Article intitulé "Papotons, mesdames !", Midi-Rouge, 4 octobre 1944

Légende :

Article intitulé "Papotons, mesdames !", paru dans Midi-Soir, édition vespérale de La Marseillaise, organe du Front national, 4 octobre 1944

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © AD des Bouches-du-Rhône - PHI 419-1 Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal.

Date document : 4 octobre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

L'article s'adresse sans ambiguïté aux femmes. Le premier paragraphe rappelle les difficultés de la vie quotidienne et considère comme une évidence qu'il revient aux femmes d'y faire face.

Le deuxième paragraphe commence par une remarque qui peut surprendre dans le journal d'un mouvement de résistance largement influencé par le Parti communiste : « Aussi avez-vous l'intention de supprimer votre domestique. » Que cette remarque soit au premier ou au second degré, la suite de l'article renvoie à ce que doit être une femme responsable d'un foyer. La femme doit rester séduisante jusque dans l'accomplissement des tâches ménagères les plus ingrates. Tout laisser-aller est condamné. L'article se termine sur une note rappelant l'importance que toute femme est censée accorder à son apparence : « Je sais que vous seriez affolée si on vous surprenait en négligé. » Marseille est libérée depuis un peu plus d'un mois, la guerre se poursuit en France, en  Europe et dans le monde, mais l'article renoue avec « l'éternel féminin », une femme facilement déstabilisée, définie par son apparence et responsable des tâches ménagères.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

La Libération ne met pas fin aux difficultés de la vie quotidienne. À Marseille, la situation est particulièrement difficile. Les rations alimentaires sont inférieures à la moyenne nationale. Les prix de détail ont flambé pendant la guerre, passant de l'indice 100 pour 1938 à l'indice 213 en avril 1944. Les salaires sont restés très en deçà, n'atteignant que l'indice 163.
Les combats de la Libération ont encore accentué les pénuries en désorganisant les circuits de distribution. Le ravitaillement est l'une des préoccupations majeures des autorités. Les journaux signalent les jours et les lieux de distribution de produits alimentaires. Ils font aussi état du mécontentement de la population qui s'attendait à un retour rapide à la situation d'avant-guerre, une fois les occupants chassés. Les femmes pendant la guerre ont été en première ligne pour assurer la survie du foyer. À elles de nourrir leur famille, malgré les pénuries. Les manifestations de ménagères, spontanées ou organisées par des résistantes ont ponctué la période de l'Occupation et se poursuivent à la Libération. Mais les devoirs de la femme restent inchangés : mère nourricière, épouse, elle doit garder une séduction de bon aloi.
La presse féminine s'était développée et démocratisée avant-guerre. Elle ne s'adresse plus uniquement aux femmes des milieux aisés. Marie-Claire, lancé en 1937, copie la présentation des journaux de luxe, mais s'adresse aux femmes des classes moyennes. Le discours reste très convenu. Les seules vertus domestiques et familiales ne suffisent plus à retenir un mari. La femme doit être soignée, d'une coquetterie raisonnée sans négliger ses devoirs de femme d'intérieur. Les journaux politiques ont des rubriques destinées aux femmes. Le Populaire, quotidien de la SFIO, consacre une page, le dimanche, à « la militante, la femme ». La tribune des femmes socialistes y occupe une place modeste et voisine avec recettes de cuisine, patrons de tricots, de couture, préparations diverses pour nettoyer tentures et chapeaux. L'Humanité dispose d'un service des patrons pour envoyer aux lectrices les modèles décrits à un rythme moins soutenu cependant que dans le Populaire. Malgré la pénurie de papier, les journaux de la Résistance renouent très rapidement avec les rubriques destinées aux femmes. Dans son édition du 31 décembre 1944, Rouge-Midi, l'organe régional du Parti communiste, sous un grand article incitant les femmes à voter, présente une rubrique « la mode pratique » qui explique aux lectrices comment entretenir leur garde-robe, des chaussures au chapeau en passant par les bas filés et pour celles qui en possèdent, comment protéger leurs fourrures des mites.

La conclusion de l'article rejoint les injonctions de Midi-Soir : « Ayez donc soin de votre apparence extérieure. Elle marquera votre volonté de garder un bon moral dans les difficultés actuelles. » La propagande de Vichy condamnait  la sophistication d'avant-guerre qui détournait la femme de ses devoirs d'épouse et de mère et  faisait l'apologie de la femme à la beauté naturelle. À la Libération, le discours est toujours prescripteur. Par son apparence soignée, la femme doit montrer sa confiance dans l'avenir et sa volonté de rebâtir le pays sur des bases saines.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Christine Bard, Les femmes dans la société française au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2001.

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.

Francine Muel-Dreyfus, Vichy et l'éternel féminin, Paris, Le Seuil, 1996.