Billet de recherche d'André Coste

Légende :

Ce petit papier de la main de madame Coste a dû être déposé en plusieurs exemplaires dans des lieux fréquentés par les déportés de retour. Elle sait que son mari est décédé en déportation, mais ignore tout des circonstances de sa mort.

Genre : Image

Type : Billet

Source : © Collection Alain Coste Droits réservés

Détails techniques :

Billet manuscrit.

Date document : Juillet 1945

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Retransciption :
« Prière aux déportés rapatriés
donner renseignements sur la
mort de M. Coste André, au camp
Gorgsheil, 112 Aurich,
boulanger Valence
-------------------------------------------
Adresse Me Coste boulangerie 210 avenue Victor Hugo, Valence Drôme »


Auteurs : Robert Serre

Contexte historique

Au travers d’une série de documents et de lettres, suivons les vaines tentatives de madame Marthe Coste qui ne peut se résoudre à la disparition de son époux André, dont elle n’a plus aucune nouvelle. André Coste était boulanger à Valence, il participait activement à la Résistance. Arrêté par la Milice le 13 mars 1944, il est emprisonné à Montluc (Lyon) pendant plus de trois mois. Puis il est déporté à Dachau le 2 juillet 1944, d’où il sera transféré dans un kommando de travail.

Madame Coste fait des démarches pour se renseigner, y compris auprès d’instances régionales de la Résistance, maintenant au pouvoir en France. Le 9 novembre 1944, à l’aide d’une machine à écrire très boiteuse, le Service social du MLN (Mouvement de libération nationale) de Lyon répond à sa lettre du 4 octobre : « Nous vous prions de ne pas vous impatienter, les déportés de St-Paul sont arrivés en Allemagne […] il semble qu’ils soient tous au camp de Leitmeritz-sur-Elbe… »

