Couverture du livret présentant le film « Au cœur de l'orage »

Genre : Image

Type : Livret

Source : © collection Maurice Bleicher Droits réservés

Détails techniques :

Livret de huit pages comportant des textes et des photos. Il mesure 30,5 cm sur 23,5 cm.

Date document : 1947

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Analyse média

Ce livret peut être considéré comme le document qui a été remis à la presse au moment de la sortie du film. Il devait pallier la faible couverture médiatique que l'on observe au moment de la sortie du film. Il comporte huit pages explicatives où alternent textes et photos (voir l'album).

Sur la couverture, le titre du film s'inscrit sur un fond rouge. Un panneau indicateur routier précise le site de l'action, la Drôme et le Vercors. Une phrase indique la particularité du lieu : « Le pays de la liberté ». Le panneau est entouré d'éclatements d'obus, d'un nuage de fumée se dégageant d'un bâtiment incendié, d'arbres brisés. Le panneau lui-même a été fendu par un obus. On retrouve sur cette couverture les mêmes symboles que sur l'affiche de cinéma qui présente le film.

Le texte de la 2e page définit le film par une série d'adjectifs qui doivent promouvoir le film auprès du public. On peut les critiquer quant à leur pertinence surtout si on les compare au texte de la 3e page. Pourquoi a-t-on été amené à écrire vraie entre guillemets ? On peut relever des contradictions : « document unique » avec « empruntés aux cinémathèques alliées », « document authentique, œuvre vraie » avec « reconstitués dans un seul souci d'objectivité ». Est-ce qu'une telle œuvre peut être objective ? La force des adjectifs qualificatifs laisse penser que des critiques ont mis en doute la qualité du film. À noter que l'œuvre est d'abord définie comme un document. Ce n'est qu'à la fin qu'elle est « un grand film » écrit en italique. Cette distinction est un sujet de discussion. Pour des cinéphiles, « Au cœur de l'orage » n'est pas un film comme l'est « La bataille du rail ».

Marianne en colère, guerrière ou chantant, constitue le fond en couleur de la 3e page. Elle cautionne le texte de présentation du film et les conditions de sa réalisation : tourné dans le Vercors par des opérateurs clandestins mais également à Paris. Il a été fait appel aussi à des cinémathèques alliées et allemande. Il est précisé que des séquences sont le résultat de reconstitutions réalisées par des acteurs non professionnels, en l'occurrence des soldats de la 14e région militaire. Comme pour la page précédente, ces précisions sont des réponses aux critiques que peut déclencher le film.

Les événements du Vercors sont campés dans la 4e page. Le massif, les hommes, les conditions du combat, l'attaque allemande sont décrits de façon grandiloquente. Contradictions et erreurs sont à noter. Il est précisé que les Résistants du Vercors harcelaient l'ennemi dans les vallées voisines. Cette affirmation est pour le moins discutable quand on sait qu'une seule véritable attaque a été menée contre un convoi allemand sur le flanc oriental du massif. Dans une première lecture, on a l'impression que les parachutages ont été importants, larguant matériel abondant et instructeurs nombreux. Quelques lignes après, on note une insuffisance de l'armement. D'après le texte, ce sont les SS qui sont responsables des massacres comme dans les autres tragédies citées. Or, c'est la Wehrmacht qui intervient dans le Vercors. Une erreur de lieu est même commise. On confond Tende et la forêt de Lente. L'action des combattants du Vercors lors de l'avance des troupes de l'US Army ne doit pas minimiser celle des autres compagnies situées dans le sud et le nord du département. Les troupes françaises sont citées avant les troupes américaines. Le rapport de force est loin d'être respecté. Le texte traduit une volonté de mettre en valeur l'action de la Résistance dans le Vercors et le drame qu'a connu le massif. C'est la règle du genre. Mais elle débouche sur des imprécisions et des erreurs historiques.

