’infirmière de première ligne », conçu comme une propagande en actes à opposer à la terreur nazie. Elle l’évoque dans sa « Demande pour être admise en Angleterre », plaidoyer écrit, en 1941, pour une filière de passage et saisi par la police. Simone Weil parvient, par la suite, depuis les Etats-Unis, à rejoindre Londres où elle se met au service de la France libre. Très affaiblie par les privations, elle s’éteint au sanatorium d’Ashford, le 24 août 1943.

N° 221940-1942/ Du haut des escaliers de la gare Saint-Charles

Carte postale, vue du haut des escaliers de la gare Saint Charles

DR

En mai-juin 1940, du haut des escaliers de la gare Saint-Charles, à peine descendus de wagons bondés, les réfugiés français ou étrangers peuvent contempler la ville qui s’étend à leurs pieds. Sur les toits des immeubles du boulevard d’Athènes, on distingue l’enseigne de l’Hôtel Splendide où Varian Fry, cet Américain arrivé en France en août 1940 pour sauver les intellectuels et artistes persécutés, allait installer ses premiers bureaux. Mais tous les hôtels sont pris d’assaut et on se loge comme on peut. On s’endort dans un recoin, au cinéma, dans une voiture … et même dans les baignoires, en attendant qu’une chambre se libère. Après la défaite, des trains sont affrétés, à partir du Midi, pour ramener chez eux une grande partie des centaines de milliers de réfugiés, Belges, Luxembourgeois ou Français. D’autres réussissent à quitter la France, légalement ou non. Beaucoup choisissent de rester en Provence, le plus loin possible de la menace nazie. Les retours sont cependant étroitement filtrés par les autorités d’occupation pour certains départements du nord et de l’est du pays. Et il est interdit aux Juifs ou aux « personnes de couleur » de franchir la ligne de démarcation.

N° 231943-1944/ 15, rue Honnorat, centre de regroupement pour le STO

Note pour le préfet délégué sur le centre de la rue Honnorat

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 76 W 211

Les bâtiments du 15 rue Honnorat abritent depuis le XIXe siècle, un foyer pour femmes en difficulté sociale. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ils sont utilisés pour regrouper les jeunes requis pour le Service travail obligatoire (STO), instauré par les lois du 14 septembre 1942 et du 6 février 1943. La proximité de la gare Saint-Charles facilite grandement l’organisation des convois pour l’Allemagne. Le centre de la rue Honnorat est sous la responsabilité de l’Office de placement allemand qui travaille en coordination avec les services de la Préfecture. Une fois franchis les barbelés qui entourent les bâtiments, les requis ne peuvent plus en sortir, qu’ils soient venus à la suite d’une convocation ou de rafles. Celles-ci, effectuées par la police française ou par les troupes d’occupation, entraînent parfois des incidents. Comme par exemple, le 11 mars 1943, lorsque les SS raflent des dizaines d’apprentis policiers lors de leur entraînement au stade Bouisson. Toutes les semaines, en dépit de l'existence d’un nombre important de réfractaires, des centaines de jeunes gens sont envoyés outre-Rhin à partir de la rue Honnorat.

N° 241946/ Square Narvik (square de la gare), monument aux cheminots morts pour la France

Monument cheminots Extrait de Notre Métier

La Vie du Rail

Le 1er novembre 1946, dans le petit jardin de l’esplanade de la gare Saint-Charles, est inauguré un monument dédié « Aux cheminots des 8e arrondissements morts pour la France », un espace qui correspond aujourd’hui à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Sur cette colonne octogonale, 440 noms sont gravés. Six autres seront ajoutés par la suite. D’autres mémoriaux de la région honorent 50 noms supplémentaires, ce qui porte le nombre de cheminots reconnus « morts pour la France » à 496. La moitié d’entre eux ont succombé sous les bombardements, particulièrement meurtriers à Marseille. Près de 20% sont tombés dans les combats résistants ou ont été victimes de la répression, ce qui met en valeur l’engagement de la profession. De fait, les cheminots ont participé à de multiples formes de Résistance : confection et distribution de journaux et de tracts, renseignements, syndicalisme clandestin, organisation de grèves, sabotages, maquis, combats de la Libération. Le monument du square Narvik est, aujourd‘hui encore, un lieu de commémoration pour les travailleurs du rail.

