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Mémorial des Martyrs de la Déportation

Légende :

Situé ans le 4e arrondissement de Paris, à la pointe Est de l’île de la Cité en contrebas du square de l'Île-de-France, le Mémorial des Martyrs de la Déportation est un monument parisien dédié au souvenir de l'ensemble des déportés de France entre 1941 et 1944. Son architecture concourt à évoquer les souffrances de celles et de ceux qui furent déportés et à inciter le visiteur à la réflexion et au recueillement. 

Genre : Image

Type : Mémorial

Source : © Wikimedia Commons Libre de droits

Détails techniques :

Photographie numérique en couleur

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Analyse média

Inauguré le 12 avril 1962 par le général de Gaulle, alors Président de la République, le mémorial des Martyrs de la Déportation rappelle certains aspects caractéristiques du monde concentrationnaire : emprisonnement, oppression, impossible évasion ; " le long calvaire d'usure, la volonté d'extermination et d'avilissement. "

Œuvre de l'architecte Georges-Henri Pingusson, la vaste crypte de forme hexagonale, faiblement éclairée, ouvre sur la galerie couverte des bâtonnets lumineux représentants les déportés morts dans les camps ainsi que les cendres d'un déporté inconnu du camp de Natzweiler-Struthof. De part et d'autre de la crypte, deux petites galeries contiennent de la terre provenant des différents camps et des cendres ramenés des fours crématoires, enfermés dans des urnes triangulaires. Autour, en caractère rouge, sont inscrits les noms des camps et des extraits de poèmes de Robert Desnos, Louis Aragon, Paul Eluard, Jean-Paul Sartre, Antoine de Saint-Exupéry.

Annuellement, le dernier dimanche d'avril, le Mémorial accueille la Journée du souvenir des martyrs et des héros de la déportation.


Contexte historique

Le Réseau du Souvenir

L'édification d'une mémoire monumentale de la déportation des résistants était l'un des objectifs originels de la constitution du Réseau du Souvenir. Fondée en juin 1951, à l'initiative de Annette Christian-Lazard, cette petite structure associait une logique de groupe ("la fidélité envers les Martyrs des Camps de Déportation nazis") à une ambition universaliste : répondre à "une mission d'enseignement auprès des générations qui ne compteront plus parmi elles d'acteurs ni de témoins du drame". Dans le contexte de l'époque, il s'agissait de s'établir en groupe de pression auprès des pouvoirs publics afin de lutter contre les atteintes à la mémoire de la Résistance et contre l'oubli de la Déportation. Le mode d'action retenu fut le réseau, sur le modèle et comme une commémoration de l'activité des résistants pendant l'Occupation. La structure voulait être ouverte non seulement aux "familles de disparus et [aux] rescapés des geôles allemandes, mais aussi [à] tous ceux qui, sans avoir été personnellement touchés par la persécution nazie, veulent garder la mémoire de ses victimes" (Projet "Association à la mémoire des martyrs de la liberté", AN, 72 AJ 2141). Essentiellement parisienne, elle regroupait une étroite élite (quelques centaines de membres) bien implantée dans les sphères du pouvoir : avocats (Paul Arrighi, Max Gonfreville, Maurice Azoulay), religieux (le RP Riquet), journalistes (Rémy Roure), hommes politiques (Edmond Michelet, Gilbert Grandval), chercheurs et universitaires (Henri Michel, Germaine Tillion, Marc Zamansky), hauts fonctionnaires (Louis François, Henri Bourdeau de Fontenay), artistes (Maurice Hewitt, Darius Milhaud), médecins (Gilbert-Dreyfus), militaires, etc., politiquement proches de la Troisième force et, pour beaucoup, très croyants.
Son action se déployait dans quatre directions : spirituelle (réunir les grandes familles religieuses et laïques autour du culte des Disparus : la commission spirituelle était présidée par le révérend père Riquet, prédicateur à Notre-Dame de Paris), artistique (provoquer et rassembler des oeuvres évoquant la tragédie : commission présidée par Jean Cassou directeur du Musée national d'art moderne et écrivain), historique (faire écrire l'histoire de la Déportation : commission présidée par Julien Cain, administrateur général de la Bibliothèque nationale), mémorielle (organiser des cérémonies commémoratives, contribuer à la transmission du message des déportés et des résistants, édifier des monuments du souvenir : commission de propagande présidée par Annette Christian-Lazard.). Grâce à ses appuis hauts placés, l'organisme obtint des résultats remarquables : création d'une commission d'histoire de la Déportation (par la suite rattachée au Comité d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale) ; publication d'un recueil de témoignages sur la Déportation (Tragédie de la Déportation, 1940-1945. Témoignages de survivants des camps de concentration allemands, textes choisis par Olga Wormser et Henri Michel, Paris, Hachette, 1954) ; institution en 1954 d'une Journée nationale de la Déportation le dernier dimanche d'avril ; attribution d'un prix au lauréat du concours général d'histoire ; commande d'oeuvres artistiques - et de réalisations architecturales.