La 5e page illustre les propos précédents par une série de six photos. Une discussion devant une carte montre des chefs militaires de la Résistance dont le colonel Descour (béret). Deux scènes de combat ou d'entraînement prises au même endroit évoquent l'action. Un homme sort d'une cache un fusil. Un groupe franchit un pont pour rejoindre le maquis alors que deux Allemands suggèrent l'ennemi qui se prépare. Texte et photos s'équilibrent sur les pages 4 et 5. Les photos dominent sur les deux pages suivantes. Le texte explique en détail les conditions de la réalisation du film par Jean-Pierre Le Chanois. Cinq scènes de combat dont une sur le belvédère de Valchevrière sont des séquences reconstituées. Il est peu probable que, dans la réalité, les combattants aient été aussi proches les uns des autres, au risque d'être tous tués par un seul obus. Deux photos rappellent les parachutages, le responsable avec un S-phone guide les avions, les hommes récupèrent et trient le matériel parachuté. Une scène de fuite de la population rappelle les souffrances qu'a subi la population civile. La scène du prêtre se déroule à la grotte de la Luire. Sur le sol sont disposés les blessés soignés par des infirmières. Toutes ces photos ont pour origine une reconstitution.

L'opuscule se termine par une page où sont cités tous les organismes et les personnes qui ont participé à la réalisation du film.

Les difficultés de la réalisation du film, les diverses versions, ses titres différents, les critiques qu'il a subies sont sous-adjacentes dans cet opuscule qui sert à la promotion de l'œuvre. Parmi les diatribes qu'il a déclenchées, il en ressort une qui apparaît comme essentielle. Est-ce un document nécessitant une rigueur historique ou est-ce un film qui peut prendre une certaine liberté vis à vis de l'histoire ? C'est cet enjeu de la mémoire qui peut expliquer que le film a nécessité trois ans de négociations pour n'être présenté qu'en 1947.


Auteurs : Alain Coustaury

Contexte historique

Le film a été distribué par L'Alliance générale de distribution cinématographique (AGDC) et la Coopérative générale du cinéma français (CGCF). L'Alliance remplaçait la firme Pathé qui s'était désengagée du film, ce dernier étant devenu un brûlot politique dans l'ambiance de guerre froide des années 1947-1948. La coopérative date d'octobre 1944. Elle devait lutter contre la loi du profit dans la production artistique. Les précisions sur les deux distributeurs révèlent le climat délétère qui présida à la création du film.

Mis en chantier dans l'euphorie de la Libération, le film ne voit le jour qu'en 1947 et n'arrive sur les écrans qu'en avril 1948.

Au printemps 1944, la victoire des Alliés se profilant, le CLCF (Comité de libération du cinéma français) forme un petit groupe de professionnels chargés de préparer la remise en route des actualités et de mettre sur pied un programme de vues clandestines. Des opérateurs sont envoyés pour réaliser des prises de vue dans les maquis. Parfois, ces tentatives se terminent par un échec. C'est le cas du cinéaste Jeff Musso qui ne peut rejoindre les maquis de l'Ain et de l'Yonne. Pour le massif du Vercors, la décision est prise, en avril 1944, d'y envoyer un opérateur.