N° 2527 mai 1944/ Tunnel du Boulevard National

Après bombardement, Boulevard National

Archives de la ville de Marseille, 29 ii 4

Le 27 mai 1944, plus de 130 bombardiers américains larguent près de 290 tonnes de bombes sur Marseille. L’objectif est de mettre hors d’usage les gares et les principales voies ferrées en prévision du débarquement. Cette véritable pluie de bombes a peu d’effet sur les installations ferroviaires. En revanche, tous les quartiers du centre-ville sont atteints, de nombreux immeubles sont détruits et le chiffre des victimes, très élevé, varie entre 1700 et 2000. Cent trente habitants du quartier qui ont cru trouver abri sous le tunnel du Boulevard national sont tués par des éclats ou le souffle des explosions. Les cheminots sont particulièrement touchés : une bombe tombée sur la tranchée où se sont réfugiés les employés du service Voies et Bâtiments de la rue de Turenne fait plus d’une centaine de morts. Ce bombardement met fin abruptement à l’important mouvement de grève qui s’étendait depuis quelques jours dans beaucoup d’usines. Des mouvements de Résistance protestent contre ces opérations meurtrières menées sans concertation. Les partis collaborationnistes profitent de l’émotion suscitée par ces événements pour dénoncer les Alliés et la Résistance.

N° 261940-1943/ Boulevard d’Athènes, hôtel Splendide

Avis d’état de siège. Le Petit Provençal, 5 janvier 1943

DR

L’hôtel Splendide, anciennement Grand hôtel de Russie et d’Angleterre, est, pendant la Deuxième Guerre mondiale, un établissement réputé. Au 31 boulevard d’Athènes, ses vastes locaux sont aujourd’hui occupés par le Centre régional de documentation pédagogique. C’est dans cet hôtel que l’Américain Varian Fry, quelques jours après son arrivée à la gare Saint-Charles, au mois d’août 1940, installe ses premiers bureaux. Envoyé à Marseille par l’Emergency rescue Comittee, qui se préoccupe de sauver les intellectuels et artistes européens menacés par le nazisme, il a en poche une liste de deux cents noms. De fait, Varian Fry, avec l’équipe du Centre américain de secours qu’il crée sur place et dont le siège se déplace à la rue Grignan puis au Boulevard Garibaldi, contribue au départ de plus d’un millier de personnes jusqu’à son expulsion par les autorités vichystes en septembre 1941.

Après l’occupation de novembre 1942, l’hôtel Splendide devient un lieu de résidence et de réunion privilégié des autorités allemandes. Le 3 janvier 1943, un groupe de résistants des Francs Tireurs et Partisans - Main-d’oeuvre immigrée (FTP-MOI), constitué de communistes étrangers, lance un explosif dans la salle à manger du rez-de-chaussée, tuant la femme d’un attaché du consulat d’Allemagne et un maître d’hôtel. Le général Mylo, commandant de la place de Marseille, proclame immédiatement l’état de siège. Cet attentat sert de prétexte aux opérations de destruction du quartier du Vieux-Port, prévues de longue date.

N° 271940-1942/ Boulevard d’Athènes, siège de l’AFSC (Quakers)

AFSC, article sur les Quakers , Marseille-Matin, 17 septembre 1940

DR

Après la défaite de la France, l’American Friends Service Comittee (AFSC, « Société des Amis ») a établi son siège au 29 boulevard d’Athènes. Les Quakers prolongent, en 1940, une tradition de secours déjà à l’œuvre pendant la Première Guerre mondiale et la Guerre d’Espagne. Reconnus par les autorités françaises, ils apportent une aide appréciable aux enfants des écoles et distribuent vivres et vêtements dans les camps d’internement. Mais ils prennent aussi en charge, avec une association française, le Comité de secours aux enfants, et le consulat du Mexique, des maisons d’enfants qui accueillent, en particulier, des petits réfugiés espagnols. Deux sont implantées dans la banlieue marseillaise, à La Rouvière et aux Caillols. Les Quakers sont aussi en lien avec le village refuge du Chambon-sur-Lignon.

Après l’occupation allemande de la zone Sud, la « Société des Amis », dissoute, dissimule ses activités sous le couvert d’une autre association caritative présidée par le doyen de la faculté de médecine, le « Secours Quaker ». Mais évidemment ses moyens d’action sont plus limités.

N° 285 juin 1943/ La Canebière, cinéma Le Capitole

Capitole, plaque monument les Mobiles

Le cinéma Le Capitole, situé en haut de la Canebière, a été réquisitionné comme salle de spectacle pour les troupes allemandes (Soldatenkino). Le 5 juin 1943, au sortir d’une séance réservée aux troupes d’occupation, une action est menée par un groupe des Francs Tireurs Partisans- Main d’Oeuvre immigrée (FTP-MOI). Une grenade blesse sept militaires, des civils et deux gardiens de la paix. Maurice Korsec, victime d’une chute, est arrêté immédiatement, ainsi que deux autres Français, Albéric d’Alessandri et Marcel Bonein. Ils sont tous trois fusillés, le premier, le 13 septembre 1943 et d’Alessandri et Bonein, le 1er novembre 1943. Une plaque commémorative a été apposée sur le monument des Mobiles.

