Témoignage de Germaine Madon, Rose- Provence, sur l'Organisation Universitaire- jeunes de Combat

Légende :

Témoignage de Germaine Madon, sur la branche jeunesse des MUR (Mouvements unis de Résistance), recueilli par le correspondant du comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale

Type : témoignage

Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône, 44 J 44 Droits réservés

Date document : 1948

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Dès la Libération, la commission d'histoire de l'occupation et de la libération de la France qui se fond dans le comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale à partir de 1951, recueille les témoignages de résistants. Germaine Madon, Rose-Provence, a rédigé le texte qui a été ensuite retranscrit. Ce témoignage est subjectif en particulier lorsque Germaine Madon donne son interprétation des arrestations qui déciment la direction de la section Jeunes de Combat. Il intervient plusieurs années après les faits. Les personnes citées le sont par leur pseudonyme de résistance qu'il n'a pas toujours été possible d'identifier. C'est cependant une source essentielle pour essayer d'approcher ce que furent pour les jeunes qui s'engagèrent dans la résistance ces années de lutte. Germaine Madon, Rose-Provence, appartient à la branche jeunes de l'Organisation Universitaire( O.U.) des MUR (voire contexte historique). Son témoignage s'étend de novembre 1943, après que le mouvement ait été durement touché par la vague d'arrestations opérée par la Gestapo à partir de mars (voire contexte historique)à juillet 1944, un mois avant le débarquement de Provence qui prélude à la libération de Marseille.
Les onze premières pages décrivent l'organisation et les actions la branche jeunesse des MUR. Les dix suivantes rapportent les circonstances, telles que le témoin les a perçu, des arrestations qui frappent en juillet 1944 la résistance provençale (voir le vallon des fusillés à Signes : la Résistance provençale fusillée in MUREL).

De ce rapport foisonnant on peut retenir quelques thèmes :

une organisation propre aux jeunes
L'Organisation Universitaire est scindée en deux secteurs : l'une qui s'adresse aux enseignants et l'autre aux jeunes, lycéens, étudiants, élèves d'écoles professionnelles. Les adultes apparaissent fugitivement comme le pasteur Henri Gennatas (Dupré, Jean Georges, Richemont) que Germaine Madon ne connaît que sous un de ses alias, Georges Cisson (Dubosc, Lucien), Georges Flandre (Montcalm), Paul Giraud (Thomas), chargé de relancer l'OU chez les instituteurs ou les parents qui acceptent que leur domicile deviennent plaque tournante de la Résistance. René Mariani (Gaillard) né en 1921 et Albert Chabanon (Valmy, Verdun, Verger) né en 1916 font figure d'aînés pour des garçons et des filles nés entre 1924 et 1925.
Les adultes sont des responsables des MUR comme le pasteur Henri Gennatas, chargé du secteur ROP (recrutement, organisation, propagande) des MUR, Georges Cisson, chef NAP (noyautage des administrations publiques) des MUR, Georges Flandre, capitaine de l'Armée du Salut interdite par le régime de Vichy qui représente le mouvement Combat au directoire des MUR. Les adultes valident les nominations au poste de responsable régional, fournissent les faux papiers indispensables aux jeunes qui ont atteint l'âge d'être envoyé travailler en Allemagne au titre du STO (Service du travail obligatoire). Ils n'échappent pas aux critiques. Germaine Madon, considère que leur inaction face à celui qu'elle considère comme un traître est une des causes des arrestations qui frappent ses camarades en juin et juillet 1944.

-une organisation très structurée qui s'étend sur les principaux établissements scolaires et universitaires de Marseille
Les pages deux et trois montrent la structuration géographique et par secteur d'activité de l'OU-jeunes. L'organisation par sizaine et trentaine reprend celle des adultes. La discipline est théoriquement stricte : l'instruction au maniement des armes et explosifs et les cours de secourisme sont obligatoires pour tous.

