Rapport de l'inspecteur d'académie des Bouches-du-Rhône, juin 1942

Légende :

Rapport mensuel de l'inspecteur d'académie des Bouches-du-Rhône au préfet régional, 26 juin 1942

Type : correspondance officielle

Source : © Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 76 W 48 Droits réservés

Date document : 26 juin 1942

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Dans ce long rapport (dix pages), l'inspecteur d'académie rend compte au préfet régional de la situation relevant de son domaine mais également de la réaction de la population en ce qui concerne le ravitaillement et qui pourrait constituer une note des Renseignements généraux. Comme dans les autres rapports, le vocabulaire employé use de tous les lieux communs de la propagande vichyste, « gravité paternelle, le Pilote qui guide la France, relèvement moral de notre Patrie malheureuse » et de l'obséquiosité.
L'attitude et l'état d'esprit des enseignants sont dépeints en des termes plus optimistes que dans le rapport du mois de mai (voir notice). La métamorphose politique y compris chez « les ex-militants d'extrême-gauche » se poursuit : « Nos inspectrices et nos inspecteurs ...Sont frappés d'entendre certains d'entre eux , ex-militants d 'extrême-gauche, exprimer spontanément leurs sentiments d'admiration et de respect à l'égard du Pilote qui guide la France à travers les passes dangereuses. » L'inspecteur d'académie balance entre étonnement et satisfaction : « Il est curieux et réconfortant de mesurer … le travail qui s'est fait dans les esprits depuis 2 ans. » Il balaie tout doute en créditant les nouveaux convertis de courage et de sincérité. Même Pierre Laval, revenu au pouvoir en avril et qui n'a jamais été populaire est maintenant apprécié (voir contexte historique). Cette appréciation est contredite par les rapports des Renseignements généraux : « A l'exception d'une faible minorité, la personnalité de Pierre Laval ne jouit d'aucune sympathie. On juge d'une humilité allant jusqu'à la platitude vis-à-vis de nos vainqueurs, ce qui est-dit-on, contraire à l'honneur des conditions de l'Armistice et à l'esprit du Maréchal. »
La participation des élèves aux manifestations de propagande se poursuit avec succès. Les élèves du primaire et du secondaire sont mobilisés pour produire des spectacles d’« Hommage aux Gloires de la France ». En page 6, cependant, sous la plume de la directrice du collège de jeunes filles d'Arles une critique de cette mobilisation est esquissée mais justifiée par la sous-alimentation des jeunes filles.

Le ministre de l'Education nationale et membre du PPF, Abel Bonnard, officialise le rôle des enseignants comme auxiliaires de la propagande gouvernementale dans la circulaire du 13 mai « le Maréchal l'a dit, la vie n'est pas neutre. Un enseignement de neutralité ne pourrait être qu'un enseignement de nullité... » L'inspecteur d'académie se rallie sans nuance à cette nouvelle orientation qui ne permet plus aux opposants de se dissimuler derrière un enseignement strictement disciplinaire : « Il n'y a qu'à relire cette circulaire pour se convaincre que l'abstention n'est que le masque d'un refus, et l'inertie une résistance. » Le discours du proviseur du lycée Thiers, longuement cité, montre comment les échelons intermédiaires de la hiérarchie collaborent avec vigueur à la politique d'endoctrinement voulu par le ministre. La neutralité est considérée comme une facilité, un refuge dans un monde aseptisé et ennuyeux. L'inspecteur d'académie demande au ministre d'aller plus avant et de donner des instructions précises afin de ne laisser aucune échappatoire aux enseignants qui ont l'expérience des réformes : « Il serait navrant que l'avenir donne raison à ceux qui reçoivent les Instructions nouvelles avec un doux scepticisme et attendent... d'autres Instructions... d'un autre Ministre. » L'inspecteur d'académie laisse entrevoir l'atmosphère en salle des professeurs : « A noter cependant que les Professeurs convaincus de la nécessité d'agir sur la jeunesse prêchent d'exemple et sont suivis par la masse des hésitants, des mous. »
Une autre initiative ministérielle est cependant analysée de façon plus critique : c'est l'institution du diplôme d'études primaire préparatoire (DEPP) qui devait réserver l'accès au lycée à une élite (voir contexte historique). Non seulement l'inspecteur d'académie critique la mise en œuvre de cette réforme mais il s'élève contre sa finalité même : « On ne saurait, en effet, faire décider tout l'avenir d'un enfant par un seul examen qu'il passe vers l'âge de 10 ou 11 ans. » . On peut supposer que le mécontentement des enseignants et des familles a été vif pour que l'inspecteur d'académie ne glorifie pas l'action de deux ministres de l'Education nationale, Jérôme Carcopino qui a créé le DEPP et son successeur Abel Bonnard qui défend un enseignement hiérarchisé et cloisonné dès le primaire.

