Un bon Français appelle à réprimer des élèves potentiellement résistants

Légende :

Lettre adressée au préfet des Bouches-du-Rhône pour dénoncer des activités suspectes dans les lycées Thiers et Longchamp

Genre : Image

Type : lettre de dénonciation

Source : © Archives départementales des Bouches-du-Rhône,76 W 115 Droits réservés

Date document : 6 novembre 1940

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Le 6 novembre 1940, deux mois après la rentrée scolaire, le préfet des Bouches-du-Rhône reçoit une lettre de dénonciation qui est pour une fois signée. L'auteur indique sa fonction et sa qualité d'ancien combattant qui tend à prouver qu'il a fait son devoir lors de la Grande Guerre. L'auteur répartit équitablement sa dénonciation entre le lycée Thiers, principal lycée de garçons de Marseille et le lycée Longchamp, établissement de jeunes filles.
Un grand élève du lycée Thiers aurait oser apposer sur des affiches dont on ne connaîtra pas le contenu, des papillons dénonçant la collusion du régime de Vichy avec l'occupant.
Au lycée Longchamp, des jeunes filles recruteraient pour le groupement « Cadoudal ». Pour l'auteur « son nom dénote, sans commentaire, son but ». Georges Cadoudal, général chouan commandant l'armée catholique et royale de Bretagne, se réfugia un temps en Angleterre et fut guillotiné en juin 1804 pour avoir comploté contre le Premier Consul, Napoléon Bonaparte. Pour l'auteur le rapprochement avec le général de Gaulle coule sans doute de source.
De tels faits « qui peuvent être considérés comme méfaits » appellent une réponse ferme qui devrait s'étendre à tous les établissements scolaires: « une descente de Police dans les écoles et lycées et une fouille des élèves serait une utile mesure. » Pour l'auteur de la lettre, la France doit être purgée de ses éléments indésirables « aventuriers qui encombrent encore trop notre pays. »
Le dénonciateur, tout à sa hantise sécuritaire et sa détestation de toute contestation, ne prend pas en compte le jeune âge de ses cibles et les conséquences que peut avoir sa lettre sur leur avenir. (voir contexte historique et album)


Auteure : Sylvie Orsoni

Contexte historique

Depuis le 10 juillet 1940, la Troisième République a cédé la place à l'Etat français présidé par le maréchal Pétain. Les mesures prises dès août 1940 ne laissent aucune illusion sur la nature antidémocratique, xénophobe et antisémite du régime. (voir notices « Une école nouvelle », « Une école épurée »). Très tôt cependant, la Résistance essaie de s'organiser et dans un premier temps de lutter contre la propagande gouvernementale par des inscriptions hostiles. Les établissements scolaires sont l'objet d'une surveillance étroite de la part des chefs d'établissement qui doivent rendre compte de tout incident à l'inspecteur d'académie qui en informe le préfet (voir notices « les rapports de l'inspecteur d'académie »).
Un mois après la dénonciation, l'inspecteur d'académie fait le point sur les incidents signalés.
Le proviseur du lycée Thiers prend toutes les mesures pour que son établissement ne soit pas le lieu de « propagande malfaisante ». L'avenir et la plaque commémorative apposée à la Libération dans l'établissement le démentiront. Il refuse toute fouille des élèves. Le résultat pourrait porter atteinte aux relations entre adultes et adolescents. Il promet de redoubler de vigilance et clôt ainsi le dossier. S'agit-il pour lui de protéger ses élèves ? De ne pas admettre qu'il a manqué de jugement? Pour la directrice du lycée Longchamp, le groupement Cadoudal, cercle royaliste, est connu de longue date des autorités. C'est à elles de réagir s'il le faut. Elle se bornera à rappeler que toute propagande religieuse ou politique est interdite dans l'établissement. Les élèves dotées d'esprit critique ne manqueront pas de relever que le gouvernement déploie sans limite sa propagande dans les établissements scolaires.
La directrice signale cependant des inscriptions « toutes récentes » sur les tables de l'amphithéâtre. Elles montrent que les élèves ne restent pas neutres et prennent partie. Les inscriptions reflètent les sentiments d'une grande partie de la population : partisans et adversaires de la France libre, soutiens du maréchal persuadés qu'il se partage les rôles avec de Gaulle, impopularité foncière de Pierre Laval. Il ne manque que des inscriptions pro ou anti communistes pour que le panorama soit complet.
L'enquête menée à la suite de la lettre de dénonciation a une conséquence immédiate pour une élève, auteure d'inscription, que l'inspecteur d'académie signale au recteur. La jeune fille risque l'exclusion et donc de voir ses études interrompues.


Auteure : Sylvie Orsoni

Sources
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.
Mencherini Robert, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3, Paris, Syllepse, 2011.