"Le journal Défense de la France"

Abasourdie par le choc de la défaite qu’inflige l’écrasante victoire militaire de la Wehrmacht du troisième Reich, une poignée de Français, animés d’une même foi, décide, dès 1940, de réagir face à cette soudaine présence étrangère qui leur fait comprendre qu’ils ne sont plus chez eux, en France. 

Mais de toute évidence, cette certitude de vouloir recouvrer la liberté de leur pays n’est pas sans soulever des questions et, dans cette première manifestation du refus, cette minorité de patriotes tâtonne et s’interroge.

Quel chemin choisir pour accomplir sa volonté ? Comment trouver des personnes « non contaminées par l’esprit d’abandon » prêtes à faire équipe avec soi ? Sur qui s’appuyer ? Que faut-il penser de ces nouveaux dirigeants qui, depuis le sol français ou étranger tentent de rameuter les troupes et de servir, à leur façon, leur pays. En qui faut-il mettre sa confiance ? Qui, du grand Maréchal vainqueur des Allemands en 1918 ou du jeune rebelle, inconnu des Français, liberera les Français du joug allemand ?

Si, pour certains, la prise de position est évidente, pour d’autres le doute s’installe. Ceux-là préfèrent ne compter que sur eux-mêmes, rassembler leurs troupes et entreprendre la lutte avec leurs propres armes dans le but ultime de résister à l’ennemi.
La Résistance se décline alors sous différentes formes, au moyen d’armes variées et se développe à des rythmes différents qu’imposent le hasard des rencontres, les circonstances et les contraintes liées à l’Occupation. Chacun cherche alors le moyen de lutte qui lui correspond le mieux.

Alors que certains privilégient l’action militaire ou le renseignement, d’autres choisissent de mener un combat culturel et instrumental en s’appuyant sur un journal clandestin : selon eux, « il fallait commencer par remonter le moral de la population et, par conséquent, faire rentrer moralement la France dans la guerre […] donc faire de la propagande au bon sens du terme. » (1)

Défense de la France, qui constitue une des premières manifestations de la Résistance en zone occupée, est l’un de ces instruments de lutte original appellé Mouvement qui, au moyen d’un journal, permet à Philippe Viannay et à deux de ses camarades – Robert Salmon et Hélène Mordkovitch (future Hélène Viannay) – d’émerger en conscience et de résister, dès l’automne 1940, à un envahisseur fermement décidé à contaminer leur pays par ses « valeurs inadmissibles ».
Persuadés qu’il peut y avoir « une alternative au découragement et à l’inaction » (2), ils fondent, ensemble, un journal clandestin dont la spécificité reconnue est l’extraordinaire mise en place et l’organisation d’une véritable imprimerie indépendante, consolidée par un important service de faux papier puis, à partir de 1942, la constitution de corps francs, puis la création de maquis au printemps 1944.

Après l’armistice de juin 1940, la France est divisée en plusieurs zones. Au nord, la France est occupée par les troupes allemandes et son administration est mise à leur service.

La presse française est directement placée sous tutelle de la Propaganda-Abteilung (direction de la propagande) que contrôle Goebbels, ministre allemand de la propagande. La liberté d’expression devient alors étroitement surveillée comme en témoigne l’ordonnance du préfet de police datée du 18 octobre, qui impose aux personnes souhaitant fonder un journal de fournir des preuves de leur "aryanité" depuis au moins trois générations. 

En outre, elle "interdit aux fabricants, marchands grossistes de vendre sans autorisations délivrées par les commissaires de police, les appareils duplicateurs et les papiers susceptibles d'être employés à la confection de circulaires ou de tracts ronéotypés".(3) 

Pourtant, malgré ces censures, les premiers papiers et les premiers tracts circulent, en zone occupée comme en zone libre, dès l'été 1940. Les combattants de l’ombre sont alors confrontés à de multiples obstacles : l'approvisionnement en matériels divers, notamment le papier et l’encre – qu’il faut se procurer à des prix prohibitifs en dehors des circuits légaux – la collecte de l’information, la recherche de rédacteurs ou encore la répression contre toute forme d’opposition à l’occupant nazi. 