N° 291940-1942/ 15, cours Joseph Thierry, consulat du Mexique

Photographie La Reynarde / Etats unis du Mexique

coll.famille Bosques

Le 23 août 1940, un accord est conclu entre le Mexique et le gouvernement de Vichy. D’une part, le Mexique s’engage à accueillir les républicains espagnols et les participants aux Brigades internationales, de l’autre, l’État français leur garantit le droit d’asile. Le consul général du Mexique en France, Gilberto Bosques Saldivar s’installe à Marseille après l’armistice, d’abord, 175, Boulevard de la Madeleine, puis 15, cours Joseph Thierry. Gilberto Bosques s’emploie à secourir et à sauver tous ceux concernés par l’accord du 23 août. Il loue deux grandes bastides de la Vallée de l’Huveaune (traditionnellement désignées comme « châteaux »), La Reynarde et le Château Montgrand, près de Saint-Menet. Il y loge des centaines de réfugiés espagnols, hommes (à La Reynarde), femmes et enfants (au château Montgrand). Ces deux « châteaux » deviennent des lieux de vie. Les hébergés cultivent les terres mises à leur disposition, coupent du bois, organisent divers ateliers et se rassemblent lors de fêtes et concerts. Une infirmerie et des écoles sont mises sur pied. Gilberto Bosques réussit à faire partir pour le Mexique des centaines de républicains espagnols, mais aussi des Juifs. Le régime franquiste tente, par tous les moyens, de se faire livrer ses ennemis. Après l’occupation de la zone sud, Gilberto Bosques, sa famille et le personnel du consulat, mis d'abord en résidence surveillée, à Amélie-les-Bains, puis au Mont d’Or, sont ensuite emmenés en Allemagne, à Bad Godesberg. Ce n’est qu’en février 1944 qu’ils peuvent regagner le Mexique, à la faveur d’un échange avec des prisonniers allemands.

N° 301941/ 3, rue du Relais, hôtel Aumage

Photographie Anna Seghers

Le cours Belsunce construit au XVIIIe siècle, devient, au XXe siècle, l’axe d’un quartier qui, entre le port et la gare Saint-Charles, accueille de nombreuses vagues d’immigration. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ses étroites ruelles offrent, en plein centre-ville de Marseille, un refuge provisoire aux étrangers fuyant la répression ou la misère. Il n’est donc pas étonnant qu’Anna Seghers ait attribué au héros de son roman Transit le domicile précaire d’un de ces hôtels douteux qu’elle connait bien pour y avoir habité. En 1940-1942, les réfugiés ne sont pas à l’abri des rafles. Pour échapper à celles-ci, le héros de Transit se hisse sur le toit de l’immeuble d’où il voit « la ruée des flics à tous les étages ». Revenu dans sa chambre, il constate que plusieurs locataires ont été emmenés par la police. Ce récit, réaliste, s’inspire sans doute de faits vécus.

N° 311940-1944/ Place Jules Guesde (rue des Présentines), prison des Présentines

Prison des Présentines

Collection Charles & Julien JANSANA

La prison des femmes des Présentines (du nom d’un ancien couvent) occupe pendant la Deuxième Guerre mondiale, l’emplacement de l’actuel hôtel de région, dans le quartier de la Porte d’Aix. De nombreuses résistantes y sont incarcérées, parmi lesquelles Raymonde Nédelec, future Raymonde Tillon. L’établissement est très dégradé et les conditions de détention sont particulièrement difficiles. Les cellules, envahies par les parasites, n’ont ni lavabo, ni WC, ni eau courante. Les détenues doivent vider leur tinette tous les matins. La prison des Présentines est abandonnée en mars 1943 et les détenues transférées dans le quartier femmes de la nouvelle prison des Baumettes.

N° 326 mai 1943/ 58, rue de la Joliette, centre de l’UGIF

Extrait de texte. Extraits de Raymond Raoul Lambert

Le 6 mai 1943, plusieurs dizaines de Juifs, hommes, femmes et enfants sont arrêtés par la Gestapo dans le centre de l’Union générale des israélites de France (UGIF) ouvert 58 rue de la Joliette. Une soixantaine d’entre eux est emmenée à la prison Saint-Pierre et la plupart sont déportés, en dépit des interventions de Raymond-Raoul Lambert. L’UGIF été instaurée par la loi du 29 novembre 1941. Son siège officiel à Marseille se trouve rue Sylvabelle. Raymond-Raoul Lambert, l’administrateur délégué en zone Sud, remplace en 1943, le président général Albert Lévy, réfugié en Suisse. Tous les Juifs sont tenus d’adhérer et de verser une cotisation à l’UGIF à laquelle sont dévolus les biens des associations juives désormais dissoutes. Mais certaines d’entre elles continuent à fonctionner clandestinement. C'est le cas, en particulier, des Eclaireurs israélites, devenus la « 6e section » au sein de la  4e direction « Jeunesse » de l’UGIF. Le journal de Raymond-Raoul Lambert témoigne de ses efforts pour aider et sauver le maximum de persécutés. Mais des résistants juifs considèrent l’UGIF comme un piège et détruisent, le 31 décembre 1943, rue Sylvabelle, les fichiers qu’elle a constitués.