Le 27 novembre 1944, André Coste meurt à Aurich-Engenhafe, le kommando de Neuengamme où il travaillait, mais cette disparition n’est connue de personne en France. Plus de six mois après, son épouse, toujours dans l’ignorance, espère encore. Sa lettre du 19 mai 1945, écrite en son nom et celui de leurs deux bambins, est pleine de confiance :
« Valence, 19 mai, samedi soir
Cher André, cher petit papa,
Enfin aujourd’hui, j’essaie de reprendre la plume pour venir parler avec toi. Cette lettre va-t-elle te joindre ? Je le voudrais de tout mon cœur. Où es-tu ? Que fais-tu ? Je l’ignore. Seulement lundi dernier, j’ai appris par un déporté que tu te trouverais au camp d’Alat
[Allach], près de Dachau, et qu’il y aurait le typhus, que vous étiez en quarantaine. Quelle inquiétude pour nous de rien savoir, et pour toi encore plus. J’ai peur pour toi, de loin je te vois sous toutes les formes. Mon Dieu, que de souffrances dois-tu avoir endurées. Cher André, ici, rien de changé, les enfants sont en bonne santé, Monique ne m’a pas quitté, toujours avec sa maman, maintenant elle est savante, elle écrit et lit couramment. Alain est depuis quelques jours chez tes parents. Pour moi, la santé est assez bonne, malgré quelques défaillances de temps en temps. Le commerce, toujours pareil, je suis contente de moi, et tu verras à ton retour que tout le monde est à sa place. Henri a toujours travaillé consciencieusement, et ne m’a jamais créé des ennuis, toujours 90 balles.
Cher André, depuis l’année dernière, le mois de juin, il s’est passé beaucoup de choses. Valence a eu assez de mal par le bombardement,
[Bombardement raté du pont de Valence par l’aviation américaine, le 15 août 1944, occasionnant la destruction de nombreux immeubles (préfecture, hôpital et maternité, habitations,…] plus une explosion que nous avons eu à la Palla et de nombreux morts. [Explosion d’un train de nitroglycérine au quartier de la Palla, près du pont de la Cécile, le 29 août 1944]. Heureusement que tout ceci se trouvait pour notre mois de fermeture qui était en août. La maison n’a pas beaucoup souffert, à l’heure actuelle, les principales réparations sont faites. Cher André, ces jours-ci, M. Mirabel est rentré chez lui ainsi que Pons [Mirabel Gilbert, né en 1923, a été arrêté à Bourg-lès-Valence le 8 octobre 1943. Transporté de Lyon à Dachau dans le même convoi que Coste, il est affecté aux kommandos de Kempte, puis de Kotlen où il est libéré le 29 avril 1945. Honoré Pons, 28 ans, pris dans le maquis le 16 août 1943, était aussi du même transport et partage l’itinéraire de Mirabel], cette arrivée nous a encore bien fait du mal, tu peux le croire. Ah ! quand donc seras-tu parmi nous ? Nous t’attendons avec impatience, toutes les fois qu’il m’est possible, avec Monique, nous allons au train, mais c’est le cœur bien gros que nous en revenons, et alors avec plus de rage, nous nous mettons au travail.
Tes parents sont en bonne santé. Ton père [ses parents, agriculteurs, habitent Claveyson. Son père a été maire de la commune à la Libération] vient tous les quinze jours à Valence. Il n’y a pas très longtemps, ils sont venus nous chercher pour passer le dimanche avec eux.
Cher André, je voudrais que ces lignes te parviennent, comme moi je voudrais recevoir un mot de toi. C’est toujours celle que tu aimes qui est là, qui t’attend, j’ai su tenir ma promesse, vas-tu dire impossible. Si, et j’en suis fière, et je le dois qu’à toi, cher André, tu m’as communiqué cette force qui, toi-même, t’a permis de résister, d’endurer toutes ces souffrances. André, je t’attends, une vie plus belle est devant nous, elle arrive, et bien proche. Vite, vite, que je te serre bien fort dans mes bras. Arrivera-t-il, ce moment ? Par moment, j’ai peur qu’il ne me soit plus permis, pourtant je l’ai gagné.
Te parviendront-ils, ces mots, qui t’apporteraient un peu de baume au cœur. J’ai entendu à la radio qu’aux déportés de Dachau, l’on pouvait écrire. N’ayant pas ton adresse complète, j’ai peur que tu n’aies pas la joie de lire ces lignes.
Demain dimanche, jour de Pentecôte, nous allons avec Monique à l’hôpital voir M. Mirabel qui depuis son retour est hospitalisé pour un traitement ; de là nous allons au train de prisonniers.
[…] Cher papa, ta petite fille joue sur le trottoir, je vais l’appeler et elle va te faire une belle page d’écriture. Tu ne vas plus la reconnaître. Elle me parle souvent de son papa, et lui tarde beaucoup que tu reviennes, elle me dit souvent Maman, les gens ils sont pas comme nous, ils sont contents. Cher André, tu vois, nous t’attendons tous, nos bras sont tous ouverts pour te recevoir, tous les copains sont aussi impatients. Augier, Martel vont bien. Madame Augier a été opérée, maintenant c’est Dédé. André, ma page est terminée, je te le répète, je voudrais que ces mots te parviennent car je vois d’ici ton anxiété. Espérons. As-tu reçu mon message par Paris ? De ta femme, de tes deux petits, reçois, cher André, nos plus affectueux baisers et à bientôt. Ta femme, Marthe ».

