La prise de possession du camp de Drancy

Légende :

"Un bruit s'est répandu la Résistance a délivré le camp de Drancy..."
Une journaliste de la Nouvelle Presse s'entretient avec des juifs récemment libérés de Drancy et hébergés dans les locaux de la Milice patriotique juive, 4 rue des Rosiers. Les rescapés lui racontent leur vie, ou plutôt leur survie, à Drancy : l'alimentation, les déportations, les tentatives d'évasion, les sévices jusqu'à la libération du camp. "Le 19 août, les représentants de la Résistance pénètrent dans le camp et libèrent les internés, journée inoubliable, pour nous rendus à la liberté, à la vie."

Type : Article

Source : © Université Mac Master Droits réservés

Détails techniques :

Document dactylographié de 3 pages

Date document : Fin août 1944

Lieu : France - Ile-de-France - Seine-Saint-Denis - Drancy

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Contexte historique

Après la percée d'Avranches le 30 juillet 1944, Raoul Nordling, consul de Suède, décide d’intervenir en faveur des prisonniers politiques. Il multiplie alors les déplacements et les entretiens. Connaissant les rouages de l'administration allemande, il utilise auprès de ses interlocuteurs un argument qui s'avère efficace : toute attitude humaine aujourd'hui passera à leur actif une fois la guerre finie. Il obtient ainsi de Pierre Laval et Otto Abetz un premier accord portant sur près de mille prisonniers politiques. Après leur départ, il parvient à arracher à Von Choltitz, le nouveau commandant du Gross Paris, la signature d'une convention plaçant tous les prisonniers politiques sous la protection conjointe du consulat de Suède et de la Croix-Rouge française.

C’est ainsi que le 17 août 1944, Raoul Nordling, signe avec le major Huhm, chef d’état-major du Militärbefehlshaber in Frankreich, un accord stipulant que la Croix-Rouge française est dorénavant chargée « de la direction, la surveillance et la responsabilité de tous les détenus politiques à quelques catégories qu’ils appartiennent, hommes ou femmes ». L’accord énumère la liste des lieux de détention concernés dont le camp de Drancy. Informé de cet accord, Lucien Rubel, chef du groupe franc parisien de l’Organisation juive de combat, se rend auprès du colonel Rol-Tanguy, chef régional des FFI, auquel il explique que c'est aux résistants juifs de libérer le camp de Drancy. Rol-Tanguy lui établit un ordre de mission.

Le 19 août, Marc Levy et Isidore Pohorylès, membres du groupe franc, volent une voiture pour cette mission. Partant de leur quartier général de la rue de Grenelle à Paris, avec au volant le Hollandais Joseph Linnewiel (Ad), Lucien Rubel, Tony Gryn, Albert Akerberg, Marc Levy et Isidore Pohorylès prennent la route de Drancy et se font ouvrir les portes du camp, où se trouvent encore 1 532 internés, dont Patricia Graff, la fiancée de Lucien Rubel.

Albert Akerberg et Tony Gryn ont apporté leurs témoignages sur cette prise de possession du camp.

Témoignage d’Albert Akerberg : "Notre objectif n°1, c’était Drancy, car on avait très peur qu’à la dernière minute les Allemands n’évacuent Drancy vers l’Est, ou ne le liquident. Je pense que notre attaque s’est passée aux alentours du 18 août ; les Allemands étaient encore à Paris. Nous avions une traction remplie d’armes. Mais nous n’étions pas tellement aguerris. Le plus aguerri, c’était peut-être encore moi, car j’étais sans doute le moins jeune. Les autres étaient des garçons de vingt ans, moi j’en avais trente. C’était toujours la même équipe. Nous sommes donc partis avec notre traction avant en direction de Drancy. Les Allemands n’étaient pas tellement combattifs à ce moment-là, ils nous ont mis en joue un certain nombre de fois, on a fait comme eux et puis on en est resté là. C’était avant même les combats de rue. Nous sommes arrivés à Drancy, je crois bien en effet que c’était le 18 août ; les Allemands avaient déjà remis le camp aux gardes mobiles français, donc le danger n’existait plus et nous n’avons pas sauvé Drancy. Cependant, les gendarmes français ne voulaient pas nous laisser entrer, nous avons "fait les méchants" et montrer nos armes ; finalement nous sommes entrés et vous imaginez l’accueil que nous avons eu. Il y avait encore beaucoup de monde à Drancy, entre autres la fiancée de Lucien Rubel qui avait été arrêtée en juillet avec le groupe de Lazarus et de Pohorylès qui avait été pris boulevard de Courcelles. Elle avait été torturée mais était restée à Drancy alors que les autres étaient partis dans le convoi précédent."

Témoignage de Tony Gryn : "Les Allemands venaient de quitter Drancy et avaient laissé des gendarmes français. Nous sommes arrivés avec l’ordre de libérer Drancy signé du colonel Rol-Tanguy, commandant des Forces françaises de l’intérieur pour l’Ile-de-France. C’était le premier ordre officiel signé par les FFI. De notre état-major de la rue de Grenelle jusqu’à Drancy, nous avons fait le trajet dans une Hamilcar que nous avions réquisitionné. Ad était le chauffeur. Avec nous se trouvait Lucien Rubel, qui a retrouvé au camp sa fiancée Patricia, avec une autre jeune fille – les deux seules, je crois, qui étaient encore là de tout notre groupe. (…) Nous avons parcouru tout Paris, arme au poing, avec des mitraillettes, de grenades. Nous avons croisé des camions et des voitures de l’armée allemande, allant dans tous les sens, préparant leur départ. Et les passants nous regardaient, car on voyait les mitraillettes hors de notre voiture. A notre arrivée à Drancy, les gendarmes se sont mis au garde à vous. Ils se sont mis à notre disposition. Nous avons trouvé là un autre groupe qui, à l’intérieur même du camp, avait formé un noyau de résistance (…) Ce groupe devait prendre le pouvoir intérieur parmi les 1500 Juifs qui étaient restés au camp."


Auteur : Fabrice Bourrée

Sources et bibliographie :

Mémorial de la Shoah, Paris :
- DLXI 35 – Fonds Anny Latour : témoignage de Tony Gryn
- DLXI-3 – Fonds Anny Latour : témoignage d’Albert Akerberg, février 1973
- DLXI-15 – Fonds Anny Latour : témoignage de Rachel Cheigam

Anny Latour, La Résistance juive en France, Paris, Stock, 1970.
Fabrice Virgili, « Raoul Nordling » in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2005.