Dénonciation d'une institutrice d'Auriol, Bouches-du-Rhône.

Légende :

Lettre anonyme dénonçant au préfet une institutrice d'Auriol, Bouches-du-Rhône,

Genre : Image

Type : lettre anonyme

Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône, 4 M 2438 Droits réservés

Date document : début janvier 1940

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Début janvier 1940, le cabinet du préfet reçoit une lettre anonyme dénonçant madame Daurel, institutrice à Auriol. Le document conservé aux archives est une copie de l'original qui était sans doute manuscrit (mention au crayon en marge « copie par A Jaubert aux fins d'enquête). L’auteur se présente comme un soldat en permission, un vrai Français, patriote et soucieux de ses devoirs. Madame Daurel serait une militante communiste et pervertirait les enfants « qui sont sous ses ordres ». Ce terme traduit une singulière conception du métier d'enseignant.
Pour illustrer sa dénonciation, l'auteur de la lettre cite deux exemples tendant à prouver l'absence de patriotisme de l'institutrice : elle aurait fait enlever à une élève une cocarde tricolore et consacrerait les trois quarts de l'argent qu'elle recueille aux réfugiés espagnols, considérés en bloc comme communistes et seulement un quart aux soldats français.
La violence du ton culmine dans le post-scriptum qui menace physiquement l'institutrice.

Cette lettre rassemble toutes les caractéristiques des dénonciations adressées par un partisan de l'extrême-droite :
– violence des propos : « cette saleté de femme »,« SUPPRIMER cette institutrice, poison de la jeunesse », « si à mon retour de permission, elle y est encore, je lui casse la gueule .»
– conception d'une France divisée entre vrais Français incarnés par l'auteur et membres de l' Anti-France, au premier rang desquels les communistes, incapables d'être patriotes et qui préfèrent les étrangers, ici les réfugiés espagnols tous suspectes d'être des rouges, aux soldats qui risquent leur vie pour la patrie.
– Lâcheté de l'auteur qui peine à justifier qu'il garde l'anonymat : en quoi un soldat serait-il tenu à l'anonymat en la circonstance ?
– Accusations tenant du fantasme et/ou des ragots comme le montre l'enquête menée par le commissaire chef des services de la police spéciale, c'est à dire de la police chargée des enquêtes politiques. (voir album et contexte historique)


Auteure : Sylvie Orsoni

Contexte historique

Cette lettre est envoyée pendant « la drôle de guerre », c'est à dire la période qui s'étend de la déclaration de guerre de la France à l'Allemagne (1e septembre 1939) à l'offensive allemande (13 mai 1940). Elle montre que la France est profondément divisée et marquée par les haines politiques qui se sont exacerbées pendant le Front populaire. L'auteur a recours aux expressions chères à l'extrême-droite : vrais Français contre Anti-France, crainte de la trahison interne (l'auteur reprend les termes de l'extrême-droite allemande du coup de poignard dans le dos), appel à la violence politique.
Le Parti communiste comme toutes ses organisations annexes avait été interdit par le décret du 26 septembre 1939. Le cabinet du préfet transmet donc la dénonciation à la police spéciale chargée des enquêtes politiques. Le commissaire responsable du service, rend compte des résultats de ses investigations.
-L'institutrice incriminée est une excellente enseignante, elle est directrice de l'école de filles d'Auriol. Elle n'est pas liée au Parti communiste. Elle est syndiquée et a fait grève le 30 novembre 1938 (grève nationale pour protester contre la remise en cause de certains acquis du Front populaire). Le commissaire précise qu'elle était la seule syndiquée à Auriol et la seule à avoir fait grève. Cet engagement n'appelle pas de commentaire négatif de la part du commissaire qui en fait état par souci d'exactitude.
-l'auteur de la lettre ne connaît pas l'institutrice puisqu'il écorche son nom : Daniel et non Daurel. Les exemples qu'il utilise à l'appui de sa dénonciation ne correspondent pas à la réalité.
-L'épisode de la cocarde remonte au début de la guerre. Madame Daniel a demandé à une élève porteuse d'une cocarde très voyante de la retirer mais n'a pas insisté devant le refus de l'enfant soutenue par sa famille (les Delestang cités dans la lettre).
-Madame Daniel fait partie du Comité d'accueil des réfugiés et recueille bien des dons dans sa classe mais les sommes collectées ne sont pas à sa disposition. Elles sont envoyées à la section provençale dont la responsable régionale est madame Angles, Inspectrice Générale à la retraite. Les majuscules suggèrent l'éminence de la fonction et le respect qu'elle inspire. Madame Daniel est également membre du comité français de secours aux enfants, association légale.
Le commissaire conclut à l'absence de charges pesant sur madame Daniel. On ne sait pas si l'auteur de la lettre a mis ses menaces à exécution.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources
Mencherini Robert, Midi rouge, ombres et lumières. 1. Les années de crise, 1930-1940. Paris, Syllepse, 2004.