Consignes de contrôle des « indésirables » français et étrangers, 8 juillet 1940.

Type : directive administrative

Producteur : MUREL PACA

Source : © Archives des Bouches-du-Rhône, 76 W 105 Droits réservés

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Auvergne) - Puy-de-Dôme - Clermont-Ferrand

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Analyse média

L'État-Major de l'armée, replié à Clermont-Ferrand adresse aux commandants des régions militaires de la zone non occupée les consignes à observer à l'égard des « indésirables » français et étrangers. Tout d'abord, la dépêche rappelle la législation en vigueur (voir contexte historique).

 

Les « indésirables » français et étrangers relèvent en juillet 1940 de plusieurs catégories. Certains sont internés dans des centres de séjour surveillés autrement dit des camps, ce sont les « indésirables civils ». D’autres sont incorporés dans des régiments spéciaux, les compagnies de passage spéciales ou régiment de marche des volontaires étrangers (RMVE). Enfin certains, toujours sous la tutelle du ministère de la Guerre, sont enrôlés dans les Compagnies de travailleurs étrangers (CTE). L'État-Major réclame un état numérique de ces différentes catégories.

 

Le contrôle des indésirables ne doit pas se relâcher et l'internement doit se poursuivre. Il concerne en particulier les « indésirables » qui ont combattu dans les RMVE ou ont été incorporés dans les CTE. Aucune reconnaissance particulière ne leur ait accordée. L'armistice entraîne leur démobilisation sans pour autant leur libération. L'internement est la norme, la libération l'exception.

Cet article a reçu du commandement de la XVe région militaire, celle des Bouches-du-Rhône, une attention particulière puisqu'il est marqué et souligné. La situation de la France après l'exode et l'armistice ne permet pas d'organiser les transferts de grande ampleur : « Chaque région conservera ses indésirables ». Le laconisme même de la phrase permet de sentir comment les opposants politiques, les réfugiés détenteurs du droit d'asile sont considérés par l'autorité militaire.

Enfin, à l'internement s'ajoute le travail forcé.

Cette dépêche télégraphique dans sa forme très resserrée résume l'attitude des autorités françaises à l'égard d'une catégorie en extension constante depuis 1938, celle des « indésirables ».

 


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Lorsque cette dépêche télégraphique est envoyée, la IIIe République n'a plus qu'un jour à vivre. L'offensive allemande qui a débuté le 10 mai 1940 a entraîné l'effondrement du pays. L'armistice est signé le 22 juin et entre en vigueur le 25. Le 2 juillet l'Assemblée nationale a été convoquée à Vichy et le 9 juillet, les deux chambres ont décidé de la révision des lois constitutionnelles fondant la IIIe République. Dans ce contexte chaotique, l'État-Major, replié à Clermont-Ferrand règlemente la condition des « indésirables ».

La notion d'indésirables s'est d'abord appliquée aux étrangers puis étendue aux Français.

Le décret-loi du 12 novembre 1938 permettait l'internement des étrangers dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique. Le décret-loi du 18 novembre 1939 étend la possibilité d'internement aux Français sur décision du préfet. Dans les deux cas, le préfet n'a pas besoin de constater des délits. Il interne sur simple présomption de dangerosité.  L'article 3 de la loi du 18 novembre 1939 permet d’astreindre les « indésirables » à « tous travaux intéressant la défense nationale. » A partir de 1939, de nombreux camps s''ouvrent en France. Des dizaines de milliers d'hommes, femmes et enfants, s'y entassent dans des conditions déplorables.

 La menace de guerre a amené les autorités françaises à prendre des mesures en vue d'un conflit éventuel. La loi du 18 juillet 1938 sur « l'organisation de la Nation en temps de guerre » instaure le principe de la réquisition des Français âgés de plus de 18 ans. Le 20 mars 1939, un décret étend les dispositions de la loi du 18 juillet 1938 aux réfugiés espagnols puis le décret du 12 avril 1939 impose aux réfugiés bénéficiant du droit d'asile les obligations prévues par la loi du 18 juillet 1938. Ceux qui refusaient de remplir ces obligations perdaient le bénéfice du droit d'asile et l'autorisation de résider en France. Le 5 mai 1939, le ministre de l'Intérieur, Albert Sarraut, incite les préfets à utiliser les réfugiés espagnols pour « transformer cette masse inorganisée et passive que constituent les réfugiés en éléments utiles à la collectivité nationale. »  Avant la déclaration de guerre, l'engagement dans les CTE se fait sur la base du volontariat. Après, il est obligatoire.  Les membres des CTE sont sous la tutelle du ministère de la Guerre. Ils sont encadrés par des officiers et sous-officiers de l'armée française. Ils travaillent dans les mines, la métallurgie, l'industrie électrique, le bâtiment et l'agriculture. Le commandant du CTE passe un contrat avec l'employeur et reçoit les salaires qui sont versés au Trésor public. Le prestataire reçoit une solde de 50 centimes par jour. C'est donc une main d'œuvre très bon marché qui est mise à disposition des entreprises.

L'engagement militaire des « indésirables » est plus complexe et dépend de la nationalité des intéressés. Les Polonais et Tchèques sont autorisés à former des armées nationales. Les Italiens sont versés dans la Légion étrangère. Les Espagnols ou les ressortissants d'Europe centrale peuvent aussi s'engager dans la Légion ou dans les RMVE. Au camp du Barcarès (Pyrénées orientales) sont créés les 21e, 22e, et 23e RMVE. Les ressortissants du Reich suscitent la plus grande méfiance alors même que beaucoup sont des opposants au nazisme. A la rigueur, ils peuvent s'engager dans la Légion mais sont envoyés en Afrique du Nord. Pour la plupart, le camp d'internement est leur seul horizon.

 

Ces instructions, alors que la France est en plein chaos, montrent que la volonté de contrôler une population stigmatisée depuis des années sous le terme d’« indésirables » demeure une priorité. Elles préparent les mesures à venir de Vichy qui reçoit en héritage une législation répressive, une myriade de camps concentrant des dizaines de milliers de personnes et une opinion publique habituée à la stigmatisation de l'autre.


Sylvie Orsoni

Sources  

 Grynberg Anne, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, La Découverte/Poche, Paris, 1999.

Mencherini Robert, Midi rouge, ombres et lumières. 1. Les années de crise, 1930-1940. Paris, Syllepse, 2004.

Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.

Parello Vincent, Les compagnies de travailleurs étrangers (CTE) en France à la fin de la IIIe République. In Bulletin hispanique, 118-1/2016, pages 233-250

 Peschanski Denis, La France des camps. L'internement 1938-1946. Editions Gallimard, Paris, 2002.