Entraînement aux Glières en février-mars 1944

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © Fonds musée départemental de la Résistance de Morette Droits réservés

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Haute-Savoie

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Analyse média

Au plateau des Glières, en 1944, s'est déroulé le premier engagement d'envergure depuis 1940, sur le sol national, contre l'armée allemande, témoignant de la réalité de la Résistance aux yeux de nos Alliés et des Français eux-mêmes. Du 31 janvier au 26 mars 1944, moins de cinq cents maquisards ont défendu, les armes à la main, ce plateau des Glières retenu pour être le terrain de parachutage des armes dont les maquis de Haute-Savoie avaient un impérieux besoin. Pendant cinquante-cinq jours, ils se constituent en bataillon des Glières, encadrés par une poignée d'officiers et de sous-officiers du 27e bataillon de chasseurs alpins sous les ordres du lieutenant "Tom" Morel, puis du capitaine Maurice Anjot. Au pied du mât, où ils avaient hissé le drapeau tricolore marqué de la Croix de Lorraine du général Charles de Gaulle, ils font le serment de "Vivre libre ou mourir". Harcelés vainement pendant sept semaines par les forces de Vichy, ils n'évacuent finalement le plateau que devant l'assaut allemand qui menace de les écraser. Selon l'accord passé à Londres le 27 janvier entre Winston Churchill et les représentants du général de Gaulle, le parachutage devait être effectué par la Royal Air Force dès le mois de février. A cause des conditions météorologiques très mauvaises de cet hiver particulièrement enneigé, les maquisards doivent attendre jusqu'au 10 mars le grand parachutage annoncé. La veille, "Tom" Morel avait trouvé la mort au cours d'un coup de main sur Entremont. La disparition de ce chef charismatique est la première rude épreuve pour le bataillon des Glières dont il avait forgé l'âme. Dès le 13 mars, de nouvelles chutes de neige et un renforcement du dispositif des forces de Vichy bloquent les maquisards sur place jusqu'à l'arrivée de la 157e division allemande forte de 14 000 hommes. Il revient alors au capitaine Maurice Anjot, successeur de "Tom" Morel, d'organiser la défense. Le 23 mars 1944, quatre bataillons de la Wehrmacht, appuyés par l'aviation et l'artillerie, prennent position autour du plateau, utilisant le Milice française pour en assurer un bouclage complet. Après plusieurs jours d'attaques aériennes, le 26 mars 1944, l'attaque allemande commence. Les maquisards des Glières résistent jusqu'à la nuit. A 22 heures, jugeant que les maquisards avaient fait la preuve de leur détermination et de leur capacité à se battre avec les armes reçues, le capitaine Maurice Anjot donne l'ordre de décrochage général. Dans la nuit, le froid et la neige, par petits groupes, les hommes, mal équipés et à court de vivres, doivent franchir les barrages ceinturant le plateau pour tenter de rejoindre leur maquis d'origine. Près de soixante pour cent des maquisards y réussissent. Mais avec la répression qui suit, menée par les forces de Vichy et la Gestapo, ce sont, au total, 129 combattants des Glières qui sont tués ou fusillés, ou qui mourront en déportation, ainsi que 20 résistants des vallées qui paient de leur vie le soutien courageux de la population. Mais, dans les semaines qui suivent, les maquis se reforment. Le 1er août, plus de trois mille résistants venus de tout le département et appartenant aux deux grandes organisations de la Résistance armée, l'Armée secrète et les FTP (Francs-Tireurs et Partisans), se rassemblent pour réceptionner sur ce plateau des Glières un parachutage allié massif. Ils scellent ainsi l'union déjà affirmée au mois de mars, des forces de la Résistance de Haute-Savoie qui allaient faire capituler toutes les garnisons allemandes du département et le libérer par leurs propres moyens, dès avant le 19 août 1944.


Comité de pilotage du CD-Rom sur la Résistance en Haute-Savoie, "Le maquis des Glières", La Résistance en Haute-Savoie, AERI, 2006.

