"L'épuration en Seine-et-Oise"

Légende :

Article extrait de La Renaissance de Seine-et-Oise du 11 mai 1946.

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © Archives départementales des Yvelines, Per 1043/1 Droits réservés

Date document : 11 mai 1946

Lieu : France - Ile-de-France

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Analyse média

Retranscription :

La lenteur et le scandale de l’épuration n’est pas une légende comme le prétendent les amis de M. Teitgen. Les chiffres qui nous ont été fournis par les greffes de la Cour Spéciale et de la Cour de Justice, en sont la meilleure démonstration – chiffres qui, par conséquent, ne peuvent être contestés.

Depuis la Libération, 12.000 plaintes ont été déposées. 12.000 dossiers ont donc été constitués. Sur ces 12.000 dossiers, 8.500 ont été classés par la commission du gouvernement sous prétexte que les accusations manquaient de preuve. Sur les 3.500 dossiers restants, 1.268 sont passés devant le tribunal avant le 13 juillet 1946. Quant aux autres…
800 ont été classés après instruction.
600 renvoyés devant la chambre civique.
400 dossiers restent à instruire.

D’autre part, sur les 1.268 jugements rendus, notons 110 acquittements et 297 condamnations légères, à savoir de un mois à un an d’emprisonnement.

Enfin, 27 inculpés ont été condamnés à mort. Mais sur ces 27 condamnations, 4 seulement ont été exécutées, y compris celles de Graff et de la femme Toupnot. 16 condamnés ont vu leur peine condamnée aux travaux forcés. Quant aux autres, ils attendent très tranquillement leur recours en grâce. Parmi eux se trouve, du reste, l’assassin de Jean Baillet.

Ainsi marche la justice du moment. Alors qu’on maintient en prison d’héroïques Français qui combattirent dans les rangs des FTPF et des FFI, on libère, on acquitte, on pardonne aux traîtres, aux collaborateurs des Pétain, Laval. La voix, la grande voix des patriotes, des républicains doit se faire entendre devant un tel scandale, devant de telles insultes à l’esprit de résistance. Les jurés communistes n’acceptent pas de participer à cette parodie de justice. Ils entendent être fidèles aux engagements inscrits au programme du CNR qui proclame : « Veiller au châtiment des traîtres et à l’éviction dans le domaine de l’administration et de la vie professionnelle de tous ceux qui auront pactisé avec l’ennemi ou qui se seront associés activement à la politique du gouvernement de collaboration. »

C’est pourquoi les parlementaires communistes membres de la Commission d’instruction et jurés ont donné leur démission, refusant de participer plus longtemps aux honteux verdicts rendus par la Haute Cour de Justice. Le groupe parlementaire de notre parti demande que le jugement des naufrageurs de la France se fasse au grand jour et sous le contrôle du peuple et de ses élus. Il a raison. Il faut en finir avec la clémence à l’égard des traîtres. Toutes les organisations démocratiques se doivent de protester, de réagir.

En hommage à nos glorieux martyrs, à tous ceux qui sont morts pour que vive la France, protestons de toutes nos forces. Adressons des résolutions au ministre de la Justice, au Président du gouvernement provisoire de la République, pour exiger le châtiment des traîtres à la patrie.



La Renaissance de Seine-et-Oise 3 août 1946


Contexte historique

Dès la Libération, sous l'égide des Comités locaux de Libération, de nombreuses arrestations ont été opérées dans l'ensemble du département. La police, la gendarmerie, les forces de la Résistance et les membres des Comités locaux de Libération, se sont évertués conjointement à dépister et appréhender les personnes présumées coupables de collaboration. Un centre d'internement fut immédiatement constitué à la caserne de Noailles à Versailles, où plusieurs centaines d'hommes et de femmes de Seine-et-Oise, furent incarcérées et suivant les cas ultérieurement libérées, maintenues en détention ou déférées devant la Cour de Justice de Seine-et-Oise.

Cour de Justice et chambres civiques

La Cour de Justice de Seine-et-Oise, constituée au lendemain de la Libération, a siégé à Versailles jusqu'au 3 décembre 1946, date de son rattachement à la Cour de Justice de la Seine.  Tout d'abord composé d'un président, M. Pihier, d'un Commissaire du gouvernement, M. Mille et d'un juge d'instruction, M. Mazel, le personnel de la Cour de Justice a été augmenté de façon considérable sous la pression du volume des dossiers à traiter. C'est ainsi que progressivement furent mises en service trois chambres de Cour de justice et deux Chambres civiques. De même, le nombre des cabinets d'instruction fut progressivement porté à dix et celui des Commissaires du Gouvernement à neuf.

