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Bombardements allemands à Nyons relatés par un écolier

Légende :

Page d’un cahier d’écolier sur laquelle Albin Vilhet relate les bombardements allemands à Nyons du 23 au 28 août 1944.

Genre : Image

Type : Témoignage manuscrit

Source : © AERD, archives Raymonde Hiroz Droits réservés

Détails techniques :

Page (recto-verso) manuscrite d’un cahier d’écolier.

Date document : 1944

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Nyons

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Analyse média

Albin Vilhet, né à Nyons le 11 octobre 1896, grandit au sein d’une famille de petits exploitants agricoles de son pays natal et, très tôt, prend l’habitude de noter chaque jour, sur des cahiers d'écolier, les événements quotidiens dans lesquels il est impliqué.

356 lettres adressées à ses parents leur font part de son vécu de poilu pendant la guerre de 1914-1918. Il poursuit régulièrement ses écritures sur cahier dans l’entre-deux-guerres et après 1939, pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette page, extraite du manuscrit, signale plusieurs bombardements allemands à Nyons et dans les environs immédiats.
Voici la transcription du manuscrit d’Albin Vilhet avec, en particulier, les passages concernant ces bombardements. Nous donnerons entre crochets les précisions ou corrections apportées en 1982, par l’auteur, dans le livret préfacé par Roger Pierre qu’il a publié (nous considérons évidemment les attaques évoquées comme étant de provenance allemande) :

« 13 août 1944 : … un avion allemand bombarde Sainte-Jalle.

18 août : … des avions bombardent les routes. Une voiture est touchée au pont de Sauve, Croiset
[Croizet] est tué, Pommard [Pomard], Léry [Lévy] et Luizette [Luisetti] sont blessés.

22 août : […] La ferme Mathieu est bombardée pendant qu’Henri mariait sa fille. Deux obus traversent la maison et incendient le bois et la paille derrière la maison. Cinq FTP tués.

23 août : Nyons est évacuée par la population.
[…] à 10 heures du soir, Nyons est bombardée. […] les Américains arrivent à Nyons ; ils sont les bienvenus et rassurent la population. Ils prennent position sur les diverses routes.

Ce même jour, Lucien Latil, domestique de chez Girard, voulut constater les dégâts causés la veille chez son patron et récupérer le bétail qui avait été mis en liberté à l’approche des Allemands. Mais ces derniers n’étaient pas tous partis ; ils le firent prisonnier, on ne l’a jamais revu. Toujours le 23 août, à 22 heures (voir ci-dessus), une pièce à longue portée, bombarda Nyons sans causer de dégâts. 25 août : les Américains quittent Nyons par peur d’être encerclés. Panique générale, Fabre, Augis, Fernand, Seigle, Boudon et moi-même restons seuls
[ainsi que le sous-préfet et le curé Corréard]. À 13 heures 30, Nyons est bombardée par une pièce de 240 [la même sans doute que la veille]. Il y a 3 morts : Melle Lombard, Mme Gobert et un jeune réfugié de Toulon… [Un obus étant tombé près du patronage, des éclats y mettent le feu. Avec l’aide du curé, Seigle et moi, nous parvenons à l’éteindre.]

[Le 26, les troupes américaines reviennent… Des bombes tombent à proximité de Mirabel sans faire de dégât. Un soldat américain est tué au Pont du Jardin.]

27 août : mise en bière d’un soldat américain au Pont du Jardin. La veille, une voiture du maquis se rendant à Valréas, est attaquée au pont de Novezan (…). [Elle est mitraillée par les Allemands ; Rambeau, dit Vladimir, est grièvement blessé ; Ivaldi, dit « Crabe », est tué. (…) Le mort est jeté dans le ravin et les Allemands font sauter le pont sur lui (…). Le lendemain nous allons relever les morts (…).]


Auteurs : Claude Seyve et Michel Seyve
Sources : Albin Vilhet, Mes Mémoires, manuscrit sur cahier d’écolier ; La Résistance dans le Nyonsais, Albin Vilhet, Préface de Roger Pierre, 52 p., 1982.

Contexte historique

Nyons, dès 1942, s’inscrit dans le mouvement de résistance à l’occupant : un comité secret de libération se constitue.

Le 4 mars 1943 est un repère important : « Nous décidons de créer des maquis, note Albin Vilhet ce jour-là sur son cahier d’écolier, pour éviter que 14 jeunes gens de Nyons aillent travailler en Allemagne. » Milice et occupants infiltrent, arrêtent, répriment les sédentaires et les maquis au cours de 1943. La Résistance s’affirme cependant et, après les deux débarquements de 1944 (6 juin en Normandie et 15 août en Provence), se renforce et coopère efficacement avec les Alliés.