Contexte historique

Les jeunes qui constituent la base du rassemblement des Glières sont à l'image des maquis de Haute-Savoie. Leur première caractéristique est qu'ils sont d'origines diverses, à la fois géographiquement et socialement, et qu'ils ont des motivations et des opinions politiques, religieuses ou philosophiques aussi variées que celles de la génération à laquelle ils appartiennent. Les Hauts-Savoyards sont une minorité, puisque les réfractaires de ce département  engagés dans la Résistance n'ont pas nécessairement pris le maquis.  En revanche, ils sont relativement nombreux dans certaines sections (AS et FTP) : d'abord dans la section d'éclaireurs skieurs qui a besoin de montagnards confirmés, dans la section Savoie-Lorraine formée à partir d'un noyau venu de la Roche-sur-Foron et dans la section des Allobroges constituée par un groupe de jeunes du Grand-Bornand (familiers du secteur des Glières). Mais  toutes les sections ont leurs équipes locales qui leur sont indispensables dans ces montagnes qui sont totalement inconnues pour la plupart des maquisards venus de tous les coins de France (ce qui, pour ces derniers,  posera bien des problèmes lorsqu'ils devront décrocher du plateau dans la nuit du 26 mars et les jours suivants). Au total les Hauts-Savoyards ne sont qu'un tiers environ de l'effectif.  L'entente entre tous ces jeunes, forgée dans leurs épreuves collectives, est une des réussites marquantes de leur vie sur le plateau. Les premiers maquisards qui sont montés, l'ont fait de manière organisée en fonction de l'ordre qui leur a été donné. Notons que, contrairement à ce qui a été souvent dit, l'ordre de rejoindre Glières n'a pas été envoyé à tous les maquis de l'Armée secrète de Haute-Savoie. L'état-major départemental de l'Armée secrète ne fait monter que le nombre d'hommes nécessaire pour les parachutages attendus. C'est par la suite que, pour résister à la pression des forces de Vichy, il sera décidé de faire monter d'autres groupes tels que les maquisards encadrés par les lieutenants Jacques Lalande ou Jacques de Griffolet,  appelés en renfort  le 9 mars en vue du parachutage prévu pour le 10. Mais au cours des semaines qui suivent la première montée sur le plateau, un certain nombre de jeunes, portés par leur volonté de se battre, prennent l'initiative de rejoindre Glières par petits groupes ou individuellement. De cent vingt hommes environ que compte le plateau le 1er février, on passe à un effectif de deux puis trois cents hommes à la fin février, pour atteindre un total estimé à 465 combattants à la veille de l' attaque allemande. Parmi ces maquisards, se trouvent un certain nombre d'hommes d'origine étrangère. La propagande de Vichy a fait de Glières " un repaire d'apatrides aux mains d'agents de l'étranger ". La réalité est évidemment bien différente. Cependant le nombre des combattants de nationalités autres que française est significatif de ce que fut l'engagement dans la Résistance des étrangers combattant au service de la France contre le nazisme et le fascisme. Au premier rang d'entre eux se trouvent des Républicains espagnols, anciens de la guerre d'Espagne. Le 1er février 1944, le lieutenant "Tom" Morel accueille sur le plateau des Glières un groupe d'Espagnols aguerris qui constituent deux sections : les sections Ebro et Renfort Ebro, en souvenir de la bataille livrée par l'armée républicaine contre l'armée de Franco sur les bords de l'Ebre en 1938. Elles sont commandées par des capitaines expérimentés et reconnus comme tels par tous : Gabriel Vilches-Agueyo dit "capitan Antonio", Jorge Navarro-Sanchez et Antonio Jurrado. Fortes de 56 hommes au total, les section Ebro comptent une majorité d'Espagnols : Antonio Aranda, Andujar-Garcia Florian (tué le 27 mars), Barba Gispert, Belloso-Colmenar Félix (fusillé le 29 mars), Antonio Buesa, José Caballero, Angel Carasco, José Clausell, Bernardo Contreras, Emmanuel Corps-Moraleda (tué le 27 mars), Joachim Dieste, Avelino Escudero-Peinado (tué le 29 mars), Zenon Esteban-Fernandez, Miguel Estave-Martinez, Angelo Fernandez, Dimetrio, Enrique