Saisie de 12.180 dossiers de collaboration ou d'intelligence avec l'ennemi, la Cour de Justice a statué de la façon suivante : 3.600 affaires classées sans information, 644 après information et 1497 affaires jugées. Quant aux peines prononcées par cette juridiction, elles se répartissent comme suit : 41 condamnations à mort (dont 12 par contumace), 31 peines de travaux forcés à perpétuité et 341 de travaux forcés à temps déterminé, 159 peines de réclusion, 766 peines de prison et 140 acquittements. Parmi ces jugements, 230 ont été prononcés par contumace. Six condamnés à mort ont été effectivement exécutés.

Parmi les très nombreuses affaires jugées par la Cour de justice, quelques-unes ont été particulièrement délicates et importantes, tant en raison de leur gravité particulière que de la personnalité des accusés ou du retentissement local ou régional qu'elles ont provoqué, notamment en ce qui concerne l'affaire des fusillés de Chatou (4 condamnations à mort) et l'affaire d'Orgerus (2 condamnations à mort).

A la suite de l'institution du crime d'indignité nationale (ordonnance du 26 août 1944) dont la sanction entraîne uniquement des déchéances, des sections spéciales des Cours de Justice - appelées chambres civiques à partir du 26 décembre 1944 - furent créées pour juger les faits de collaboration " mineurs " (personnes ayant occupé une place dans les services de propagande ou adhéré à un mouvement de collaboration). Elles prononcent l'indignité nationale, accompagnée de dégradation nationale et éventuellement de la confiscation des biens. Les chambres civiques de Seine-et-Oise ont fonctionné du 18 décembre 1944 au 20 novembre 1946 et ont rendu 3493 verdicts concernant 2416 hommes et 1347 femmes. Elles ont prononcé 1697 condamnations à des peines de dégradation nationale.

Epuration administrative

En parallèle à l'épuration judiciaire s'est mise en place une épuration de nature professionnelle destinée à punir à la fois ceux qui, dans le cadre de leurs fonctions, s'étaient rendus coupables de collaboration, et à purger les administrations, les entreprises, les professions des responsables jugés indésirables dans le cadre de la restauration d'un ordre démocratique. Une ordonnance du Gouvernement provisoire du 27 juin 1944 définit les principes de cette épuration administrative.

Pour la Seine-et-Oise, l'épuration s'établit pour chaque branche de l'administration de la manière suivante :

Contributions directes : 1 révocation
Ponts et Chaussées : aucune sanction
Enseignement : 11 révocations, 2 retraites d'office, 1 suspension de trois ans, 1 déplacement d'office, 2 blâmes.
PTT : 1 révocation sans pension, 20 révocations, 1 rétrogradation, 1 mise en disponibilité, 6 changements de résidence, 2 mises à pied, 3 avertissements.

C'est la police d'Etat qui a payé le plus lourd tribut à l'épuration administrative. Dans le cadre des Corps urbains, 142 dossiers ont été soumis à la Commission d'épuration : 19 secrétaires, 27 inspecteurs, 39 brigadier-chefs et brigadiers, 14 sous-brigadiers, 43 gardiens de la paix. L'examen de ces dossiers a amené les sanctions suivantes : 28 révocations sans pensions, 2 mises à la retraite d'office, 16 rétrogradations et 8 dossiers transmis au Parquet de la Cour de Justice.

Dans les Compagnies républicaines de sécurité (ex-GMR), 44 dossiers ont été soumis à la Commission : 8 brigadier-chefs et brigadiers, 4 sous-brigadiers, 32 gardiens. Ces dossiers ont entraîné 6 révocations, 3 rétrogradations et 5 mutations.



Auteur : Fabrice Bourrée

Sources et bibliographie :
Archives nationales, BB30/1751 (Inspection des services judiciaires).
Archives départementales des Yvelines, séries 219W et 1081W (cour de justice de Seine-et-Oise), 1W429-430 (rapports des RG postérieurs à la Libération).
Institut d'Histoire du Temps Présent, résultats de l'enquête de l'IHTP sur l'épuration en Seine-et-Oise, 1981.
Marcel Baudot, " L'épuration : bilan chiffré " in Bulletin de l'IHTP, n°25, septembre 1986.
Henry Rousso, " L'épuration en France, une histoire inachevée " in Vingtième siècle, n°33, janvier-mars 1992.