À partir du 17 août, une situation nouvelle s’engage, lorsque la 19e Armée allemande occupant le sud de la France reçoit l’ordre de se replier au nord de Lyon. Dès lors, les Allemands concentrent leurs efforts sur la seule maîtrise de la vallée du Rhône et des pays voisins – dont le Nyonsais – pour garantir le passage de leur armée, soit plus de 130 000 hommes et leurs matériels. Il s’agit pour eux de protéger leur flanc droit et de neutraliser les pays de la rive gauche du Rhône : Nyons est un secteur sensible du fait de l’implantation de la Résistance ainsi que des incursions des Alliés remontant vers Grenoble par les Alpes.

Les deux pages manuscrites du cahier témoignent de ces jours de guerre particulièrement durs et décisifs pour la ville de Nyons et ses habitants. Ces moments sont en outre importants pour les forces militaires engagées dans la Bataille dite de Montélimar, au cours de cette deuxième quinzaine d’août 1944.
Du 22 au 25 août, particulièrement, plusieurs accrochages meurtriers des FFI (Forces françaises de l'intérieur) avec les troupes allemandes chargées de garantir le repli dans la vallée du Rhône interviennent. C’est dans ce contexte que les occupants protègent leur flanc droit en terrorisant les groupes de résistants armés et la population, entre autres par les bombardements signalés (Ville de Nyons : le 23, sans dégâts ; le 24, 4 morts et 12 blessés ; le 25 : 3 morts).

Par ailleurs, les informations que nous pouvons avoir concernant les décès intervenus à la suite des bombardements, d’autres actes répressifs ou des combats qui ont marqué le pays sont révélateurs. Ils montrent que la guerre a sérieusement bousculé la population locale. Ainsi, des brassages importants sont mis en évidence : des réfugiés, des volontaires… côtoient des Nyonsais parmi les victimes, un enfant toulonnais trouve la mort à côté d’une personne âgée du pays. L’implantation des maquis a introduit dans la montagne nyonsaise nombre de volontaires venus – parfois de loin – se battre ou (et) échapper au STO (Service du travail obligatoire). D’autres sont venus se cacher à la campagne pour diverses raisons…

Croiset Victor, né le 25 décembre 1919 à Thionville (Moselle), 25 ans, résistant FFI de Nyons, appartenant à la compagnie Didio Georges, tué le 19 août 1944 à Nyons. Avec trois amis, ils essayaient une voiture au carbure sur la route de Nyons à Orange lorsque, arrivés au pont de Sauve, ils sont mitraillés par un avion. Croizet, le plus durement touché, meurt dans la soirée. Une rue de Nyons porte son nom.

Latil Lucien, 35 ans, résistant de Nyons, capturé par les Allemands, selon les informations précédentes, disparu le 23 ou le 25 août.

Lombard Suzanne, 21 ans, de Nyons, victime civile, tuée place de la République le 25 août 1944 par la pièce allemande à longue portée dont il a été question, tirant à partir d’un train blindé garé à Pierrelatte. Gaubert, veuve, née Michelle Berthe, 79 ans, de Nyons, victime civile, atteinte rue Gambetta le 25 août 1944, au cours de ce même bombardement. Elle meurt le lendemain.

Ivaldi Charles ou Henri (« Crabe »), tué le 27 dans les conditions que l’on a vues, est en fait un résistant originaire de La Seyne-sur-Mer (Var) ; il est sergent chef FTPF (Franc-Tireur et partisan français). Navarro ou Novaro Georges (« Pataclet »), Résistant de la compagnie Morvan.

Navaro, est frappé à mort à la tempe par un éclat d’obus au cours de cette même attaque allemande le 24 ou le 27 août. Navarro avait composé en 1943 « l’hymne du camp Marceau », chant des partisans du maquis Morvan.

Brun Louis : il pourrait s’agir de Brun Louis, 20 ans, évoqué plus haut, résistant de Nyons, mis en bière le 26 août 1944 par Vilhet, et qui a dû être tué le 25 août lors du mitraillage à Venterol.

Péron Raymond, 8 ans, réfugié de Toulon à Nyons, tué le 25 août 1944 par la pièce allemande à longue portée basée à Pierrelatte.


Auteurs : Claude Seyve et Michel Seyve
Sources : Albin Vilhet, Mes Mémoires, manuscrit sur cahier d’écolier ; La Résistance dans le Nyonsais, Albin Vilhet, préface de Roger Pierre, 52 p., 1982 ; Dvd-rom La Résistance dans la Drôme – le Vercors, Edition AERI-AERD, 2007 ; biographies, archives personnelles, Robert Serre