et Leonardo Fernandez, Pablo Fernandez-Gonzales (assassiné le 31 mars), Paulino Fontoba-Casas (tué le 27 mars), Laureano Gallego-Vilonga, Fernando Garcia, Angel et Juan Gomez, Vicente Gomez-Torres, Antonio Gracia, Juan Guasch, Manuel Joya-Martinez, José Mari, Alfonso Martinez, Miguel Maumgart, Francisco Ortiz, Enrique Paternoy, Teofilo Penalver, Francisco Perea-Galan, Antonio Perez-Ortiz (probablement tué le 27 mars 1944), Cristobal Pugas, Antonio Quessada, Braulio Ramos, Gabriel Reynes (tué le 6 avril), Patricio Roda-Lopez (fusillé le 29 mars), Jean Rodriguez, Francisco Rovigno-Correa, Francisco Saez, José Salvador, Angel Segura, Diego Sotto, Andres Tripiana, Victoriano Ursua-Salcedo (assassiné le 31 mars), Galo Utrilla-Fernandez et Miguel Vera-Navas ; un Italien Julien Maffioletti, un Allemand Hugo Schmidt dit "Ugo Gonzales" et Rodrigue Perez d'Alès, interprète, agent de liaison et ravitailleur des Espagnols depuis le début avec Richard Andres. En dehors des sections Ebro et Renfort Ebro, on trouve d'autres étrangers aux Glières : l'Espagnol Antonio Buesca est à la section Bayard. Au poste de commandement, le cuisinier Jean Dobricky est Autrichien tandis qu'Antoni Wolczyk et Josef Brychy sont tous deux Polonais. Il y a également deux frères originaires de la Sarre (Allemagne), Émile et Edouard Becker; deux Italiens, Mazza Wiener et Florence Valcesia; un Suisse, Paul Schaffer; un Tchécoslovaque, Alfred Starck; six Espagnols, Antonio Buesa, Pegado, Mora, Rubbio, Palomino et Cuesvas; quatre Russes, Vassili Basile Dorganoff,Tadéus Rodzyck, Franz Bohr dont on trouve les noms dans les détenus de Desaix, (peut-être s'agit-il de noms d'emprunt), Tchekalov fusillé par les Allemands, auxquels on peut ajouter Pavel Sisserman dit "Vladimir Belski" tué dans les Etroits le 27 janvier 1944. On voit combien les étrangers ont été présents dans la Résistance. Après la guerre, un monument du souvenir est édifié à Annecy portant cette sobre mention "AuxEspagnols, morts pour la France". De nombreux étrangers sont restés en Haute-Savoie après la guerre. Certains sont devenus Français. Ajoutons que de nombreux jeunes ou moins jeunes résistants aux noms à consonance italienne notamment ne sont français que depuis peu lorsque la guerre éclate. Plusieurs donneront leur vie pour la France. Ces étrangers ne représentent au total qu'un faible pourcentage des hommes des Glières. Mais leur présence est un apport appréciable pour la défense du plateau, car la majorité d'entre eux a déjà une solide expérience de la guerre. Elle est aussi un symbole fort de ce qu'a voulu être le maquis des Glières au service d'une France rassemblée au nom de la Liberté dont rêvent tous ces jeunes. C'est à ce double titre également que "Tom" Morel accueille sans hésiter deux groupes de Francs-Tireurs et Partisans qui, harcelés par les forces de Vichy, viennent se réfugier sur le plateau et demandent à partager son combat. Ils forment les sections Coulon et Liberté Chérie qui combattront jusqu'au bout avec leurs camarades de l'Armée secrète, sous un même commandement.  Les Glières  préfigurent ainsi, dès le mois de mars, ce que sera l'union des forces de la Résistance dans le cadre des Forces françaises de l'intérieur. Cette union est d'autant plus logique que, face aux menaces et aux attaques extérieures, le plateau se structure sur une base  strictement militaire. Les cadres qui forment la hiérarchie du commandement  sont, pour une large part, issus du 27e bataillon de chasseurs alpins (BCA). Pour eux, ce qui compte c'est  se battre pour la France. Ils ont conscience d'être l'armée française renaissante. C'est le message que "Tom" Morel transmet à tous avec sa force de conviction communicative. Les différences entre les uns et les autres s'effacent devant leur mission commune et devant les risques pris ensemble. Le plateau est un creuset où se forge un esprit collectif  tout à fait exceptionnel : l'esprit des Glières.


Comité de pilotage du CD-Rom sur la Résistance en Haute-Savoie, "Les maquisards des Glières", La Résistance en Haute-Savoie, AERI, 2006.