Le projet de Mémorial

Dès sa création, le Réseau envisage ainsi l'édification, au coeur de Paris, d'un monument national consacré au souvenir de la Déportation. Cette préoccupation s'établit au croisement de deux ambitions : soutenir des réalisations artistiques s'inspirant de la tragédie ; prendre la relève d'un projet de monument aux femmes déportées qui s'enlisait alors dans des difficultés insurmontables. Le nouveau projet se comprend, plus généralement, dans un contexte de monumentalisation du souvenir : il répond à la fois à l'érection du monument au martyr juif inconnu et au monument à la Déportation française envisagé au camp du Struthof ; il s'agit aussi, dans une perspective conjoncturelle, de marquer dans la pierre le dixième anniversaire de la libération des camps.
Une première esquisse du projet est établie par la commission artistique du réseau : après discussions sur l'emplacement, l'idée d'un monument en forme de pierre tombale avec crypte et lanterne des morts sur la pointe de l'île de la Cité est retenue ; sa réalisation est soumise à un concours entre trois équipes composées chacune d'un architecte et d'un sculpteur. Le projet présenté par Georges-Henri Pingusson et Veysset est adopté à l'unanimité des membres de la commission en décembre 1953.
L'histoire de l'édification du monument renseigne à la fois sur les conceptions patrimoniales et paysagères, la création architecturale, les vicissitudes du pouvoir municipal et la politique de mémoire de l'époque. Le projet, déposé officiellement auprès du conseil municipal de Paris et auprès du préfet les 14 et 20 janvier 1954, fait peur. S'il rencontre un accueil favorable sur le plan politique et le concours des appuis du Réseau, il se heurte à des réticences artistiques et associatives. Dans un premier temps, c'est en effet paradoxalement l'UNADIF qui s'oppose au monument, craignant que celui-ci ne concurrence son propre projet de Mémorial au Struthof ; du coup, le Réseau n'obtient pas l'autorisation nécessaire pour envisager la pose de la première pierre à l'occasion du Xème anniversaire, mais s'assure, dans un second temps, le soutien des principales Fédérations nationales : FNDIR, UNADIF, finalement ralliée, FNDIRP, ANADIR. D'autres réticences proviennent du monde artistique : les éléments sculptés conçus par Veysset (une stèle, un gisant) sont fortement critiqués et, en définitive, abandonnés. Le sens du monument n'est pas non plus toujours compris : on critique sa modestie, son exiguïté, qui empêche toute manifestation publique d'ampleur (critique commune aux sympathisants communistes, relayés par L'Humanité et la FNDIRP, et aux gaullistes de gouvernement) ; les responsables du Réseau doivent concilier le caractère funéraire et spirituel de ce lieu de recueillement et le respect des consignes de sécurité imposées par les autorités. Surtout, la transformation du site historique provoque une levée de bouclier justifiée par des considérations tant mémorielles qu'esthétiques : risque de restreindre la lutte pour la libération de Paris aux souffrances des déportés ; risque de dégradation paysagère du site. Durant cinq ans, le Réseau va se battre pour imposer son projet architectural et, surtout, son emplacement : en janvier 1958 encore, alors que le projet a obtenu, après moult discussions et rectifications, les avis favorables du conseil municipal, de la commission du Vieux Paris, des services de l'Architecture et de la Navigation fluviale, de la commission départementale des Sites et de la commission supérieure des Monuments historiques et des Sites, il se trouve rejeté par la commission centrale des Monuments commémoratifs du ministère de l'Intérieur.
Le décret autorisant la construction paraît finalement le 30 juin 1958. Le financement est assuré par souscription nationale. Les travaux, commencés en septembre 1960, sont achevés au printemps 1961. Le monument est inauguré par De Gaulle le 12 avril 1962, en présence des lauréats de la première édition du jeune concours de la Résistance.