Toutes ces contraintes imposent rapidement à l’initiateur, agissant souvent individuellement, le recours à une équipe plus nombreuse et diversifiée donnant naissance, parfois, à de véritables mouvements.

Si certains journaux ne durent que le temps de quelques numéros, d’autres parviennent à contourner les difficultés et à inscrire leur publication dans la durée. 

C’est le cas, entre autres, de Défense de la France. A cette époque, le mouvement n’a pas encore de nom. Les premières préoccupations sont bien plus d’ordre conceptuel que formel. Les trois co-fondateurs veulent opposer, au moyen d’un journal, « la force de leur témoignage à l’apathie d’une société qui se délite » (4). Par ce vecteur idéal ils cherchent à « modifier la psychologie d’un peuple auquel ils appartiennent », souligne Viannay (5). Défense de la France (DF) est donc conçue « essentiellement comme un journal d’opinion et même un journal de conviction […]. 
Pour ces résistants de la première heure, il faut combattre la présence allemande, l’envahisseur qui occupe une grande partie du territoire. Il est donc significatif que leur « premier tract, imprimé, au mois de mai 1941, avant même que l’imprimerie ne soit installée, soit un document sur la situation en Alsace-Lorraine. » (6) Ils le baptisent : « Nouvelles de France, l’Alsace ». Ce premier tract est publié au mois de mai 1941 à 100 exemplaires (1 000 selon les sources). 

A cette époque, Défense de la France ne dispose pas encore de machine à imprimer et le tirage s’effectue sur la Ronéo de l’entreprise que dirige Alphonse Bottin, père d’une amie d’Hélène qui participe aux premiers pas du mouvement.

Jusqu’en octobre 1942, le journal aborde régulièrement le thème de l’Alsace-Lorraine dans ses colonnes. Certaines parties de ce premier numéro « officieux » du jeune mouvement clandestin sont reprises dans la première et la cinquième publication de Défense de la France.

Les documents présentés dans l'exposition (journaux clandestins, photographies) proviennent d'un fonds Défense de la France donné par Jean-Marie Delabre aux Archives nationales, début 2012. 


Sources : (1) Olivier Wieviorka, Une certaine idée de la Résistance, Défense de la France 1940-1949, éditions Seuil, 1995. (2) Laurent Douzou,"Mouvements de résistance", Dictionnaire historique de la Résistance, éditions Robert Lafont, 2006. (3) Extrait de l'ordonnance du préfet de police de Paris. (4) Olivier Wieviorka, Op.cit. (5) Philippe Viannay dans Olivier Wieviorka, Op.cit. (6) Philippe Viannay, Du bon usage de la France, Résistance, Journalisme, Glénans, édition Ramsay, 1988.


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Stunned by the shocking defeat imposed by the overwhelming military victory of the Wehrmacht of the Third Reich, a handful of French, driven by the same spirit, decided, in 1940, to act out against this new foreign presence which made them feel no longer at home in France. Yet by all evidence, the certainty of will to recover the liberty of their country did not come without raising questions and, in this first act of refusal, this small group of patriots tried to sort them out.

What path should they take to accomplish their goal? How would they find people « not yet contaminated by the spirit of resignation » ready to join the effort? On whom could they rely? What were they to think of these new leaders who, from French or foreign soil, who were trying to mobilize the troops and, in their own way, serve their country? In whom could they put their trust? Who, the great Marshall, the victor against the Germans in 1918, or a young unknown rebel, was to liberate France from the clutches of Germany?

If, for some, the course of action was evident, others were in doubt. They preferred to count only on themselves, assembling their troops and starting the fight with their own weapons in the ultimate goal of resisting the enemy. The Resistance began to develop in many different ways, by means of various arms and resources, and at differing rates as a function of the dangers of meeting and the circumstances of the Occupation. The rebels specialized their efforts according to what roles best fit them.

