André Weil-Curiel

Légende :

Le 11 novembre 1940 à l'aube, André Weil-Curiel et Léon-Maurice Nordmann déposent aux pieds de la statue de Georges Clemenceau une gerbe de fleurs accompagnée d'une carte de visite au nom du général de Gaulle.

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © Archives de la Préfecture de Police, BA 2095 Droits réservés

Détails techniques :

Photographie analogique en noir et blanc

Date document : Janvier 1941

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

Ajouter au bloc-notes

Contexte historique

André Weil-Curiel est né à Paris le 1er juillet 1916 dans une famille aisée. Il est le fils d'un négociant prospère. Elève au lycée Janson-de-Sailly à Paris, il passe son baccalauréat au lycée de Reims. Après avoir obtenu une licence en droit, il s'inscrit au Barreau de Paris comme avocat en 1932 et devient secrétaire de la Conférence du Stage en 1936.
Très jeune, André Weil-Curiel s'est engagé en politique. Dès 1930, il adhère aux Jeunesses socialistes. A 17 ans, il est l'un des fondateurs du Groupe universitaire des Amis de l'Union soviétique et milite activement à la Ligue d'action universitaire républicaine et socialiste (LAURS).
Secrétaire général du Cercle des étudiants de la Ligue des droits de l'Homme, il est partisan de la réconciliation franco-allemande et participe à des rencontres de jeunes des deux côtés du Rhin. C'est dans le cadre de ces échanges qu'il se lie d'amitié en 1930 avec Otto Abetz, futur Ambassadeur de Hitler en France.
Franc-maçon (loge "Union des Peuples" de la GDLF), membre de la SFIO, il milite en faveur de la constitution d'un Front populaire rassemblant l'ensemble de la gauche au lendemain des événements du 6 février 1934.
A trois reprises avant-guerre, en 1935 (dans le VIe arrondissement de Paris), 1936 (Ve arrondissement de Paris) et 1937 (Saint-Denis), il est le candidat malheureux de son parti à des élections législatives.
De 1936 à 1938, il est Secrétaire général à la propagande de la Fédération socialiste de la Seine. Membre du courant "Gauche socialiste" au sein de la SFIO, il adhère à cette date au Parti socialiste ouvrier et paysan dirigé par Marceau-Pivert ; il en démissionne rapidement en raison de son opposition aux accords de Munich (1938).

Mobilisé en 1939, élève-aspirant en janvier 1940, il fait la campagne de France avec le grade de caporal comme agent de liaison auprès de l'armée britannique.
Au moment de la débâcle, il est évacué vers l'Angleterre par la Belgique.
À Londres, le 19 juin 1940, il est un des premiers Français à rallier De Gaulle et assure pendant deux jours le service du planton en compagnie de Georges Boris, ancien collaborateur de Léon Blum, rescapé de Dunkerque.
Le 18 juillet 1940, André Weil-Curiel rentre en France par bateau via le Portugal et l'Espagne. Il le fait sur ordre de Boislambert, chef de cabinet du général de Gaulle, qui lui a confié une mission informelle d'exploration et de renseignement sur la situation en France.
En zone Sud, il prend contact avec des militants et des dirigeants socialistes et syndicalistes comme Vincent Auriol et Léon Jouhaux. Après un passage par Vichy, il gagne Paris le 25 août 1940 et poursuit ses prospections, utilisant ses réseaux et son carnet d'adresses. Avec d'anciens confrères du barreau, appartenant à des sensibilités politiques variées (parmi lesquels Léon-Maurice Nordmann, René Georges-Étienne, Jean Victor-Meunier et Albert Naud), il met sur pied un cercle de résistance baptisé "France libre".
Le 11 novembre 1940 à l'aube, c'est ce groupe qui dépose aux pieds de la statue de Georges Clemenceau une gerbe de fleurs accompagnée d'une carte de visite au nom du général de Gaulle.