Une lettre adressée le 12 juillet (année non lisible) par F. Bonnet (?) de Voiron parvient à la sœur de Madame André Coste, qui elle aussi tente de retrouver trace de son beau-frère :
« Je viens tout d’abord m’excuser du retard que j’ai mis à vous répondre, mais en ce moment je suis surchargé de demandes de renseignements, je pense que vous voudrez bien me pardonner. Je viens malheureusement vous donner de bien mauvaises nouvelles. Je pensais que votre sœur était déjà au courant de la mort de son mari au kommando d’Ulrich [erreur probable : il s’agit d’Aurich] à mi novembre, moi-même tiens ces nouvelles d’un camarade qui était très lié avec votre beau-frère et m’avait chargé en cas de malheur pour lui d’avertir sa femme. Je ne l’avais pas encore fait car j’étais sans nouvelles de mon camarade qui, je crois, a dû lui aussi périr dans les bagnes nazis.
Je sais que mon camarade conservait avec lui quelque bibelot appartenant à votre beau-frère, tels que ceinture, portefeuille et un petit mot, mais tout cela a dû disparaître avec lui. Votre beau-frère est mort de dysenterie et d’épuisement à l’infirmerie d’Ulrich, je ne pourrais vous dire s’il a été enterré ou incinéré. J’ai moi-même eu le malheur de perdre mon père au camp de Mauthausen et je connais la douleur de recevoir une pareille missive. J’aurais voulu vous donner, ou du moins vous rendre de l’espoir, mais croyez Madame que je suis navré de vous apprendre un si grand malheur. Si par hasard, j’avais d’autres détails concernant votre beau-frère, je me ferais un plaisir et un devoir de vous écrire. Croyez Madame à ma plus vive sympathie. F. Bonnet ».
Madame Coste sait maintenant que son mari est décédé. Mais elle veut connaître dans quelles conditions il est mort. C’est à ce moment qu’elle diffuse un petit billet de recherche de renseignements.

Aimé Bonnefois, originaire de Montclar-sur-Gervanne, déporté à Dachau, rescapé et libéré le 29 avril 1945, est à la fin de 1945 au sanatorium de Saint-Hilaire-du-Touvet. Le 22 novembre, il écrit une lettre à madame Coste pour lui parler de son mari dont il a partagé le sort jusqu’à sa mort. Il s’apitoie, mais ne peut lui apporter les renseignements qu’elle attend :
« Chère Madame
Je pense que vous m’excuserez de mon long silence, ce n’est pas que je vous ai oublié loin de là, car je sais trop ce que c’est, et c’est pourquoi je me joins à vous dans votre malheur. Certainement qu’avec votre commerce et vos deux enfants, vous êtes bien seule et devez avoir bien du travail. Je me mets bien à votre place, mais il faut penser que c’est pour eux que vous faites tout cela, et il ne faudrait pas qu’un jour, il(s) soi(en)t aussi malheureux que nous l’avons été.
[…] Dans l’espoir que ma lettre vous trouvera en bonne santé, recevez chère Madame d’un camarade de misère de votre mari qui garde un très bon souvenir de lui, mon bon respect et vous dit courage. Bonnefois. »

Le même jour, 22 novembre 1945, Madame Coste, qui a appris plus de détails sur la fin de son mari, écrit au docteur Skosowsky, à Saint-Aubin (Jura), qui était au Revier et a assisté André Coste dans ses derniers instants : « Monsieur,
En de douloureuses circonstances, je me permets de correspondre avec vous. J’ai appris par un déporté politique que vous aviez passé au kommando de Georghiel, Monsieur Chauvin, de la Charente Maritime.
Mon mari, M. Coste André, boulanger à Valence, serait décédé à l’infirmerie de Georghiel fin novembre 1944 et serait été soigné par vous-même. L’avez-vous connu ? L’avez-vous soigné ? Si oui, veillez m’écrire au plus tôt, connaissez-vous son numéro matricule ?
D’après plusieurs camarades, il serait inhumé dans une fosse commune, dans le cimetière du camp.
Cher Monsieur, vous comprendrez mon angoisse, si vous savez quelques renseignements, si pénibles soient-ils, n’hésitez pas pour m’avertir.
Dans cette attente, avec mes remerciements anticipés, agréez, Monsieur le Docteur, mes respectueuses salutations Me Coste. »