Whereas certain among them chose military action or information, others chose to lead an instrumental cultural struggle by publishing an underground newspaper: in their words; « we had to start by restoring popular morale and so doing morally re-enter France in the war [...] thus using propaganda in the good sense of the word. » (1)

Défense de la France, which constituted one of the first acts of the Resistance in the Occupied Zone, is one of the instruments of the original struggle called the Movement which, by means of a newspaper, permitted Philippe Viannay and two of his comrades – Robert Salmon and Hélène Mordkovitch (later Hélène Viannay) – to grow in consciousness and to resist, from autumn 1940, an invader decidedly contaminating their country with its « inadmissible values ». Determined that there could be « an alternative to the discouragement and the inaction » (2), together, they founded an underground newspaper whose recognized purpose was to put the extraordinary into place and to organize a veritable independent printer, consolidated by an important service of false documents then, starting in 1942, the constitution of a militia, then the creation of the maquis in Spring 1944.

After the armistice of June 1940, France was divided into many zones. To the north, France was occupied by German troops and her administration was at their service.

The French press was placed directly under the oversight of the Propaganda-Abteilung (direction of propaganda) controlled by Goebbels, German Minister of Propaganda. The freedom of expression thus became closely surveyed, as is proof by the ordinance by the prefect of the police dated October 18 which requires all those wishing to found a newspaper to prove their « Aryan-ness » for at least three generations.

In addition, it « forbids suppliers and wholesale merchants to sell copy machines and papers susceptible to be used for the making of pamphlets or duplications without police authorization ». (3)

However, despite this censorship, the first papers and pamphlets were circulated, in both the occupied and free zones, starting in the summer of 1940. The shadow resistants were thus confronted by multiple obstacles: the supply of diverse materials, notably paper and ink – that they had to procure at prohibitive prices and outside of the legal circles – the collection of information, the search for writers, and again the repression of all forms of resistance to the Nazi occupation.

All these constraints imposed rapidly upon the instigator, acting often individually, the recourse of a numerous and diverse team gave birth, on occasion, to veritable movements. Though certain newspapers only lasted a few issues, others managed to withstand the difficulties and print their publication throughout the duration of the occupation.

The latter was the case for Défense de la France, among others. At the time, the movement did not yet have a name. The first preoccupations were much more of a conceptual rather than formal nature. The three co-founders wanted to assert, by means of a newspaper, « the force of their account of an apathetic society that was crumbling » (4). By this ideal, they looked to « modify the psychology of a people to which they belonged », emphasized Viannay (5). Défense de la France (DF) was thus conceived « essentially as an opinion paper and a paper of conviction [...]. For these resistants of the first hour, it was necessary to fight the German presence, the invader occupying a large part of the country. It is therefore significant that their first pamphlet, printed in May 1941, even before the printers were established, was a document on the situation in Alsace-Lorraine » (6) They named it: « News of France, Alsace ». This first pamphlet was published in the month of May 1941 at 100 copies (1000 according to some sources).

At the time, Défense de la France did not yet have access to a printing machine and thus used the Ronéo machine at the business of Alphonse Bottin, the father of a friend of Hélène's who participated in the first steps of the movement.

Until October 1942, the newspaper dealt regularly with the theme of Alsace-Lorraine in its columns. Certain groups of the first « official » issue of the young clandestine movement were recounted in the first and fifth publications of Défense de la France.

The documents presented in the exposition (underground newspapers, photos) come from a collection of Défense de la France given by Jean-Marie Delabre to the National Archives, debut 2012.


Sources : (1) Olivier Wieviorka, Une certaine idée de la Résistance, Défense de la France 1940-1949, éditions Seuil, 1995. (2) Laurent Douzou,"Mouvements de résistance", Dictionnaire historique de la Résistance, éditions Robert Lafont, 2006. (3) Extrait de l'ordonnance du préfet de police de Paris. (4) Olivier Wieviorka, Op.cit. (5) Philippe Viannay dans Olivier Wieviorka, Op.cit. (6) Philippe Viannay, Du bon usage de la France, Résistance, Journalisme, Glénans, édition Ramsay, 1988.


Traduction : Matthias R. Maier

© Fondation de la Résistance (département AERI) – February 2012 – all rights reserved.

Auteur(s) : Emmanuelle Benassi

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