Léonce Vieljeux

Légende :

Portrait de Léonce Vieljeux par Henri Gervex

Genre : Image

Type : Portrait

Source : © La Rochelle, collection municipale. Droits réservés

Détails techniques :

Huile sur toile, après 1918 

Date document : Après 1918

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Poitou-Charentes) - Charente-Maritime - La Rochelle

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Contexte historique

Élu conseiller municipal en candidat libre en 1912, Léonce Vieljeux assume plusieurs mandats municipaux. En 1930, il est élu maire sur la liste républicaine d’Union et de Défense des intérêts rochelais, réélu en 1935, il l'est toujours en juin 1940. Au cours de ses mandatures, il lance des travaux d'aménagement et d'enjolivement de la ville. C'est un homme conscient de l’évolution politique de l'Europe des années trente et qui s'en inquiète. Le 18 novembre 1938, dans son discours d'inauguration du cimetière militaire de Saint-Éloi, il dénonce les accords de Munich: « Le peuple de France, dont la force au cours des âges a été l’amour du travail, n’a pas voulu voir qu’au delà du Rhin et au delà des Alpes, on s’armait fiévreusement … 

Ces chemins nous ont conduits, il y a un mois, à Munich pour signer une des pages les plus tristes de notre Histoire. Si nous ne les abandonnons pas courageusement, ils conduiront demain nos fils dans les cimetières comme celui que nous inaugurons et ils mèneront aussi au suicide de la France… ». 

Le dimanche 23 juin l'armée d'invasion entre à La Rochelle. Dans l'après midi, vers quatre heures, un jeune officier allemand accompagné d’un interprète, se présente à l'hôtel de ville et demande le bureau du maire. L. Vieljeux, revêtu de son uniforme de colonel de l'armée française, refuse d'accéder à sa demande de remplacer le drapeau français qui flotte sur la mairie par le pavillon nazi. Il lui justifie sa réponse ainsi : « Dites à cet officier que je suis, moi, colonel dans l’armée française, que je suis maire d’une grande ville, que mon honneur d’officier et ma dignité m’interdisent de discuter avec un subalterne, même s’il appartient à une armée victorieuse, et que je n’exécuterai des ordres que s’ils émanent d’un officier allemand ayant au moins un grade égal au mien. »

Dans la soirée, l’hôtel de Ville bloqué par plusieurs blindés, est investi par tout un état-major allemand et peu après le drapeau nazi flotte au-dessus des lieux. L. Vieljeux est refoulé dans une petite pièce attenante à son ancien bureau où il se rend chaque matin pour prendre les ordres du chef de la Kommandantur. Ce refus, ce geste de résistance au premier jour d’occupation de la ville, a fait de lui un personnage emblématique qui a attiré le respect et l’affection de ses administrés. Il ne les déçoit pas puisqu’à partir de ce jour, il ne cesse de s’opposer aux exigences de l’occupant et, lorsqu’il ne le peut pas, il fait preuve de mauvaise volonté. Le 20 septembre 1940, il refuse de faire placarder des affiches anti-anglaises qui exploitent le bombardement de la flotte française par l'aviation anglaise à Mers El Kébir. Une fois de plus sa réponse est justifiée : « Le Maire de La Rochelle a l’honneur de faire connaître qu’il ne peut s’intéresser ni prendre part à la pose des affiches dirigées contre l’Angleterre car une pareille obligation n’est pas prévue dans les clauses de l’armistice ». En conséquence, il est révoqué par Vichy à la demande de l’occupant. Dans l’arrêté de suspension en date du 22 septembre, les motifs du préfet reprennent intégralement les instructions de l’ennemi. Il refuse, comme le lui conseille le préfet, d’envoyer une lettre d’explications au commandement allemand et exige de son conseil municipal de ne pas se solidariser avec lui.

Cependant, il reste présent dans la ville où il consacre son temps au Secours national et à la défense passive. De nouveau en mai 1941, il est aux prises avec les exigences allemandes à propos de la création d’un journal régional de propagande auquel il n’accepte pas d’apporter son concours. Excédés par son attitude, les Allemands obtiennent son expulsion de Charente-Maritime le 17 juin. Il est alors assigné à résidence en Charente et s’installe chez sa fille, madame Roullet, près de Jarnac. La mesure étant levée le 2 novembre, il regagne La Rochelle le 24. 

Mais la répression, comme la résistance, s'intensifie, les arrestations se multiplient. Le 14 mars 1944, L. Vieljeux ainsi que des membres de sa famille et des proches sont arrêtés : Franck Delmas et Jacques Chapron, ses neveux, Joseph Camaret le directeur des chantiers navals. Les Allemands considèrent L. Vieljeux comme un ami efficace du réseau Alliance. En revanche, ses compagnons sont tous des agents immatriculés dans ce réseau. Son arrestation est précédée par celle de son petit fils Yann Roullet, pasteur à Mougon dans les Deux-Sèvres. Il semble que cet événement soit à relier avec la première vague qui a décapité Alliance sur la Rochelle.