-une organisation mixte où les jeunes filles jouent un rôle spécifique mais « second »
Le rapport présente le rôle des jeunes filles (page cinq) dans les termes de l'époque : « Elles forment une organisation à part destinée à seconder celles de leurs camarades. » Comme dans les autres mouvements ou réseaux, elles sont agents de liaison, recueillent des renseignements sur les ennemis de la Résistance, agents de la Gestapo, miliciens, dénonciateurs, diffusent la presse de la Résistance non communiste. Elles courent les mêmes risques que les garçons. En page 6, Germaine Madon note l'arrestation de quatre résistantes.

-des relations parfois compliquées avec la résistance communiste.
Si à partir du printemps 1944, Germaine Madon indique que Valmy participe à des réunions rassemblant les représentants d'autres organisations de jeunes résistants dont les socialistes et les communistes, elle ne cache pas la rivalité qui pouvait exister entre mouvements. Valmy aurait du renoncer au titre initialement prévu pour le journal des MUR puis chercher un nouvel imprimeur à la suite d'une mauvaise manière des communistes. Que les incidents soient exacts ou non, la méfiance, voire le ressentiment sont indiscutablement présents.

-La « montée au maquis » et ses conséquences tragiques
Le débarquement de Normandie , le 6 juin 1944, fait espérer aux résistants provençaux une opération semblable sur les côtes méditerranéennes. Les jeunes sont particulièrement désireux de se battre sans mesurer ce que signifie l'organisation d'un maquis. L'improvisation du maquis de Vauvenargues prés d'Aix-en-Provence aboutit à son repli rapide. Le maquis du Pilon du Roi prés de Simiane-Collongue est repéré par des miliciens le 12 juillet. Les maquisards doivent également se replier . Henri Madon et le lieutenant Chateau arrivent à gagner le domicile familial des Madon. Toutes ces allées et venues attirent l'attention des Allemands et de la Milice. L'été 1944 voit la destruction de nombreux maquis de la région provençale.

– La vulnérabilité des résistants.
La lecture du témoignage de Germaine Madon montre combien les résistants étaient vulnérables. Très peu de Français voulaient prendre le risque d'héberger des résistants, de servir de boîte aux lettres, d'imprimer les journaux et tracts. Planques et imprimeurs servaient parfois à plusieurs groupes en dépit des consignes de sécurité. Les jeunes résistants évoluent dans un quartier restreint où leurs allées et venues ne pouvaient demeurés longtemps inaperçues. La nécessité d'unir les forces de la Résistance entraîne des réunions de responsables qui peuvent devenir autant de souricières et des arrestations en cascade. Le courage même des résistants qui ne veulent pas renoncer à la lutte si près du but se retourne contre eux comme le montre le récit de Germaine Madon.

Juin et Juillet 1944 voient une deuxième grande vague d'arrestations après la catastrophe de mars-septembre 1943. Le 17 juin, Albert Chabanon est arrêté et transféré au 425 rue paradis au siège de la Gestapo où il est torturé. Il arrive à faire parvenir des messages à ses camarades. Le 24 juin, il met en garde dans une lettre au langage codé, André Aune, Berthier, responsable de l'Armée secrète sur Marseille contre Day (voir notice Lettre d'Albert Chabanon, Valmy). Il donne également à ses camarades l'ordre de dispersion, consigne que ceux-ci ne suivent pas. Les arrestations se succèdent et décapitent l'organisation. Le 13 juillet, la Gestapo arrête René Mariani, Gaillard, qui avait succédé à Albert Chabanon, Valmy, Jean Lestrade, Chac, agent de liaison de Valmy. Le 17 juillet Guy Fabre, Berger, qui a remplacé Gaillard tombe à son tour. Max Loubat, Rivière, prend la direction des jeunes, secondé de Jean Fabre, Charles, Alain. Albert Chabanon, René Mariani, Guy Fabre, Jean Lestrade sont fusillés dans un vallon isolé de la commune de Signes (Var) avec d'autres responsables de la résistance provençale. Il est difficile pour Germaine Madon d'envisager une autre hypothèse qu'une trahison mais on ne trouve pas trace d'un jugement(sommaire ou pas) concernant Day .

