Article "A vos geôles, Messieurs, Dames", La Marseillaise, 27 août 1944

Légende :

Article de presse intitulé « À vos geôles, Messieurs, Dames », La Marseillaise, 27 août 1944

 

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © AD Bouches-du-Rhône - PHI 419-1 Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal.

Date document : 27 août 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Le 27 août 1944, La Marseillaise, dans un article qui vaut éditorial, rend compte du transfert à la prison Saint-Pierre, des personnes détenues depuis les combats de la libération dans les caves de la préfecture, devenues centre de détention improvisé.

Précédé d'un sous-titre ironique « À vos geôles, Messieurs, Dames », le titre pose d'emblée une coupure radicale entre le peuple, unanimement patriote et résistant, et ceux qui se sont compromis. Le journal rend compte - sans la condamner - de l'atmosphère de lynchage qui entoure la sortie des prisonniers. Les personnalités connues sont particulièrement conspuées. La peur qui se lit sur le visage des détenus vaut aveu de culpabilité : « Tous sont blêmes en montant dans le camion. Fini de crâner. Finie la bonne vie. Il faut maintenant payer. »
La violence qui s'exprime jusqu'aux coups paraît légitime, car elle s'exerce à l'égard « de ces ennemis de l'intérieur, plus dégoûtants que l'ennemi étranger sur lequel ils s'appuyaient. » Les procès à venir seront à la fois l'expression de la justice et celle de la vengeance d'un peuple qui a souffert pendant quatre ans.

En mettant sur le même pied ces deux concepts opposés, l’article est révélateur de l'atmosphère qui entoure la Libération et laisse présager des difficultés de l'épuration.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Lorsque l'article de La Marseillaise paraît, la bataille de Marseille, engagée depuis plus d'une semaine, est sur le point de s'achever. La prise de la préfecture, le 21 août, a permis l'installation dans ce lieu symbolique du CDL, puis le 24, de Raymond Aubrac, commissaire régional de la République, reconnu par le CDL comme représentant du Gouvernement provisoire de la République française. Le 25 août, les tirailleurs algériens ont repris l'esplanade de Notre-Dame-de-la-Garde. Le 27 août, les garnisons du fort Saint-Nicolas et de la caserne Audéoud se rendent, tandis que le général Schaeffer demande pour la première fois une suspension d'armes.

La Marseillaise est l'organe du Front national, qui avait décidé le 20 août d'une parution quotidienne. Jusqu'au 23 août, la parution se fait avec les moyens techniques et humains limités de la clandestinité. Le 23 août, la prise de contrôle du Petit Marseillais par un groupe de FTPF et de membres des Milices patriotiques permet de sortir dès le lendemain un journal grand format recto-verso.

Le Petit Marseillais atteignait en 1939 un tirage quotidien de 150 000 exemplaires. C'était, avec Le Petit Provençal, l'un des quotidiens les plus lus de la région. Il devint pendant l'Occupation un fervent soutien du gouvernement de Vichy et de la politique de collaboration. Il incarnait pour les résistants la presse qu'ils voulaient abolir, presse d'avant-guerre, marquée par l'affairisme, et presse des années d'occupation, qui a prêté allégeance au régime de Vichy. La rédaction de La Marseillaise comprend de nombreux militants et sympathisants du Parti communiste.

Les arrestations évoquées par l'article ont été effectuées par différents groupes de résistants. Les personnes conduites à la préfecture sont interrogées, parfois sans ménagement, par les services du commandant Coco, chef des Milices patriotiques, puis transférées à la prison Saint-Pierre. Les personnalités citées dans l'article ont été arrêtées sur ordre du CDL, sans que cela ne préjuge de leur avenir judiciaire.

Dans une note du 28 août, les Renseignements Généraux de Marseille rapportent ainsi les événements décrits dans l'article de La Marseillaise : « On a été, dans les milieux cultivés, ému par les manifestations populaires qui ont accompagné le transport des prisonniers rassemblés à la préfecture ; on voudrait que ces incidents ne se reproduisent plus et on critique les journaux qui les relataient avec complaisance. »

Le CDL et les autorités du Commissariat régional tentent de placer l'épuration dans le cadre légal prévu par le Gouvernement provisoire. Pierre Tissier, commissaire régional de la République par intérim, crée, le 5 septembre 1944 à Marseille, une cour de justice du ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.

Henry Rousso, « L'épuration en France, une histoire inachevée », in Vingtième siècle, PFNSP n° 33, 1992, pp. 78-105.

Archives départementales des Bouches-du-Rhône - 149 W 128 - Note d'information des Renseignements Généraux de Marseille, 28 août 1944.