Réponse du docteur Skosowsky, sur une feuille d’ordonnance format 11x17 cm à en-tête de son cabinet :
« le 6-12-45  
Madame
J’ai effectivement connu et soigné votre mari au Revier de Georgesheil ; comme beaucoup de nos malheureux camarades, il s’est trouvé épuisé par les privations et plus ou moins atteint par l’épidémie de dysenterie qui décimait le camp. Malgré les soins rudimentaires que nous pouvions donner avec parcimonie, malgré le repos que je parvenais à lui obtenir, il est mort sans souffrance d’ailleurs et entouré de l’affection de ses camarades, car j’avais groupé le plus possible les Français entre eux. Il est enterré au cimetière de Georgesheil, mais j’ignore son matricule.
Je me tiens à votre disposition pour tous renseignements qui pourraient vous être utiles. Si je passe à Valence, je me ferai un plaisir d’aller faire votre connaissance et parler de lui. En attendant, je vous prie Madame de croire à toute ma sympathie. Skosowsky »

Dès réception, madame Coste a réécrit au docteur Stosowsky et celui-ci lui répond à nouveau :
« le 18-12-45
Chère Madame
Je suis heureux d’avoir pu soulager tant soit peu votre peine ; non votre mari n’a pas souffert. Nous étions tous d’une faiblesse extrême qui s’était installée progressivement ; elle diminuait nos forces physiques et aussi nos réactions mentales et ceci était heureux pour nous ; il nous arrivait d’oublier ou de ne plus nous rendre compte du lieu où nous nous trouvions. J’ai vu des camarades s’éteindre très rapidement comme des lampes dont l’huile est épuisée, sans réaliser d’aucune façon l’état où ils se trouvaient. Bien peu de camarades réunis à cette époque ne sont malheureusement survivants... »

La lettre, en date du 30 novembre 1945, d’un déporté rescapé (Michel ?Guichet ?), d’Aix-les-Bains, à monsieur Coste père, répond à la lettre que ce dernier lui avait adressée le 25. Ce rescapé a déjà écrit à madame Coste et lui a donné des noms et adresses, dont celle « du médecin ayant soigné votre fils », (probablement le docteur Skosowsky). Il lui en indique quelques-uns de plus.
« En ce qui concerne le lieu d’inhumation de votre fils, je puis vous préciser qu’il se trouve au cimetière de Georgsheil, à 15 km d’Emden. Il y a là une fosse commune où sont inhumés environ 300 déportés. L’entrée du camp où nous étions captifs est en face de celle du cimetière. Je doute fort qu’il vous soit possible de reconnaître votre fils car les médailles portant le matricule des prisonniers décédés devaient faire retour au camp de Neuengamme en même temps que leur acte de décès. Il est évident que tous les renseignements que vous désirez avoir sont consignés dans les archives du camp de Neuengamme, mais n’ont-elles pas été détruites ? […] Tant de nos camarades sont morts que nous ne pensions pas qu’il est fréquent maintenant que beaucoup de familles ne peuvent avoir de renseignements sur leurs disparus, comme c’est le cas pour vous, les amis du défunt qui se faisaient un devoir de prévenir sa famille ayant disparu à leur tour. Comme d’autre part, nous n’étions pas en mesure de prendre des notes, il est assez difficile d’avoir les précisions nécessaires » […] précisions supplémentaires sur le lieu d’inhumation : « 11 km d’Aurich, près de la frontière hollandaise, une tranchée creusée et comblée au fur et à mesure des inhumations. »

Madame Coste a fait passer une annonce de recherche dans le journal Le Monde vers la fin 1945. Sans résultat, semble-t-il. Elle semble alors ne plus conserver d’espoir et se résigne à faire célébrer une cérémonie funéraire qu’annonce le quotidien régional Les Allobroges du 1er décembre 1945 :
« Valence. Mme Coste et ses deux enfants vous prient d’assister au service religieux en mémoire de M. André Coste, boulanger à Valence, décédé au kommando de Georgseil (Allemagne), novembre 1944, qui aura lieu le mardi 4 décembre, à 9 h 45, en l’église Sainte-Catherine.»


Auteurs : Robert Serre
Sources : Archives Alain Coste. Robert Serre, De la Drôme aux camps de la mort, les déportés politiques, résistants, otages, nés, résidant ou arrêtés dans la Drôme, éd. Peuple Libre / Notre Temps, 2006.