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La fabrication des faux papiers : l’exemple du mouvement Défense de la France

Légende :

Au recto : fausses cartes d’identité et petit papillon rappelant à ceux qui en étaient destinataires que le mouvement DF leur offrait cette carte. Refusant de monnayer cet acte patriotique, ce papillon invite néanmoins le bénéficiaire à aider le mouvement par « [ses] actes, par [son] argent, qui permettra de faire vivre un autre franc-tireur ».

Au verso : Faux tampon réalisé par l’atelier de DF.

Genre : Image

Type : Photographie

Producteur : Clichés Frantz Malassis

Source : © Archives nationales/ Fonds Charlotte Nadel et Ariane Kohn/ 72 AJ Droits réservés

Détails techniques :

Photographies numériques en couleur

Date document : sans date

Lieu : France - Ile-de-France - Paris

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Contexte historique

Rapidement les résistants ont recours aux faux papiers pour mener à bien leurs activités illégales (activités de passages clandestins, achat de matériel…). Ainsi, c’est sous une fausse identité que Philippe Viannay, co-fondateur de Défense de la France, commande la première presse qui servira à imprimer le journal Défense de la France.

D’une production artisanale …

Dans un premier temps, pour protéger leurs membres de la répression, les organisations de Résistance font appel à des complicités au sein de l’administration qui leur fournissent de faux papiers. Mais, ce moyen d’approvisionnement montre vite ses limites car ces agents administratifs très surveillés ne peuvent fournir, de façon régulière, en grande quantité et dans un délai très court les faux papiers nécessaires. De plus, en cas de découverte, tous les faux papiers établis par une administration donnée se trouvaient suspectés tout comme leurs détenteurs.
Face à ce besoin, des services de faux papiers se créent au sein des mouvements. Dès 1942, en plus de ses activités de propagande, le mouvement Défense de la France se dote d’un atelier de faux papiers organisé et dirigé par Michel Bernstein et Monique Rollin (1). Au début, les techniques employées sont rudimentaires et artisanales. Michel Bernstein, utilisant l’impression par transfert sur support de gélatine pour réaliser les empreintes de tampons des administrations nécessaires à la réalisation des faux papiers, ne peut produire que 50 documents par semaine (2). À partir de février 1943, la production s’intensifie et se diversifie dans le cadre de la stratégie de lutte contre le Service du travail obligatoire (STO) menée par DF. Le mouvement produit alors tous les documents nécessaires aux réfractaires au STO : cartes d’identité, certificats de travail, de recensement, de démobilisation, permis de conduire, ausweis…(3) Une large gamme de tampons émanant de différentes administrations éparpillées sur tout le territoire sont également contrefaits pour permettre la validation de toutes ces pièces officielles.

…à une organisation industrielle

Cette demande croissante en faux papiers contraint DF à recourir à la technique de la photogravure. Les modèles à reproduire (tampons ou formulaires vierges de pièces officielles) sont photographiés. Puis, des photograveurs acquis à la Résistance, comme Émile Courmont, Jacques Grou-Radenez ou Marcel Guichardot, exécutent des clichés en zinc aux formats souhaités qui sont ensuite gravés à l’« eau-forte » (acide nitrique). Les clichés pour réaliser les formulaires des pièces officielles(4) sont ensuite transmis aux imprimeries de DF tandis que ceux destinés à fabriquer des tampons sont pris en charge par Monique Rollin et Michel Bernstein à l’atelier des faux papiers. À partir de ces clichés en « négatif », ils fabriquent les tampons en prenant leur empreinte à l’aide de feuilles de caoutchouc et d’une presse à vulcaniser. Au total, Michel Bernstein estime sa production à 12 000 faux (5) tampons allant des cachets de mairies et de préfectures aux timbres des Feldkommandantur. Pour des raisons de sécurité l’atelier des faux papiers est strictement cloisonné du reste de DF y compris des « centrales des faux papiers » où sont complétés les papiers remis alors aux agents de liaisons à destination de tous ceux qu’une nouvelle identité doit protéger. Deux centrales fonctionnent à Paris, dont une gérée par Pierre Bizos (alias Pierre des Faux Papiers), et plusieurs sont installées en Province. En plus de venir en aide aux personnes persécutées et pourchassées, cette vaste organisation de faux papiers permet également d’alimenter d’autres organisations de Résistance comme Libération-Nord, les FTP, les MUR, l’OCM,…

Les règles pour se fabriquer une identité solide

Les faussaires des centrales ne peuvent fabriquer de solides faux papiers qu’à la condition de respecter rigoureusement des règles précises. À leur attention, Michel Bernstein rédige un Manuel du faussaire (6) et un petit mémo « Conseils pour remplir un certificat de travail (6) » pour faire en sorte que ces documents falsifiés soient les plus fidèles aux documents officiels et respecte les logiques administratives.
Afin d’éviter aux porteurs d’être démasqués par un détail anodin ou un simple interrogatoire de routine, le mouvement DF remet avec chaque jeu de faux papiers une note « De l’emploi des faux papiers (6)» qui rappelle des règles simples pour les utiliser et invite par exemple son porteur à « salir et écorner ses faux papiers : un aspect usagé leur conférera en effet une apparence d’authenticité plus grande » ou bien encore à « imaginer […] dans ses moindres détails son existence fictive ». C’est la raison pour laquelle sont remis aux intéressés des notes de renseignements sur les communes censées les avoir produits indiquant entre autres les noms des notables (curé, notaire, maire, propriétaires de commerces…). Fort de tous ces conseils et d’une nouvelle identité, l’entrée dans la clandestinité peut alors commencer.


Auteur : Frantz Malassis

(1) De février 1942 à juin 1944, Michel Bernstein ne sortira qu’une dizaine de fois des appartements-ateliers qu’il occupera durant la clandestinité. Le dernier se situe au 71, rue de la Victoire à Paris avant qu’il rejoigne, avec Monique Rollin, le maquis de Seine-et-Oise Nord en juin 1944.
(2) Pour plus de détails sur les techniques de fabrication des faux papiers on se reportera au livre d’Olivier Wieviorka, Une certaine idée de la Résistance. Défense de la France. 1940-1949, Paris, Seuil, 1995, pp 118 à 126 à qui cet article doit beaucoup.
(3) Lors de l’exposition « Atelier des faux et de l’imprimerie DF » inaugurée le 1er décembre 1944 par le général Koenig à Paris sont présentés « environ cent-cinquante imprimés divers » (Michel Bernstein, Fragments et notules sans grande importance. 1944-1945, hors commerce, 1995, p. 43.)
(4) Ne sont concernés que les documents comportant un sigle ou un en-tête, Michel Bernstein composant les matrices des documents faciles à imiter par typographie.
(5) Olivier Wieviorka, op.cit., p.120.
(6) Conservé dans le fonds Charlotte Nadel et Ariane Kohn aux Archives nationales.