Aucune permission de sortie accordée aux internés français, sauf cas exceptionnels, 12 novembre 1940.

Légende :

Directive du ministre de l'Intérieur aux préfets, fixant les conditions de permissions à accorder aux internés français, 12 novembre 1940, 76 W 105

Type : instructions officielles

Producteur : MUREL - PACA

Source : © Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 76 W 105 Droits réservés

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Auvergne) - Allier - Vichy

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Analyse média

Depuis le 1er novembre 1940, les camps d'internement relèvent du ministère de l'Intérieur et non plus du ministère de la Guerre. Le ministre tient à affirmer son autorité et imposer sa doctrine en matière d'internement. Aucune figure de style ne vient enrober les directives qui doivent être immédiatement appliquées. La volonté de reprendre en main la gestion des camps et de mettre un terme au laxisme supposé qui régnait jusqu'à présent quand c'était le ministère de la Guerre qui était responsable des camps d'internement est manifeste.

 Les permissions ne sont accordées que pour des motifs familiaux très limités. Seules les naissances issues du mariage donnent lieu à des permissions ce qui est conforme au moralisme de la Révolution nationale. Elles seront très brèves : trois jours. Est-ce réaliste dans la situation de la France désorganisée par la défaite et la ligne de démarcation ?

Le ministre visiblement ne comprend pas que des préfets aient pu prendre en charge le voyage des internés. Il tient à mettre fin à cette bienveillance déplacée : « l'interné devant assurer entièrement les frais de son voyage. ».

L'hostilité du ministre à l'égard des « indésirables français » (voir contexte historique) court tout le long de la note. Marcel Peyrouton entend montrer aux préfets qu'il est la source de l’autorité en matière d'internement et qu'ils ne disposent d'aucune marge d'interprétation.

 


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Le décret-loi du 12 novembre 1938 permet l'assignation à résidence et l'internement des étrangers jugés dangereux pour la sécurité nationale et l'ordre public. Il s'agit d'une loi des suspects : l'internement est prononcé pour une suspicion de dangerosité mais relève de l'autorité judiciaire. Le premier camp est créé à Rieucros (Lozère) le 21 janvier 1939. Il est prévu de créer d'autres centres de rassemblement des indésirables de façon à « éviter aux étrangers des mouvements individuels trop longs pour gagner ces points. » L'exode des républicains espagnols en janvier 1939 entraîne la multiplication des camps à proximité de la frontière pyrénéenne.

La déclaration de guerre aggrave les mesures prises contre les ressortissants du Reich. Dès septembre 1939, les hommes de 17 à 65 ans sont internés dans les centres de rassemblement. Ceux qui sont jugés les plus dangereux, en général des militants antifascistes ou communistes sont envoyés au camp du Vernet (Ariège). Le décret-loi du 18 novembre 1939 (voir album), une « loi du temps de guerre » selon le ministre de l'Intérieur, Albert Sarraut, étend les mesures d'internement aux Français. Le préfet a toute latitude pour interner à titre préventif. Les internés peuvent être « requis en vue d'accomplir tous travaux intéressants la défense nationale ». L'internement est prononcé sans jugement, sans que des faits précis soient reprochés à l'interné et sans limitation de temps. Les camps d’internement se multiplient. Aux étrangers s'ajoutent les Françaises et les Français « suspects au niveau national et politique », au premier rang desquels les communistes. Mais la possibilité d'internement laissée à l'arbitraire du préfet permet une très large définition de « l’indésirable » à envoyer dans un camp. Dans la région, les communistes français sont internés dans le camp de Chibron, situé près de Signes dans le Var, à Chabanet en Ardèche, à Sisteron et à Chaffaut dans les Basses-Alpes. 

Les camps d'internement à l'exception du Vernet d'Ariège et de Rieucros (Lozère) sont au départ sous la tutelle du ministère de la Guerre. Celui-ci, faute d'effectifs suffisants, peine à assurer la surveillance des camps. Les autorités de Vichy veulent marquer une reprise en main et décident un transfert général du ministère de la Guerre au ministère de l'Intérieur. Le financement de l'internement est âprement discuté entre les deux ministères. Le ministère de l'Intérieur obtient que la charge du ravitaillement des internés soit laissée au ministère de la Guerre.

 

 Le volontarisme du gouvernement ne fut pas de grand effet sur le terrain comme en témoigne cette note du 17 décembre 1940 à l'attention du directeur général de la Sûreté nationale : « La prise en charge, par le ministère de l'Intérieur, des camps d'internement ou d'hébergement de Français et d'étrangers pose de très angoissants problèmes d'organisation matérielle. »

Si les choses ne se plient pas à la volonté du ministre de l'Intérieur, il n'entend pas que les êtres, préfets comme indésirables lui résistent et dans cette note du 12 novembre 1940, il le fait savoir.

 


Sylvie Orsoni

Sources

Grynberg Anne, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, La Découverte/Poche, Paris, 1999. 

Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.

Peschanski Denis, La France des camps. L'internement 1938-1946. Editions Gallimard, Paris, 2002.