Équipé d'une caméra Bell-Howell, avec des pellicules fournies par les laboratoires Lumière, Félix Forestier arrive dans le Vercors au mois de juin 1944. Il est accueilli à Lyon par les hommes du commandant Paul Leistenschneider (« Carré »), chef-adjoint de la DMR (Délégation militaire régionale), qui l'escortent jusqu'au maquis. Pris en charge par les hommes de Narcisse Geyer (« Thivolet »), il filme dans la zone sud du massif, autour de Vassieux. L'opération Bettina, déclenchée le 21 juillet 1944, l'oblige à se réfugier dans la forêt de Lente avec le groupe Geyer. Il cache les bobines impressionnées dans une tombe d'un couvent de religieuses (à Saint-Laurent-en-Royans ?). Il garde sa caméra, ce qui lui permet de filmer la retraite et des opérations postérieures du maquis. Quand on déterre les bobines, une bonne partie est endommagée. Après diverses péripéties, le CLCF confie le projet du film sur le Vercors à la Coopérative (CGCF) qui passe commande à Jean-Paul Le Chanois d’un court métrage utilisant les images de Félix Forestier. Jean-Paul Le Chanois écrit les premières pages du scénario sous le contrôle vigilant de la Commission militaire nationale, du CLCF et des anciens maquisards du Vercors. Lors d'une réunion le 10 novembre 1944, Marc Maurette demande à ses camarades quelle suite il faut donner au projet. Marc Maurette, assistant réalisateur est un membre du réseau de défense du cinéma français fondé en décembre 1940 par Jean-Paul Le Chanois. Il est proposé de faire un film de 45 minutes qui ne serait pas un complément de séance. Pierre Bost est proposé comme scénariste pour réaliser un film comme La libération de Paris. Mais les conditions sont différentes. Le drame du Vercors ne peut glorifier l'unité de la Résistance. Dès cette époque des polémiques se développent au sujet des responsabilités dans la conduite de l'organisation militaire du massif. Il semblerait que les membres du CLCF n'aient pas eu conscience de cette situation et qu'ils n'aient pas réfléchi sur l'opportunité d'un tel film. Pierre Bost se retire de l'aventure car Jean-Paul Le Chanois faisait partie de l'équipe fondatrice. D'autre part, en septembre 1944, lors de son premier voyage dans le Vercors, ce dernier aurait réalisé des prises de vue, notamment à la grotte de la Luire, lieu d'un massacre le 27 juillet 1944. Quand il visionne les bobines récupérées, Jean-Paul Le Chanois s'aperçoit que très peu sont utilisables. En plus : « Les documents tournés par Félix Forestier et Albert Weil furent dans l'ensemble assez médiocres et d'un intérêt fort réduit. Ce n'était que prises d'armes, instruction militaire, reconstitution de combats franchement ridicules et libération de Lyon. Les quelques bons éléments étaient les ruines et les massacres de Vassieux, un beau parachutage par forteresses volantes et la retraite du maquis dans une forêt où, épuisés, les hommes se nourrissent de trèfle ». Les prises d'armes sont violemment critiquées par certains Résistants qui n'y voient que résurgence de fastes militaires dépassés. D'autres, des jeunes surtout, les apprécient car ils ont l'impression d'être enrégimentés, de faire partie de l'armée et ils pensent que le port d'un uniforme les protègera en cas de capture. Quant au « beau » parachutage c'est celui du 14 juillet 1944. Deuxième parachutage diurne après celui de La Maye (l'Oscence) du 25 juin, il est d'une grande maladresse tactique car il se produit à quelques kilomètres de l'aérodrome de Valence-Chabeuil. À peine les B17 forteresses volantes se sont-ils éloignés que surgissent les chasseurs-bombardiers allemands qui empêchent une récupération normale des containers. Dans le film, il est pourtant magnifié. À partir des bobines utilisables, Jean-Paul Le Chanois réalise un premier scénario. Le titre donné est Wolfram, nom de code du maquis du Vercors. Le scénario dépasse le simple cadre du Vercors et montre la lutte française contre l'occupant. Utilisant les notes de Félix Forestier, Jean-Paul Le Chanois donne une vision conforme à celle des militaires. Ignorant des luttes intestines qui ont déchiré la Résistance du Vercors, Jean-Paul Le Chanois met en valeur les personnages comme Marcel Descour (« Bayard ») et Narcisse Geyer. Le cheval et les gants blancs portés par ce dernier ont donné lieu à de nombreux sarcasmes et participent à la critique de certains militaires de carrière par des Résistants. Insistant sur les relations fraternelles entre les combattants et ceux de la France libre, Jean-Paul Le Chanois heurte, là aussi, des susceptibilités, notamment du côté des Résistants se référant au communisme. Mieux acceptés sont les thèmes de la levée en masse, de l'assimilation des