L'application d'une autre réforme de Jérôme Carcopino est aussi source de déception : le soutien à l'enseignement privé (voir notice enseignement religieux dans les écoles publiques). Les subventions qui devaient permettre un rattrapage des salaires pour les institutrices et instituteurs du privé n'ont pas été versées.

Les difficultés matérielles de la population, en particulier le ravitaillement et la sous-alimentation sont comme dans le rapport précédent évoquées. Comme dans le rapport du mois précédent, ce sont les inspectrices qui s’en font les porte-parole. On perçoit une approche genrée des rôles masculin et féminin : aux femmes quelques soient leur fonction, le souci de nourrir leur famille.
Le dénuement dans le quartier populaire du Lazaret à Marseille est tel que les enfants sont pieds nus, ce qui les empêche de venir à l'école et par désœuvrement les pousse à la délinquance. Les mesures de police sont énumérées et montrent que les enseignants et les élèves continuent à être l'objet d'une surveillance sévère.
Très étonnamment, l'inspecteur d'académie se félicite de l'évaporation des élèves avant la fin officielle des classes « Il n'y a pas lieu de s'en plaindre, les enfants ayant besoin, avant tout, de manger à leur faim. »


Auteure : Sylvie Orsoni

Contexte historique

Lorsque l'inspecteur d'académie rédige son rapport, la France, par la voix de Pierre Laval, vice-Président du Conseil, s'engage dans une politique de collaboration accrue. Dans un discours radiodiffusé du 22 juin, Pierre Laval annonce que les travailleurs français seront envoyés en Allemagne, c'est la politique de « la Relève » qui devrait permettre la libération des prisonniers de guerre : « Ouvriers de France, c'est pour la libération des prisonniers que vous allez travailler en Allemagne. » Comme d'habitude, il est fait appel au devoir, au sens du sacrifice et à l'oubli des égoïsmes pour justifier que le gouvernement s'incline devant les exigences allemandes. Ce discours reste célèbre par la déclaration de Pierre Laval : « Je souhaite la victoire allemande, parce que sans elle, le bolchevisme, demain, s'installera partout. » Le préfet ne dissimule pas que l'opinion a réagi défavorablement au discours : « dans aucun milieu on ne s'attendait à une prise de position aussi nette... La phrase « je souhaite la victoire de l'Allemagne » a scandalisé au prime abord tous les milieux et a laissé un sentiment défavorable dans la plupart. »
La politique de relève laisse dubitatifs les provençaux et fournit rapidement à la Résistance des arguments efficaces.
Si l'inspecteur d'académie se permet de critiquer des mesures qui relèvent de son domaine, il se garde bien, même contre toute vraisemblance de faire de même à l'égard du gouvernement. Quel crédit le préfet qui dispose d'autres sources sur l'état d'esprit de la population accorde-il aux analyses de l'inspecteur d'académie ?


Auteure : Sylvie Orsoni

Sources
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi rouge, ombres et lumières, 2, Paris, Syllepse, 2009.