La rafle du 6 mai 1943 est l’une des nombreuses opérations organisées dans la région par les services de la Gestapo jusqu’à l’été 1944. Elle entre dans le cadre de l’extermination des Juifs décidée par les nazis.

N° 331940-1942/ Boulevard des Dames, hôtel terminus des Ports

Fiche Terminus

Archives départementales des Bouches-du-Rhônes, 7 W 112

Entre septembre 1939 et l’été 1940, les hommes et femmes ressortissants du Reich, considérés comme sujets ennemis, sont internés, les premiers, dans le camp des Milles, près d’Aix-en-Provence, les secondes, à Marseille dans les hôtels Terminus des Ports, du Levant et Bompard. Sous le régime de Vichy, sont regroupés dans ces centres, les étrangers suspects, en instance de départ. Certains réussent à quitter la France. En août 1942, les Juifs étrangers, hommes, femmes et enfants raflés dans la région par la police française, dont les internées des hôtels de Marseille et leurs enfants, sont conduits au camp des Milles. Tous sont ensuite entassés dans des wagons de marchandises et convoyés vers Drancy ou Rivesaltes, puis vers les camps d’extermination.

N° 341940-1942/ 50, rue de Forbin, Seamen’s Mission

Couverture de Tartan Pimpernel

En 1940, Donald Caskie, pasteur de l’église écossaise, en provenance de Paris, ouvre à Marseille, rue de Forbin, dans le quartier du port, la Seamen’s mission (Mission des marins). De fait, sous couvert d’action caritative, le pasteur recueille et cache des pilotes britanniques abattus. Lié à l'Intelligence service, il fait partie du réseau Pat O’Leary dont l’objectif est de rapatrier ces derniers en Angleterre pour qu’ils puissent reprendre le combat. Mais, repéré par la police de Vichy, Donald Caskie est arrêté, incarcéré au Fort Saint-Nicolas et condamné par le tribunal militaire à deux ans de prison avec sursis. Interdit de séjour dans la cité phocéenne, il se replie à Grenoble où il reprend ses activités clandestines. Là, il est arrêté de nouveau par les Italiens. Livré aux Allemands, il échappe de justesse à la peine capitale. Il relate après guerre son action dans l’ouvrage The Tartan Pimpernel (Le chardon d’Écosse).

N° 351940-1945/ Place de la Joliette, Compagnie des Docks et Entrepôts

Gouache d'Antoine Serra «Dockers»

« Dockers », gouache sur papier d'Antoine Serra, coll. Jacqueline Serra

L’occupation allemande de novembre 1942 paralyse totalement le trafic du port de Marseille, déjà en difficulté depuis le début de la guerre. La Compagnie des Docks et Entrepôts de Marseille, l’une des plus importantes et des plus anciennes entreprises de manutention portuaire, a son siège place de la Joliette, au cœur du quartier portuaire. Faute de navires à charger ou décharger, elle voit ses activités chuter et un grand nombre de dockers se trouve sans travail. L’arrêt du trafic portuaire a également de lourdes conséquences pour l’industrie marseillaise dont les matières premières sont importées par voie maritime, en provenance principalement des colonies.

A la Libération, le trafic portuaire reprend, d’abord au service de l’armée américaine dont la région marseillaise constitue une base primordiale. Dans le cadre de l’effort de guerre, le commissaire de la République Raymond Aubrac réquisitionne cinq compagnies de manutention portuaire, dont la Compagnie des Docks et Entrepôts. Celles-ci sont dotées de comités de gestion auxquels participent les dockers.

N° 3624 janvier 1943/ Boulevard de Paris, vers la gare d’Arenc

Wagon gare d'Arenc

Barch, Bild 101 I-027-1477-07 / Wolfgang Vennemann

Le dimanche 24 janvier au matin, un grand nombre de personnes arrêtées au cours des deux jours précédents par la police française et détenues au commissariat central de Marseille (« l’Évêché ») ou à la prison des Baumettes sont conduites à la gare d’Arenc, gardée par un régiment de SS et des troupes françaises. Là, elles sont poussées par les SS dans les wagons de marchandises d’un convoi qui part vers 9h pour Compiègne. Les opérations sont surveillées par le général Felber, chef du groupe d’armée cantonné à Avignon, le colonel SS Griese et Karl Oberg, chef des SS et de la police.

A ce moment, commencent à arriver à la gare d’Arenc, par tramways et camions, les habitants des quartiers nord du Vieux-Port évacués de leur domicile avec quelques ballots. Ils sont entassés dans des wagons de marchandises à destination des camps de Fréjus où des « commissions de criblage » franco-allemandes examinent leur cas. La majorité d’entre eux est autorisée à rentrer dans les Bouches-du-Rhône à partir du 28 janvier. Mais plusieurs centaines d’autres sont encore déportés en zone Nord.

