Compte-rendu des événements survenus à Eysses les 19-20 février 1944

Légende :

Rapport officiel de l’inspecteur général des services administratifs, M. Breton, 23 février 1944.

Genre : Image

Type : Rapport officiel

Source : © Document conservé aux Archives nationales (Paris), cote : F1a/4552 Droits réservés

Détails techniques :

Rapport dactylographié de 8 pages. Dimensions : 26,5 x 19,5 cm.

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

Le document présenté est le compte-rendu des événements survenus à Eysses les 19 et 20 février 1944 établi par M. Breton, inspecteur général des services administratifs, et adressé à la direction générale de l’administration pénitentiaire. Il peut être décomposé en plusieurs parties :

- Les raisons de sa visite d’inspection à Eysses (la note de service du 29/12/1943 stipulait que la centrale devait être inspectée en priorité).
- Le début de l’inspection de l’établissement dans la matinée du 19 février 1944 (il visite « successivement la boulangerie, la buanderie, les deux quartiers cellulaires, la cuisine et un quartier en commun »).
- La poursuite de l’inspection en début d’après-midi (« Accompagné du directeur, du sous-directeur, de l’économe et du surveillant-chef, nous examinâmes successivement les ateliers de la menuiserie, de la forge et de la ferblanterie. »).
- Le déclenchement de l’insurrection des détenus lorsque l’inspecteur Breton et ses accompagnants pénètrent dans le chauffoir du préau 1. Il est à noter ici que le rapport ne fait pas état de la fresque patriotique ornant un mur du chauffoir et mentionnée par de nombreux détenus.
- L’attente jusqu’à la reddition des insurgés (vers 4h du matin). A plusieurs reprises, il souligne l’attitude de ses geôliers à son égard : « Je fus (…) l’objet de certains égards de la part des détenus qui vinrent demander si je n’étais pas trop mal, me placèrent une couverture pliée sous la tête, et une autre sur le corps » ; « Je n’ai pas été l’objet de mauvais traitements de la part des détenus ».
- Les combats dans le bâtiment administratif où se trouvait son collègue Carayon qui inspectait la comptabilité de l’établissement.
- Il fait état ensuite de l’attitude courageuse du personnel de direction et de surveillance et dresse un bilan des morts et blessés dans les deux camps (« chez les détenus, 1 tué, 2 blessés graves et 3 blessés légers »).
- Breton évoque aussi le rôle joué par le préfet Tuaillon, qui refusant le concours militaire proposé par les Allemands, évita certainement une effusion de sang.

Les inspecteurs Breton et Carayon quittent la centrale le 22 février 1944.


Auteur : Fabrice Bourrée

Contexte historique

Le 19 février 1944, Eysses est le théâtre d'une ambitieuse tentative d'évasion collective (de mille deux cents détenus politiques). Ce jour-là, alors qu'un inspecteur général effectuait une visite dans la centrale,  les détenus saisissent l'occasion pour le prendre en otage, ainsi que le directeur milicien de l'établissement, Joseph Schivo, et quelques membres du personnel, au moment où ceux-ci pénétraient dans le chauffoir du préau 1. Le plan, préparé depuis plusieurs semaines par l'état-major clandestin des détenus, consistait à s'emparer des gardiens et à se rendre maitre de la centrale en silence. Entre 14h, heure de la capture de l'inspecteur et du directeur au préau 1, et 17h, les détenus progressent, en silence, jusqu'au bâtiment administratif, capturant et ligotant les surveillants au fur et à mesure de leur avancée.

Cependant, l'alerte est donnée vers 17 heures par une corvée de droits communs de retour dans la détention. Alerté par des coups de feu, la garde extérieure met alors en batterie des armes automatiques aux fenêtres des bâtiments d'entrée donnant sur la cour d'honneur et commence à ouvrir le feu sur les locaux de détention. Les groupes de choc, formés en particulier d'Espagnols bénéficiant de l'expérience du combat à la faveur de la guerre civile, après avoir sommé en vain les GMR des tourelles de les laisser sortir, tentent, à plusieurs reprises, de franchir les murs de l'enceinte extérieure en attaquant le mirador nord-est à la grenade. Certains détenus atteignent les toits, tirent à coups de mitraillette sur les gardes, pendant que d'autres, protégés par des matelas, tentent de monter à l'échelle jusqu'au mirador de la porte Est. Toutes ces tentatives sont repoussées. Du coté des détenus il y a un mort - Louis Aulagne - deux blessés graves et trois blessés légers. On compte un tué et un blessé parmi le personnel pénitentiaire et seize blessés parmi les forces de l'ordre.   Vers 21 heures, les troupes d'occupation venues d'Agen encerclent la centrale, munies de pièces d'artillerie. Vers minuit, l'état-major des détenus, installé dans le poste de garde du bâtiment administratif, tente de parlementer plusieurs fois par téléphone avec la préfecture, demandant au préfet de les laisser sortir, en arguant de la qualité des otages qu'ils détiennent. C'est Auzias qui dirige ces négociations avec la préfecture afin d'obtenir une reddition acceptable. On libère alors le directeur Schivo qui confirme le traitement correct dont il a été l'objet et relaie la demande des détenus auprès des autorités. Il est ici intéressant de signaler que tous les témoins insistent sur l'attitude particulièrement veule du milicien qui, craignant pour sa vie, tentera de se justifier par toutes sortes d'attitudes mensongères, tout en faisant état de sa qualité d'officier français. Vers trois heures, le commandant des troupes allemandes lance un ultimatum donnant aux révoltés un quart d'heure pour se rendre sans condition, faute de quoi la centrale sera bombardée. Les détenus demandent alors, par l'intermédiaire du directeur, un délai d'une heure pour regagner leurs dortoirs et déposer les armes (temps également nécessaire pour faire disparaître un certain nombre de papiers compromettants), celui-ci ayant donné sa promesse d'officier qu'il n'y aurait pas de représailles. Ce délai est refusé. Conscient que la poursuite des combats se solderait par un échec,  les détenus libèrent les otages, abandonnent leurs armes (onze mitraillettes et huit grenades) et regagnent leurs dortoirs : il est environ quatre heures du matin.     


D'après l'ouvrage de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes, L’Harmattan, 2007.