Le monument

Le monument est édifié à la pointe de l'île de la Cité, entre la Seine et le chevet de Notre-Dame, à l'emplacement de l'ancienne morgue de Paris. Il propose une évocation architecturale de la tragédie, inspirée par l'expressionnisme abstrait. Par parti-pris artistique et pour des raisons de conformité au site, l'édifice ne comporte aucun point saillant au-dessus du parapet. On y accède par un square, espace de transition entre la ville et le lieu de souvenir et de recueillement ; un muret se dresse, partie émergente du monument sur laquelle est gravée la dédicace : "Aux 200 000 martyrs français morts dans les camps de déportation / 1940-1945", accompagnée depuis peu d'un grand panneau explicatif qui dresse l'histoire du système concentrationnaire nazi et présente l'oeuvre. Deux escaliers exigus descendent à un parvis triangulaire clos d'un mur en béton et séparé de la Seine par une herse métallique. On est ici comme hors la ville : les rares échappées visuelles, par delà le mur et la grille, donnent sur le ciel et le fleuve ; seule la rumeur urbaine parvient aux oreilles. On accède à la crypte, coeur de l'édifice, par un étroit passage entre deux piliers surélevés. A l'intérieur, une salle hexagonale abrite une flamme au centre d'une plaque circulaire gravée sur son pourtour : "Ils allèrent à l'autre bout de la terre et ils ne sont pas revenus" ; face à l'entrée, l'inscription "Pour que vive le souvenir de deux cent mille Français tombés dans la nuit et le brouillard exterminés dans les camps nazis" surmonte un tunnel bordé de deux rideaux de lumières, qui aboutit à un autre point lumineux, isolé et encastré dans un mur noir : 200.000 lueurs symbolisent les déportés de France, veillent sur le tombeau du déporté inconnu et débouchent sur un symbole d'espérance. A gauche et à droite de la pièce centrale s'ouvrent, surmontés des noms de quinze camps (A gauche : Auschwitz-Birkenau, Buchenwald, Struthof, Maïdanek, Neuengamme, Mauthausen, Stuthof, Flossenbourg ; à droite : Aurigny, Gross-Rosen, Bergen-Belsen, Dora-Ellrich, Ravensbrück, Dachau, Orianenbourg-Sachsenhausen.), deux couloirs : chacun mène, suivant une disposition symétrique, à une cellule, quinze niches triangulaires contenant de la terre et des ossements recueillis dans ces camps, et un escalier montant à l'étage supérieur ; sur leurs murs sont gravées des citations de Desnos, Maydieu, Sartre, Aragon, Saint-Exupéry, Eluard et Vercors, ainsi qu'un extrait du Chant des Marais. Au-dessus de la sortie, s'étale la consigne : "Pardonne N'oublie pas...".
Le monument a été inscrit sur la liste supplémentaire des monuments historiques en 1993.