En mars 1943, 782 Juifs en provenance de Marseille sont transférés de Compiègne à Drancy et emmenés à Sobibor où ils sont exterminés. Les autres déportés du Vieux-Port sont envoyés en Allemagne dans des camps de concentration ou internés dans les îles anglo-normandes et mis au service de l’organisation Todt.

N° 371941 / 67/ rue de Rome, domicile du Dr Recordier

Photo d’Henri Frenay, in Henri Frenay, La nuit finira, 1973, Paris

Henri Frenay, est le créateur, à Marseille, de l’un des tout premiers mouvements de Résistance, le MLN (Mouvement de Libération nationale). Il publie, avec l’aide de Berty Albrecht, un petit journal dactylographié Les Petites ailes qui devient ensuite Vérités, puis Combat, après la fusion avec le groupe Liberté dirigé par François de Menthon et Pierre-Henri Teitgen. Son ami, le docteur Recordier, est l’une de ses premières recrues. La rencontre d’Henri Frenay avec Jean Moulin au domicile de Recordier est la première d’une longue série. En effet, Jean Moulin, après son retour de Londres en janvier 1942 comme délégué du général de Gaulle, travaille à unifier les mouvements de Résistance et à les lier à la France Libre. Créés au début de l’année 1943, les Mouvements unis de résistance (MUR) regroupent les mouvements Combat, Libération d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie et Franc-Tireur de Jean-Pierre Levy. La mise en place du Conseil national de la Résistance, le 27 mai 1943, permet de franchir une nouvelle étape du rassemblement des forces résistantes, de resserrer leurs liens avec la France libre et d’y faire participer les partis politiques et les confédérations syndicales clandestines.

N° 383 décembre 1940/ Voyage de Pétain, place Félix Barret, Préfecture

Pétain à la Préfecture

Plaquette du Petit Marseillais, « Voyage officiel du Maréchal Pétain, chef de l’État français, en Provence ».

Les 3 et 4 décembre 1940, le maréchal Pétain visite Arles, Marseille et Toulon, comme il l’a fait quelques semaines auparavant à Toulouse et à Lyon. Arrivé le 3 décembre au matin à la gare Saint-Charles, le maréchal parcourt, dans la cité phocéenne, diverses étapes soigneusement préparées autour des thèmes fondateurs du régime et de la Révolution nationale. Rien n’est laissé au hasard. Une foule énorme l’accueille et l’accompagne : cérémonie religieuse à la cathédrale, dépôt d’une gerbe au monument aux héros de l’armée d’Orient et des terres lointaines, visite aux grands blessés de l’hôpital Montolivet, revue des troupes de l’armée d’armistice sur le Vieux-Port. Une manifestation particulièrement importante a lieu devant la Préfecture : le maréchal reçoit, depuis le balcon de celle-ci, le serment, prononcé bras tendu, des membres de la Légion française des combattants (LFC), organisation qui devait être l’un des piliers du régime. Si ces manifestations traduisent le fort sentiment maréchaliste de la population, elles n’impliquent pas pour autant l’approbation de la politique du gouvernement. Ainsi, la politique de Collaboration suscite de vives réticences, comme le prouvent les rapports des préfets, les synthèses des écoutes téléphoniques et des interceptions postales.

N° 3921-24 août 1944/ Place Félix Barret, préfecture à la Libération

Appel CDL août 44

Après le débarquement des troupes américaines et françaises sur la côte varoise, le 15 août 1944, le comité départemental de Libération (CDL) des Bouches-du-Rhône et les organisations de Résistance de Marseille lancent un appel à la grève générale insurrectionnelle. Dès le samedi 19 août petits groupes de résistants commencent à harceler les troupes allemandes. Le CDL s’installe le 22 août dans la Préfecture prise par la Résistance. Les troupes françaises du général de Monsabert pénètrent dans Marseille le 23 août et, le lendemain, le Commissaire régional de la République (CRR) Raymond Aubrac, arrive à la préfecture au milieu des combats. Nommé par le général de Gaulle, il représente le gouvernement provisoire de la République pour toute l’actuelle région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Le 28 août, au moment même où les forces allemandes capitulent, Raymond Aubrac fait connaître ses priorités. La tâche est immense. Il lui faut procéder à l’épuration des collaborateurs, nommer de nouveaux responsables, affirmer l’autorité des pouvoirs républicains et assurer l’ordre, relancer la production et ravitailler une région sinistrée. Ce que le CRR commence à faire, avec l’aide du comité départemental de Libération, jusqu’à son rappel en janvier 1945.