maquisards aux volontaires de 1792, d'une Résistance révolutionnaire, jacobine. Ce premier scénario est accepté, en décembre 1944, par la Commission militaire du Conseil national de la Résistance (CMCNR), le CLCF et la direction du cinéma. Il bénéficie d'une subvention de 700 000 francs. À cause des rigueurs de l'hiver sur le Vercors, Jean-Paul Le Chanois reste à Paris et en profite pour sélectionner des séquences d'actualité. Il rédige, en décembre 1944, un scénario de long métrage Vercors. Il l'élargit en évoquant la naissance et l'organisation de la Résistance. Il attaque le régime de Vichy et ses acolytes. L'évocation du STO sert de transition pour aborder la naissance des maquis. Mais surtout, pour le Vercors, il évoque les personnages civils comme Pierre Dalloz et Jean Prévost (« Goderville »), absents dans le premier scénario qui montrait surtout des militaires. La dispersion des maquis ordonnée le 23 juillet, les massacres, sont décrits. Jean-Paul Le Chanois enregistre, en mars 1945, la partie introductive constituée de séquences présentées comme clandestines, alors qu'elles ont été tournées à Paris pendant l'hiver 1944 ! Pendant cette période, il reconstitue des émissions de Radio-Londres avec Jean Oberlé, Jacques Duchesne. En ce début de 1945, la Résistance est encore unie. Jean-Paul Le Chanois monte au Vercors en avril 1945, où il est pris en charge par la XIVe Région militaire. Il rencontre également Jacques Chaban-Delmas pour qui le film est malvenu et risque de gêner celui qu'il veut tourner. Un important travail de reconstitution est réalisé avec le concours d'anciens Résistants, dont Roland Bechmann (« Lescot ») commandant une section à Saint-Nizier-du-Moucherotte. Des scènes de combats sont tournées, notamment celles des combats de Saint-Nizier des 13 et 15 juin 1944 et de Valchevrière du 23 juillet 1944. Pour l'observateur actuel, même s'il n'a pas de culture militaire, ces scènes ne sont guère convaincantes ! Une des séquences les plus contestables est l'atterrissage d'un planeur de sport, le passage d'avions de plaisance pour rendre compte de l'opération aéroportée des 21 et 23 juillet 1944 à Vassieux-en-Vercors. De plus, tout laisse croire que les aéronefs allemands ont utilisé la piste préparée par la Résistance pour accueillir les Alliés. C'est inexact. Les planeurs allemands se sont posés au plus près de leur objectif, le village de Vassieux, les hameaux de Jossaud, La Mure, le Château. C'est à cette époque que Jean-Paul Le Chanois prend conscience des difficultés pour faire l'histoire du Vercors. Il a l'impression qu'il est tombé dans un guêpier, voire un traquenard : « Cette affaire du Vercors est très embrouillée ». C'est le moins que l'on puisse dire ! Dans une lettre à Louis Daquin, en juin 1945, il fait part de sa prise de conscience de la situation réelle : « Dès mon arrivée là-bas, j'avais pu me rendre compte des différents antagonismes qui existaient entre civils et militaires et entre militaires eux-mêmes, et c'est pourquoi plus que jamais j'avais donné au film une orientation générale, l'élevant au-dessus de ces petites querelles, sans vouloir prendre parti ni avantager l'un ou l'autre. Le film se présente donc, non pas comme une anthologie du Vercors, mais comme un film à la gloire de la Résistance française dans lequel un maquis sera plus particulièrement montré, et ce maquis sera celui du Vercors puisque nous avons des documents à utiliser. Je pense donc nécessaire de ne pas prendre pour titre le mot « Vercors ». Cela pourrait amener des frictions, des récriminations, et d'autre part, le Vercors en tant qu'opération militaire est très critiqué ». Tout est dit sur l'histoire du Vercors, le film, à lui seul rend compte de sa complexité et de ses enjeux de mémoire. Le sens, la vocation du film sont bien précisés. Ce ne sera pas un film sur le Vercors résistant, mais un document sur la Résistance française qui utilisera un exemple précis, celui du Vercors. Une autre différence d'importance est que Jean-Paul Le Chanois s'éloigne de la vision des militaires. Le film est présenté le 15 juin 1945 à Marc Maurette et à Louis Daquin qui ont une réaction mitigée. Marc Maurette est déçu car il y a peu de séquences authentiques et elles ont peu de valeur. Les messes en plein air, les prises d'armes s'accordent mal avec l'imagerie communiste. Il y a trop de séquences consacrées aux militaires d'active. Le Vercors n'est pas un bon exemple pour illustrer le rôle des FTPF. Le massif était essentiellement constitué par des unités de l'AS à la différence du sud de la Drôme, secteur d'action, de nombreuses unités FTPF. Une nouvelle version est présentée : « Pour que vive la France ».