Usages et significations du Mémorial

Les clivages et contestations d'origine ont aujourd'hui cédé la place à un consensus de bon aloi. Ce ralliement ne se fit pas sans mal.
Dans les années 1960, les promoteurs du Mémorial durent lutter à la fois contre les contestations internes au monde des déportés, les risques d'instrumentalisation partisane et les tentatives de modification du site dans le cadre de l'aménagement des voies de transport parisien (projets successifs de prolongement du musoir de la Cité, de parking automobile, de voies sur berge). Pour assurer une meilleure fréquentation et pour contrer plus efficacement les projets d'aménagements urbains, la propriété et l'entretien du monument furent d'ailleurs transférés, en 1964, à l'Etat.
La question de l'aménagement des salles du premier étage, jamais réglée, illustre bien les divergences de conception du lieu. Pour certains, dont Raymond Triboulet, ministre des Anciens Combattants, l'édifice est tout naturellement destiné à accueillir le musée de la Déportation souhaité par le Comité d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale ; les défenseurs de ce dernier s'opposent à ce qu'ils considèrent être une manière détournée d'enterrer et de dévaloriser le projet. Plus fondamentalement, beaucoup estiment que l'évocation historique n'entre pas dans les attributions du nouveau monument, certains refusant même toute matérialisation du souvenir. Des aménagements artistiques (fresques, vitraux) sont ainsi envisagés, Chagall étant un moment pressenti pour "habiller" les salles. Mais, là encore, l'équilibre paraît délicat à trouver entre expression de l'artiste, vocation du lieu et respect de la conception de l'édifice (G.-H. Pingusson exclut ainsi l'ouverture de fenêtres garnies de vitraux). La solution intermédiaire de : galerie-reliquaire (exposition de reliques et d'oeuvres d'art), proposée par l'architecte, est dans un premier temps privilégiée, l'approche sensible étant complétée par la vente d'une brochure d'information rédigée par Paul Arrighi et Olga Wormser-Migot. Mais les impératifs d'une transmission historique durable s'imposent avec les mutations politico-mémorielles des années 1970 (résurgence de groupuscules neo-nazis, attaques contre le résistantialisme, essor du négationnisme) : les murs des salles sont garnis de cartes et d'inscriptions, tandis que la galerie accueille des photographies des camps. Les nouveaux aménagements, achevés pour le trentième anniversaire de la libération des camps, bénéficient pour l'occasion de la visite du chef de l'Etat, Valéry Giscard d'Estaing. L'ouverture au public en sera pourtant continuellement différée, le plus souvent pour des raisons de sécurité (étroitesse des accès, absence d'issues de secours).
Le monument subit plus généralement la conjoncture défavorable des années 1970-1980 : dégradations, profanation (le 11 juillet 1972), baisse de la fréquentation ; il révèle en outre de sérieuses difficultés d'usage et d'entretien : problèmes de sécurité, inondations régulières du parvis - et, en conséquence, dégradation de l'édifice. En 1984, le nouveau président du Réseau, le général Pierre Saint-Macary, confie au général de Fallois la mission de réfléchir sur le devenir du monument et la possibilité d'en renforcer la vocation éducative ; les critiques émises à cette occasion sont significatives de la distance parcourue et de l'incompréhension du projet initial : l'ouverture sur le fleuve et l'absence d'issues dans la crypte sont considérées comme des absurdités de conception ; le manque de visibilité et de lisibilité de l'édifice apparaît nuisible ; on lui reproche son exiguïté, sa rudesse, son accès difficile et l'absence d'explications historiques et d'explicitation des choix artistiques.
C'est, semble-t-il, dans le courant des années 1990 que le regard s'est transformé et que le monument a retrouvé une certaine aura. Il apparaît, aujourd'hui, comme un double symbole mémoriel : dans sa destination d'objet commémoratif, il est, grâce à son approche émotionnelle du drame de la Déportation, un vecteur particulièrement efficace de sensibilisation des jeunes générations ; dans sa forme architecturale, il est désormais reconnu comme le chef-d'oeuvre d'une importante figure du Mouvement moderne.


Denis Mzuchetti in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004.

Sources et bibliographie :
Archives nationales, 72 AJ 2141 à 2170 (archives du Réseau du Souvenir).
Le Réseau du Souvenir. Bulletin d'information.
Serge Barcellini, Annette Wieviorka, Passant, souviens-toi ! Les lieux du souvenir de la Seconde Guerre mondiale en France, Paris, Plon, 1995.