N° 401940-1943/ 21, rue Roux de Brignoles, domicile du Dr Rodocanachi

Couverture de Safe houses are dangerous

Le docteur Georges Rodocanachi demeurant au 21 rue Roux de Brignoles a de multiples activités légales et clandestines. Il est médecin consultant du consulat américain pour les Juifs émigrants dont il facilite grandement le départ. Membre du conseil médical de l’hôpital Michel Levy, il déclare inaptes au service la plupart des Britanniques internés à Marseille, ce qui facilite leur rapatriement. Mais il fait partie également du réseau Pat (la Pat line, du pseudonyme de son dirigeant Pat O’Leary). Celui-ci tente de faire partir vers la Grande Bretagne, par tous les moyens, les pilotes britanniques abattus en France. Georges Rodocanachi en accueille d’ailleurs à son domicile. Il travaille en lien étroit avec Louis-Henri Nouveau, courtier en marchandises du port phocéen. Tous deux sauvent et permettent le rapatriement clandestin de centaines de militaires anglais. A la suite d’une trahison, ils sont arrêtés par la Gestapo en 1943 et déportés à Buchenwald où Georges Rodocanachi meurt au printemps 1944.

N° 411940-1944/ 35, rue Edmond Rostand, couvent des Dominicains

Cahiers du Témoignage Chrétien

Archives départementales des Bouches-du-Rhônes, 51 J

Le couvent des dominicains, rue Edmond Rostand, dont le prieur est Réginal de Perseval, a vu sa vie bouleversée par la guerre et la défaite de la France. Comme beaucoup de catholiques, les pères accueillent assez favorablement, pour ses valeurs proclamées, le régime de Vichy. Mais, rapidement, ils sont sollicités par des persécutés en situation difficile, Juifs en particulier, auxquels ils s’efforcent d’apporter leur aide. Par ailleurs, ils sont en contact avec un petit groupe catholique qui diffuse une feuille modeste, ronéotée au collège jésuite d’Avignon, puis imprimée à Marseille, La Voix du Vatican. Celle-ci se démarque du pétainisme ambiant par sa dénonciation feutrée de la Collaboration. Mais surtout, elle ouvre la voie dans la région à une publication d’origine lyonnaise, nettement hostile au nazisme, Les cahiers du Témoignage chrétien. C’est dans le parloir de ce couvent que le père Joseph-Marie Perrin présente, en décembre 1941, Marie-Louise David, la jeune responsable à Marseille de la diffusion du Témoignage chrétien, à Simone Weil. Celle-ci, jusqu’à son départ en mai 1942, participe très activement à cette activité. Elle mène parallèlement un intense dialogue spirituel, à propos du christianisme, avec le père Perrin qu’elle rencontre à maintes reprises

N° 421943-1944/ 425, rue Paradis, siège du SIPO/SD (Gestapo)

Siège de la Gestapo, photographie Julia Pirotte

Siège de la Gestapo à Marseille", Julia Pirotte, vers 1944, Collection musée d'Histoire de Marseille, MHM1986.8.74

Les services de la SIPO-SD, appelés le plus souvent « Gestapo », s’installent à Marseille dès l’occupation de la zone sud. Ils aménagent leurs locaux dans une villa au 425 rue Paradis. La SIPO-SD compte six sections. Certaines ont un rôle plutôt administratif, d’autres s’occupent du recrutement. La section IV prend en charge les arrestations, les interrogatoires et la sécurité militaire. Elle est, elle-même, divisée en plusieurs sous-sections. La sous-section IV E, avec Ernst Dunker-Delage, est spécialisée dans la répression de la Résistance et la section IV J pourchasse les Juifs. De nombreux témoignages de résistants font état de tortures pratiquées dans ces locaux également aménagés en cellules. Des Français, membres du Parti populaire français (PPF), sont stipendiés par la Gestapo et participent très activement à la répression de la Résistance et à la chasse aux Juifs et aux réfractaires au Service travail obligatoire (STO). Ernst Dunker est condamné à la peine capitale par le tribunal militaire de Marseille, le 24 janvier 1947, pour crimes de guerre, assassinats et actes de barbarie. Il est fusillé à Marseille, le 6 juin 1950.

N° 4321-25 août 1944/ Place Castellane. Combats à la Libération

Après les combats de la Libération, début du Boulevard Baille

Collection Charles & Julien JANSANA

A l’appel du Comité départemental de Libération et des organisations de Résistance, la grève insurrectionnelle commence à Marseille dès le samedi 19 août 1944. Des petits groupes de résistants attaquent les troupes d’occupation. Des combats importants ont lieu la semaine suivante autour de la place Castellane et au début du boulevard Baille. Les photographies prises après la capitulation allemande témoignent de la violence des engagements. Les résistants ne disposent pas d’un armement important, mais ils saisissent les armes des policiers français et en prennent à l’ennemi. D’autres affrontements ont lieu dans la ville, contraignant les troupes allemandes à se replier dans quelques bastions comme les forts, Notre Dame de la Garde et les îles. Une plaque commémorative rend hommage aux résistants tués dans les combats de la place Castellane, dont plusieurs cheminots des ateliers SNCF du Prado.