L. Vieljeux, J. Camaret, F. Delmas et J. Chapron sont emprisonnés dans des cellules différentes à Lafond. Le maire est accueilli dans sa cellule par ses co-détenus : « Nous étions en fin d’après midi. Tout était tranquille dans la prison. Soudain des pas. La porte qui s’ouvre : un vieux monsieur, de petite taille, avec un chapeau melon et une couverture foncée, tenue par les quatre coins, sur son épaule, est projeté dans la cellule. Il se présente : « Monsieur Vieljeux, maire de La Rochelle ». Je me présente à mon tour. Et je lui dit : « nous n’avons que deux paillasses, mais vous en prenez une » et comme il refuse, sous prétexte qu’il est arrivé le dernier, j’ajoute : « Aujourd’hui, vous obéirez »… « Si c’est un ordre ! », dit Léonce Vieljeux en ouvrant sa couverture … Dedans, il y avait des biscuits. Il les partagea avec nous» . 

C’est ensuite le départ de la gare de La Rochelle pour quelle destination ? Nul ne sait. Sur le quai les cheminots alertés lui rendent hommage: « Il était un peu plus de midi... Sur le trottoir du quai Valin, j’ai croisé Léonce Vieljeux, menotté et encadré de deux feldgendarmes… A l’époque pour tous les gamins de La Rochelle, le maire symbolisait le refus de l’allégeance vis-à-vis des occupants. Je l’ai salué en enlevant mon béret. Il a répondu à mon salut d’un signe de tête. J’ai compris que les Allemands l’emmenaient à la gare. Tout le monde savait à La Rochelle que le maire était retenu prisonnier à Lafond et devait être transféré sur Poitiers. Alors, je suis remonté en courant vers la gare…. Une fois arrivé, j’ai prévenu mon cousin, qui était aux billets, et je suis allé voir le chef de gare... Tous les cheminots sont venus sur le quai. Et nous avons fait une haie d’honneur à notre maire …» . 

A Poitiers à la prison de la Pierre levée où sont également détenus son petit-fils Yann Roullet et Étienne Girard (ce qu'il ignore), ils sont interrogés à plusieurs reprises afin d'instruire leur procès. Le 28 avril 1944, transférés par le train à Paris, ils rejoignent un convoi partant pour le camp de Schirmeck en Alsace. Le docteur Lacapère, prisonnier détaché à l’infirmerie du camp, a témoigné sur l'internement du maire de La Rochelle : « Léonce Vieljeux nous était apparu comme un mince vieillard. Il avait toujours sur les épaules une couverture car le tissu léger de nos costumes de forçat le protégeait mal de la fraîcheur de mai à l’altitude de Schirmeck. Ses yeux bleus surprenaient par leur vivacité et leur éclat étonnant chez un homme de son âge ». Avec ses compagnons et tous les membres du réseau internés dans différents camps et prisons, ils sont en attente de leur procès enfermés dans la cabane n°10. L. Vieljeux participe à la mise en place d'un programme de loisirs et de conférences pour occuper le temps des prisonniers auxquels on n’impose pas de travail harassant. 

Le drame se noue dans la nuit du 1er au 2 septembre 1944. Vers 20 heures, une camionnette s’arrête devant la baraque n°10 et charge douze prisonniers à destination du camp du Struthof distant d’une vingtaine de kilomètres. Elle revient vers 21 heures et en prend douze autres. Les prisonniers pensent qu’il s’agit d’un changement de camp et ceux qui sont restés se préparent en prévision de leur proche départ. A 23 heures, un camion charge les derniers occupants de la baraque 10; puis dans la nuit, revient pour emmener d’autres prisonniers et des femmes (quinze). Cette nuit-là, 108 membres du réseau Alliance ont été exterminés au camp du Struthof. De corvée le lendemain matin, un interné d'une autre baraque, l’adjudant-chef Bonnal, témoin de ce qui s’est passé, reçoit d’un SS un paquet de vêtements à désinfecter. Il lui demande : - «Que sont ils devenus ?» - «Ils ont été nettoyés. On n’en parle plus. Ils ont été tués et brûlés».

L’ordre de l'exécution venu de Berlin, transmis à tous les lieux nazis de détention des membres du réseau Alliance, émanait directement d’Hitler qui à défaut d’un procès à grand spectacle comme il le souhaitait, tenait ainsi sa promesse d’éliminer L’Arche de Noé. Au total 300 agents du réseau dont 92 femmes  ont été exterminés cette nuit-là.


Jean-Luc Labour et Nicole Proux