Le rétablissement de la République dans la Marne à la Libération

Légende :

Appels conjoints du commissaire régional de la République et du président du CDLN dans L'Union Champenoise, 30 août 1944

Genre : Image

Type : Affiche

Source : © Archives Jean-Pierre Husson Droits réservés

Date document : 30 août 1944

Lieu : France - Grand Est (Champagne-Ardenne) - Marne

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Contexte historique

L'unanimité des premiers jours de la Libération s'est affirmée par la publication de deux appels conjoints dans le premier numéro de L'Union Champenoise, organe du Comité Départemental de Libération Nationale (CDLN) imprimé à Reims et daté du 30 août 1944. Ces deux appels étaient signés respectivement par le commissaire de la République, Marcel Grégoire-Guiselin, et par le président du CDLN, Michel Sicre. Ils annonçaient la déchéance du régime du maréchal Pétain, le rétablissement de la République française et de sa devise Liberté-Égalité-Fraternité, et constataient que le gouvernement provisoire du général de Gaulle « voulu et acclamé par l'immense majorité du pays », représentait désormais la seule autorité qui devait être reconnue. Le fait qu'il y ait eu deux appels simultanés, et non pas un seul et unique appel commun, pouvait accréditer l'idée que les deux hommes représentaient bien deux pouvoirs potentiellement concurrents, voire rivaux, et cela d'autant plus qu'au-delà des préambules rédigés en des termes quasiment identiques, les deux discours n'avaient pas la même tonalité. Le commissaire de la République, Grégoire-Guiselin, affirmait son autorité en promettant une justice rapide et sévère et en proclamant l'état de siège, mais il tenait aussi des propos mesurés, apaisants, appelant à la concorde, et il ne prenait aucune décision immédiate. Au nom du CDLN, Michel Sicre tenait un discours offensif et déclarait « dissous les conseils municipaux en fonction », coupables de ne pas représenter « les aspirations du peuple français ». La plupart avaient cependant été démocratiquement élus avant-guerre, et avaient été maintenus en place par le préfet de Vichy Bousquet. Or, l'ordonnance du 21 avril 1944 promulguée par le CFLN concernant les conseils municipaux stipulait que ceux qui avaient été élus avant le 1er septembre 1939 devaient être maintenus ou remis en fonction. Cette décision unilatérale du CDLN, qui s'érigeait en exécutif départemental, dans un domaine qui était de la compétence du commissaire de la République, avait sans doute pour but de faire pression sur ce haut fonctionnaire désigné par le CFLN, et de le mettre ainsi à l'épreuve. Refusant d'appliquer l'ordonnance du 21 avril 1944, le président du CDLN s'empressait d'habiliter les Comités locaux de libération (CLL) pour administrer provisoirement les municipalités jusqu'aux élections, et il réclamait le châtiment juste mais exemplaire des traîtres, des trafiquants et des spéculateurs. Il concluait en affirmant que le CDLN de la Marne faisait confiance au gouvernement provisoire de la République française présidé par le général de Gaulle, « pour que tous les coupables soient châtiés », et « pour instaurer un régime démocratique de justice et de liberté sociale ».

Ainsi se manifestaient, dès les premiers jours de la Libération, les signes d'une dualité de pouvoir potentiellement conflictuelle, qui traduisait la volonté du CDLN, par l'intermédiaire de son président, d'affirmer sa différence vis-à-vis du représentant du pouvoir central, le commissaire de la République. Ce dualisme entre pouvoir local et pouvoir central a été rapidement dépassé par deux autres clivages qui ont pris le dessus : la rivalité opposant Reims à Châlons-sur-Marne et la résurgence des opposants au Parti communiste.

La rivalité opposant Reims, centre de la Résistance marnaise et siège d'un CDLN presque exclusivement composé de Rémois (8 puis 9 Rémois sur 10, pour 1 seul Châlonnais), à la capitale administrative du département de la Marne et de la région de Champagne, Châlons-sur-Marne, était restée latente sous l'Occupation. Elle a resurgi à la Libération, et une solidarité de fait s'est établie face au CDLN entre le commissaire régional de la République et la Résistance locale dans toutes ses composantes. Signe de cette rivalité, alors que L'Union champenoise de Reims avait publié à sa une les deux appels du commissaire de la République et du président du CDLN, L'Union Républicaine de Châlons-sur-Marne n'avait publié que la proclamation de Marcel Grégoire-Guiselin. De nombreux responsables de la Résistance marnaise, face au Parti communiste qui était perçu comme conquérant et menaçant par la droite et le centre, comme un rival par le parti socialiste, redoutaient que le CDLN, sous la présidence de Michel Sicre, ne devînt l'expression d'un pouvoir révolutionnaire. Ils se sont ralliés au commissaire de la République dans la mesure où celui-ci incarnait une conception traditionnelle et plus rassurante du pouvoir.

Le problème du maintien ou au contraire de la dissolution des conseils municipaux en place ne fut pas le seul point de friction entre le commissaire de la République et le président du CDL. Dans son rapport mensuel de septembre 1944, Grégoire-Guiselin évoquait aussi la question du remaniement du conseil général d'avant-guerre en attendant des élections, et notait que cela avait fait l'objet entre lui et Michel Sicre, d'une volumineuse correspondance et de multiples conversations, le CDLN restant lié à la résolution qu'il avait adoptée en janvier 1944 selon laquelle « s'il acceptait de collaborer avec l'administration pour l'épuration du Conseil général, il n'entendait pas prendre une responsabilité quelconque au sujet de l'incorporation d'éléments non élus par le suffrage universel ». Le commissaire de la République considérait cependant qu'il avait la situation bien en main, même si après son élargissement à un certain nombre de personnalités, telles que « les députés n'ayant pas voté les pleins pouvoirs à Pétain, deux ou trois dames qualifiées par leur dévouement à la Résistance, trois ou quatre agriculteurs destinés à faire entendre la voix du monde rural », le CDLN acceptait difficilement « le passage d'un pouvoir illimité à une activité purement consultative ».


Jean-Pierre Husson, "La dualité des pouvoirs exercés par le commissaire de la République et le CDLN", in DVD-ROM La Résistance dans la Marne, Fondation de la Résistance - AERI, 2013.