N° 441940-1944/ 31, avenue Cantini, siège du 4e Groupement de travailleurs étrangers (GTE)

GTE de Miramas

coll. Albert Veissid

Le numéro 31 de l’avenue Cantini est le siège de la direction du 4e groupement de travailleurs étrangers. Les groupes de travailleurs étrangers (GTE), qui dépendent de celui-ci, sont dispersés dans toute la région et employés à des tâches très diverses dans les usines de produits chimiques, les chantiers de constructions navales, les mines de lignite, sur les routes, dans les forêts ou les marais salants. Des internés du camp des Milles y sont régulièrement envoyés. Certains groupes ont une fonction disciplinaire comme à Aubagne. Les GTE de Miramas, dont on voit ici une photographie, travaillent pour les chemins de fer ou les usines proches. Les autorités françaises ou allemandes (à partir de 1942) puisent aussi dans leurs effectifs pour remplir les convois de déportation, vers Drancy, puis vers les camps d’extermination. Albert Veissid, interné au GTE de Miramas, est arrêté le 28 février 1944 par la police allemande et déporté à Auschwitz. Il revient du camp d’extermination où, récemment, on a retrouvé son nom dans une liste conservée dans une bouteille.

N° 451940-1945/ Place de la gare du Sud, Ateliers SNCF du Prado

Ateliers du Prado. Cheminots de Provence, juillet 1944

© Archives privées

Les ateliers SNCF du Prado, aujourd’hui disparus et remplacés par le parc urbain du XXVIe centenaire, sont l’un des principaux centres de la région pour la réparation et l’entretien du matériel roulant. Ils comptent en 1939, près d’un millier de salariés. Comme les usines qui les entourent, les Aciéries du Nord ou les Forges et Chantiers de la Méditerranée, ils sont un lieu important de Résistance ouvrière. Des feuilles clandestines y circulent et des collectes sont organisées en faveur des cheminots arrêtés. Des arrêts de travail ont lieu à la fin de l’année 1942 pour protester contre les réquisitions pour la Relève. La CGT, dissoute en 1940, se réorganise clandestinement, diffuse son journal Le Cheminot en Provence et appelle les cheminots à participer au grand mouvement de grève des 25-27 mai 1944. Plusieurs cheminots des ateliers du Prado tombent dans les combats de la Libération, sur la proche place Castellane ou près de la gare Saint-Charles.

N° 461940-1945/ 65, avenue Cantini / avenue de Toulon / Forges et chantiers de la Méditerranée

Forges et chantiers de la Méditerranée

Coll. R. Mencherini

L’entreprise Forges et Ateliers de la Méditerranée, domiciliée avenue de Toulon, aujourd’hui disparue, spécialisée dans les équipements pour les navires, s’est orientée, avant la guerre, dans la fabrication de matériel de combat. 500 salariés y sont employés en 1939. A la Libération, les dirigeants de l’entreprise sont emprisonnés et accusés de Collaboration avec l’Allemagne nazie. Les services du Commissariat de la République proposent la réquisition de l’entreprise, ce qui est fait par arrêté du 20 septembre 1944. Les Forges et chantiers de la Méditerranée font ainsi partie des 15 entreprises marseillaises réquisitionnées en 1944 par le Commissaire régional de la République (CRR), Raymond Aubrac, comme les Aciéries du Nord, Coder, l’Électricité de Marseille et cinq entreprises de manutention portuaires. Toutes sont dirigées par un directeur nommé par le CRR, assisté d’un comité de gestion. Cette mesure qui fait, « participer les travailleurs à la gestion de l’économie », comme le demandait le programme du conseil national de la Résistance, suscite des polémiques. Pourtant, le successeur de Raymond Aubrac, Pierre Haag, que l’on voit sur la photographie en visite aux Forges et Chantiers de la Méditerranée, en 1946, défend à son tour l’intérêt de ces réquisitions et estime qu’elles ont joué un rôle très positif pour la reconstruction économique du pays.

N° 4725 août 1944/ 26, rue Jules Moulet, passage vers Notre-Dame de la Garde

Tirailleurs vers Notre-Dame de la Garde

Collection Charles & Julien JANSANA

Dans la soirée du 22 août 1944, les tirailleurs de la 3e division d’infanterie algérienne (DIA), commandée par le général Goislard de Monsabert, atteignent les faubourgs de Marseille en passant par les collines. Le lendemain, ils pénétrent dans la ville par le Nord, tandis que les blindés du général Aimé Sudre arrivent aux Cinq Avenues et que les goumiers des tabors marocains font mouvement par l’Est et le Sud. Mais la ville est toujours sous le feu de quelques sites puissamment fortifiés comme la colline de Notre-Dame de la Garde où se sont repliées les troupes allemandes du général Schaefer. Celle-ci est très difficile d’accès. Mais il existe un passage, bien peu connu, qui, partant de la rue Cherchell (actuelle rue Jules Moulet) permet d’accéder à pied à la basilique. Le résistant Pierre Chaix-Bryan le signale aux troupes de Libération et guide les tirailleurs algériens vers le sommet de la colline.