Ce témoignage, plus spontané que le rapport officiel envoyé au Comité départemental de Libération( voire album) redonne vie aux jeunes membres de l'Organisation Universitaire. Leur jeunesse même était leur force, qui leur permettait de tenir malgré les dangers et leur faiblesse car comment vraiment croire que tout peut s'arrêter quand on a vingt ans?


Auteure : Sylvie Orsoni

Contexte historique

Combat naît en novembre 1941 de la fusion des mouvements créés par Henri Frenay et Bertie Albrecht d'une part et Pierre Henri Teitgen et François de Menthon d'autre part. Il est le principal mouvement de résistance non communiste en zone Sud.

Fin 1942, Jean Moulin préside un comité de coordination des mouvements de la zone Sud qui rassemble les principaux mouvements non communistes, Libération, Franc-Tireur, Combat. Début 1943, les trois mouvements fondent un comité de coordination : les Mouvements Unis de Résistance (MUR). Ils sont dirigés pour la région par Maurice Chevance. Fin 1943, l'unification se poursuit : les MUR et une partie des mouvements non communistes de la zone Nord forment le MLN (Mouvement de Libération Nationale).
La section universitaire de Combat est créée en juin 1942. Ses fondateurs sont des instituteurs membres de la tendance d'extrême gauche, Ecole émancipée, du Syndicat national des instituteurs (affaire Flora). Tous les services (SR, NAP, AS, Organisation Universitaire, faux papiers, groupes francs) et toutes les directions sont frappées.
Le pasteur Henri Gennastat, Dupré, Jean Georges, Isly, Richemond est chargé de reconstituer les services décimés. Il est affecté au ROP (recrutement, organisation propagande) de Combat. Déjà condamné à un an de prison par contumace par le tribunal de Digne, il doit se cacher à Marseille. Il est hébergé par la famille Madon au 10 rue Pierre Puget (devenue rue Albert Chabanon après la Libération). Le secteur Organisation universitaire (O.U.) connaît un développement très important. Le secteur enseignant est dirigé par Henri Fluchère, professeur d'anglais au lycée Thiers qui remplace Jean Duprat, Miage, arrêté dans le cadre de l'affaire Flora.
Le secteur jeune a pour responsable régional Albert Chabanon, Valmy. Son adjoint est René Mariani, Gaillard, et son agent de liaison Jean Lestrade, Chac, Prado.
Henri Madon, Norrières, et sa sœur Germaine, Rose Provence, font partie des cadres de la section jeunes.
Germaine Madon montre la multiplicité des activités de l'O.U. ,distribution de la presse résistante, sans exclusive, recherche de renseignements, en particulier sur les collaborateurs et surtout préparation aux combats qui doivent permettre la libération du pays. Les jeunes sont en contact avec les adultes responsables de l' OU mais aussi des autres secteurs des MUR. Ces jeunes résistants se recrutaient dans le cercle restreint des quelques lycées et écoles professionnelles, évoluaient dans les mêmes quartiers et ne respectaient pas toujours les consignes de sécurité élémentaires.
Le débarquement de Normandie du 6 juin 1944 fait espérer un débarquement prochain dans le sud. Les jeunes gens « montent au maquis » dans l'impréparation et l'improvisation au moment où la répression allemande se fait encore plus féroce.
Sous l'impulsion de Dunker-Delage, chargé de la répression de la Résistance au sein de la SIPO-SD (Gestapo) de Marseille, les maquis de la région et les résistants des villes sont décimés entre juin et juillet 1944. Les jeunes de l'O.U. sont frappés comme les adultes, Robert Rossi, chef régional des FFI en tête. La trahison de Day n'ayant pas été établie, les adultes ont refusé qu'il soit exécuté. Les survivants poursuivent la lutte au sein des FFI puis pour certains dans l'armée du général de Lattre de Tassigny.


Auteure : Sylvie Orsoni

Sources
Echinard Pierre, Orsoni Sylvie, Dragoni Marc, Le lycée Thiers, 200 ans d'histoire, Aix-en-Provence, Edisud, 2004.
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.
Mencherini Robert, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3, Paris, Syllepse, 2011.
Mencherini Robert, La Libération et les années tricolores (1944-1947) Midi rouge, ombres et lumières. 4, Paris, éditions Syllepse, 2014.