Par l'intermédiaire de Paul Rivet, camarade de parti et directeur du Musée de l'Homme, il entre en relation, au début de l'automne 1940, avec le groupe du Musée de l'Homme dont les deux chevilles ouvrières, le linguiste Boris Vildé et l'ethnologue Anatole Lewitsky, cherchent à fédérer les initiatives naissantes.
Le noyau animé par Weil-Curiel et Nordmann s'intègre vite à la nébuleuse clandestine formée autour du groupe constitué au Palais de Chaillot ; il en distribue les tracts et le journal (Résistance), collecte des renseignements et noue des contacts avec d'autres pionniers.
Mais son activité principale est la recherche de filières de passage vers l'Angleterre. C'est dans cette optique que Weil-Curiel effectue plusieurs voyages en Bretagne en compagnie d'Albert Gaveau, agent de liaison que Vildé a mis à son service mais qui est en réalité un agent double infiltré par les Allemands.
Les tentatives de départ par bateau ayant échoué, Weil-Curiel repasse en zone libre alors que les arrestations touchant le réseau du Musée de l'Homme se multiplient à partir de janvier 1941.
Le 5 mars 1941, il est interpellé à son tour, au passage de la ligne de démarcation, à La Haye-Descartes, sur dénonciation de Gaveau qui se trouve avec lui.
Transféré à Paris et interrogé rue des Saussaies par le Capitaine Doering du SD allemand, il est bien traité en raison de son amitié passée avec Otto Abetz.
Un accord est rapidement trouvé et Weil-Curiel, en échange de sa libération (avril 1941) et contre rétribution, accepte de fournir des renseignements aux Allemands sur Vichy.
Sa responsabilité n'est, semble-t-il, pas engagée dans les coups de filets qui déciment le réseau du Musée de l'Homme au printemps 1941.
Cependant, il a accepté de jouer un double-jeu dangereux, persuadé d'être en mesure de "rouler" les Allemands : tout en rédigeant régulièrement et pendant plus de six mois des rapports destinés au SD, Weil-Curiel prévient Londres, via l'Ambassade des Etats-Unis à Vichy, qu'il est "grillé" et qu'il fait semblant de travailler pour les Allemands.
Mais dans le même temps et alors qu'il est peut-être surveillé, il poursuit ses prospections dans les milieux résistants et à ceux, nombreux, qu'il rencontre, il ne dit rien de son aventure et des conditions troubles de sa libération. Ce silence et cet activisme constituent une grave négligence en matière de sécurité et témoignent, au mieux, de la naïveté et de l'inconscience d'un homme qui, voulant à tout prix jouer les premiers rôles, s'est retrouvé dépassé par les événements.
Il réussit finalement à quitter la France en décembre 1941, passe par l'Espagne et parvient à Londres en mars 1942.
Prétendant s'être évadé des locaux de la Gestapo, il est interrogé par le service du contre-espionnage du BCRA qui ne tarde pas à relever des contradictions dans ses déclarations et à "casser" son témoignage.
Alors que la rumeur sur son rôle équivoque se répand dans les cercles Français libres, il est nommé aspirant et quitte l'Angleterre en mai 1942 pour les îles du Pacifique. En octobre 1942, après un passage en Nouvelle-Calédonie, il est muté à Tahiti comme aspirant comptable dans la compagnie coloniale, poste qui s'apparente à une véritable mise à l'écart pour un homme qui se targuait d'être un des premiers envoyés du général de Gaulle en France.
André Weil-Curiel cherche dès lors à repartir sur les théâtres d'opération en intégrant une unité combattante mais ses nombreuses démarches resteront toujours lettre morte.
Il ne quitte la Polynésie qu'en avril 1944 et après un bref séjour à Alger, rejoint la métropole à la Libération.

Soupçonné par certains de ses anciens compagnons de lutte d'avoir trahi, il est finalement "blanchi" par un Jury d'honneur de la France combattante réuni à sa demande en 1946.
Inculpé "d'attentat à la sécurité extérieure de l'Etat" et "d'intelligence avec l'ennemi" devant la cour de justice de la Seine, la procédure qui le vise est classée sans suite à la fin du mois d'octobre 1946.
Enfin, cité comme témoin lors du procès d'Albert Gaveau qui se déroule en octobre et novembre 1949 devant la même cour de justice de la Seine, il doit à nouveau s'expliquer sur ces silences et ses relations avec le SD.
En 1948, après plusieurs refus du Conseil de l'Ordre des avocats, il est finalement autorisé à se réinscrire au Barreau de Paris et peut reprendre son activité d'avant-guerre.
Conseiller municipal de Paris de 1959 à 1965, d'abord en tant que membre du groupe socialiste puis comme non-inscrit après sa démission de la SFIO en 1963, il tente à nouveau et toujours sans succès, sa chance aux législatives en 1956, 1958 et 1962.
A partir de cette date, il se définit lui-même comme un "gaulliste de gauche".
André Weil-Curiel meurt en janvier 1988.

Décorations :  
Médaillé de la Résistance, Croix de guerre et officier de la Légion d'honneur


Notice extraite du DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004

Auteurs : Liora Israël et Julien Blanc

Sources et bibliographie :
Archives nationales, 72 AJ 66 (dossier "réseau du musée de l'Homme") ; Z6 810 (Cour de Justice de la Seine, procédure contre Albert Gaveau) ; Z6 NL 10763 (Cour de Justice de la Seine, procédure contre André Weil-Curiel) ; 3 AG 2 (20, 183, 343) (archives du BCRA). Archives de la Ville de Paris, 1320 W (135) (épuration des avocats, dossier d'André Weil-Curiel).
SHD Vincennes, GR 16 P 601896, dossier individuel d'André Weil-Curiel.
Archives privées d'André Weil-Curiel, correspondance.
Archives privées de Germaine Tillion, dossier individuel d'André Weil-Curiel constitué par l'officier liquidateur en vue de son homologation au "réseau du musée de l'Homme".
Germaine Tillion, "Première Résistance en zone occupée (Du côté du réseau "Musée de l'Homme-Hauet-Vildé")" in Revue d'Histoire de la Deuxième Guerre mondiale, n° 30, avril 1958.
Martin Blumenson, Le Réseau du musée de l'Homme, Paris, Le Seuil, 1979.
André Weil-Curiel. Le Temps de la honte, Paris, Edition du Myrte, 3 vol., 1945-1947.