N° 4825 août 1944/ Montée de l’Oratoire, char Jeanne d’Arc

Char Jeanne d’Arc

Collection Charles & Julien JANSANA

Le 25 août 1944, deux chars du 2e régiment de cuirassiers, le Jourdan et le Jeanne d’Arc, débouchent au sommet de la montée de l’Oratoire, face à la Basilique occupée par les troupes allemandes. Le Jeanne d’Arc, touché par des obus, s’enflamme et percute la résidence épiscopale. Le Joubert continue sa course, mais saute sur des mines et déchenille. Pourtant, en dépit des projections des lance-flammes, des salves d’obus et des rafales envoyées par les mitrailleuses des batteries environnantes et des îles, les tirailleurs algériens gravissent les pentes de la colline. Après 16 heures, ils donnent l’assaut final et atteignent l’esplanade où la garnison allemande capitule. Bientôt, le drapeau tricolore est déployé au sommet du clocher. Mais les obus continuent à tomber sur la basilique et ses environs jusqu’à la reddition totale des troupes d’occupation. Plusieurs dizaines de tirailleurs algériens trouvent la mort dans ces combats. En août 1946, le char Jeanne d’Arc, laissé en place, devient un mémorial.

N° 491940-1944/ Boulevard Chave-rue Georges, prison Chave

Prison Chave

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 9 J 79

La prison Chave, édifiée au XIXe siècle, est utilisée pendant la Seconde Guerre mondiale pour incarcérer des Juifs et des résistants. Ces derniers s’organisent et fabriquent, à l’intérieur même de la prison, un petit journal patriotique manuscrit, L’Aube de la Liberté. Plusieurs évasions permettent à certains d’entre eux de retrouver la liberté. Quelques-unes concernent des individus comme Jean Gemälhing, responsable du service de renseignements de Combat, puis des Mouvements unis de Résistance (MUR), qui s’enfuit le 11 février 1943. D’autres sont collectives comme celle organisée, dans la nuit du 22 au 23 mars 1944, par les Groupes-francs des MUR. Douze résistants qui ont franchi les murs d’enceinte peuvent alors reprendre le combat.

N° 501940-1944/ 80 rue Brochier, prison Saint-Pierre

Photographie du pasteur Marcel Heuzé

Photographie du pasteur Heuzé publiée par le Bulletin de l’église réformée évangélique de Marseille, 1er février 1946.

Les bâtiments de la prison Saint-Pierre, édifiés au XIXe siècle, abritent aujourd’hui les services de l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Juifs et résistants y ont été incarcérés. C’est le cas de Benjamin Crémieux, membre des Mouvements unis de Résistance (MUR), déporté et mort à Buchenwald. Le pasteur Heuzé, de l’Église réformée évangélique de Marseille, y est emprisonné pour avoir critiqué, dans une conversation, l’État français. Il est incarcéré dans une cellule réservée aux Juifs et assiste, autant qu’il le peut, les persécutés soumis à de dures conditions de détention. Il arrive à informer son épouse par des petits mots sortis sous le manteau. Le pasteur Heuzé est ensuite transféré à Compiègne, puis déporté à Ravensbrück où il meurt en 1945.

L’hôpital de la Conception, tout proche, accueille des détenus malades en provenance des prisons de Marseille. C’est le cas, en particulier, de Lucette Vigne que les MUR font sortir de la salle des consignés, le 28 décembre 1943 ou de la jeune résistante autrichienne, Mélanie Berger, emprisonnée aux Baumettes et hospitalisée à la Conception : ses camarades déguisés en militaires allemands, la font évader de l’hôpital.

N° 511942-1944/ débarcadère du Frioul

Îles de Marseille - Château de Marseille

Les îles, dont la situation permet de contrôler le port de Marseille et ses accès, ont été solidement fortifiées par les occupants. L’île du Frioul a été dotée de profondes galeries emplies de vivres et de munitions, de canons anti-aériens et de puissantes pièces d’artillerie. Ces dernières, pendant les combats de Marseille, font pleuvoir les obus sur les sites menacés par les troupes de Libération, Notre-Dame de La Garde en particulier. Une intervention lourde de l’aviation américaine est nécessaire pour les réduire. Le 26 août 1944, une escadre aérienne venue d’Italie largue des tonnes de bombes sur l’île transformée en cimetière. La réduction au silence ou l’investissement des points forts de l’armée allemande placent celle-ci dans une position intenable. Et, le 28 août 1944, le général Schaefer accepte l’intégralité des clauses de la capitulation.

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