En juillet 1945, sa projection devant la CMCNR aboutit à un désaccord car le film présente « la Résistance française sous un aspect erroné et incomplet et risque de nuire gravement à la propagande nationale ». Le film se heurte à un double rejet, sur le fond et sur la forme. Militaires et sympathisants communistes condamnent également la vision finale de la tragédie de Vassieux qui pourrait laisser croire que la Résistance a été coûteuse en hommes, dangereuse pour les civils et inefficace. Pour sortir de l'impasse, en novembre 1945, le CLCF entre en contact avec la maison Pathé. Jean-Paul Le Chanois n'apprécie guère cette manœuvre car Pathé, peu au fait de la Résistance et visant surtout une exploitation commerciale du film, demande la suppression de certaines séquences comme celle où l'on voit un maquisard tirant sur le portrait de Philippe Pétain. Pour Pathé, elle risque de heurter de nombreux spectateurs encore favorables au fondateur de l'État français. Afin de répondre aux critiques, Jean-Paul Le Chanois remanie le commentaire du film. Trois nouveautés sont à noter. La première réside dans la place importante que tiennent les combattants communistes, le PCF, dans la naissance et l'organisation de la Résistance. Le colonel « Fabien » est le symbole de l'efficacité et de la précocité de la Résistance communiste. La deuxième est une critique du rôle des militaires inadaptés aux conditions de la guérilla telle qu'elle est définie par les communistes. En ce qui concerne la Drôme, cette conception avait entraîné des divergences entre les chefs du Vercors et ceux du centre et du sud du département. Pour certains de ces derniers, le Vercors était un piège dans lequel ils ne voulaient pas tomber et ils refusèrent de « monter » sur le massif. La troisième est le violent procès fait à la collaboration. Le film pousse à la délation. Pendant que s'opposent les deux tendances, pro-communiste et pro-militaire, un autre acteur apparaît en la personne du monde résistant. Marcel Descour, chef régional de l'AS en 1943, a peur que le film ne dénature l'histoire du Vercors qui n'est « qu'esprit de générosité, de sacrifice, d'héroïsme ». Tout cet aspect « ne transpire pas dans un scénario plat et romanesque, et que d'une page sublime de l'histoire de France, il ne sorte que les gros bénéfices d'une entreprise commerciale habilement montée ». Au printemps 1945, la presse annonce la sortie de films sur la Résistance qui semblent surtout inspirés par un mercantilisme qui ne peut que justifier les craintes des combattants du Vercors. Le climat se tend avec l'action du producteur Henri Ullmann (« Philippe ») opposé aux membres du CLCF depuis l'époque de l'épuration. En septembre 1946, Pathé, inquiet d'un possible échec commercial réclame un simple court métrage. En 1945, quand la firme s'intéressait au sujet, la mode des films sur la Résistance était à son maximum. Au cœur de l'orage pouvait donc rapporter si le ton était plus modéré surtout sur Pétain. À la fin de 1946, la mode des films sur la Résistance est passée. Le départ du général de Gaulle en janvier 1946, le tripartisme entre 1946 et 1947, l'échec en grande partie du programme du CNR font que la Résistance perd de sa vertu mobilisatrice. Aussi Pathé change de cap. Jean-Paul Le Chanois refusant de tronquer quelques séquences, est interdit de salles de montage chez Pathé. Pour calmer le jeu, il promet de réaliser un film fédérateur. Dans le même temps, à l'insu de Jean-Paul Le Chanois, une projection muette privée est réalisée par Pathé pour Marcel Descour, François Huet (« Hervieux ») commandant du Vercors et Henri Ullmann représentant Eugène Chavant (« Clément ») chef civil du Vercors. Dans son rapport à la CGCF, après avoir fait part de son acceptation du film en général, Henri Ullmann préconise d'ajouter une séquence mettant en scène les promoteurs civils du Vercors collaborant avec les militaires, de diminuer les scènes d'horreur dont la répétition risque de choquer le public, d'inclure l'ordre du jour du 29 juillet 1944 du général Koenig reconnaissant et prouvant l'utilité militaire du Vercors. La tragédie du Vercors fait place à l'épopée, montre le rôle des civils ce qui diminue d'autant l'importance des militaires. Mais le nouveau commentaire qui favorise les communistes n'est pas communiqué aux maquisards. L'ambiance politique à l'intérieur comme à l'extérieur, la Guerre froide, permettent à Henri Ullmann de critiquer à nouveau le film. Face à ces pressions, Jean-Paul Le Chanois élargit le champ du film en faisant appel à des organismes étrangers pour illustrer les quatre ans de guerre. Le Vercors est ainsi dilué dans le film. Malgré le succès de La bataille du rail, Au coeur de l'orage a peu de chance de réussir, surtout après l'échec de Six juin à l'aube. Jean-Paul Le Chanois a donc une marge de manœuvre très faible. Son film déclenche beaucoup plus de discussions politiques que La libération de Paris ou La bataille du rail. Le PCF (parti communiste français) veut en faire son film. Aussi Jean-Paul Le Chanois sacrifie ses ambitions professionnelles à la discipline du parti. Il risque d'être critiqué par les gaullistes pour ses options partisanes dans le climat dégradé de 1947-1948. Pendant quelque temps, le film est au point mort. Puis Jean-Paul Le Chanois et sa femme Emma réalisent une nouvelle version du montage. Le titre du film change et devient Au cœur de l'orage.

Début 1947, Jean-Paul Le Chanois profite de nouvelles archives pour accabler les collaborateurs et dénoncer l'antisémitisme. Le film couvre maintenant les cinq années de guerre. Mais comme le film traite de tous les fronts, il ne peut ignorer le rôle des FFL. Ces dernières apparaissent toujours après l'évocation des FTP. Pour couronner le tout, Jean-Paul Le Chanois ne cite jamais nommément le général de Gaulle. Les Alliés ne sont pas mieux traités, à l'exception de l'Armée rouge. Jean-Paul Le Chanois juge cette version comme définitive. Il la présente en août 1947 aux membres de la Coopérative et à des FTP. Ces spectateurs sont satisfaits tout en précisant que le rôle des FTP est encore trop faible. Une projection réalisée à l'intention de l'Amicale des pionniers du Vercors, soulève des protestations. Henri Ullmann blâme une présentation tendancieuse de l'histoire. Il menace d'employer tous les moyens, y compris légaux, pour bloquer la distribution du film s'il n'y avait pas de modifications. Jean-Paul Le Chanois l'assure de son apolitisme mais l'attaque personnellement. L'opposition entre les deux hommes dégénère en querelle personnelle. Ullmann répond en précisant que Jean-Paul Le Chanois a touché de l'argent de la Continental (société allemande contrôlant le cinéma français et produisant des films sous l'Occupation). Après des discussions, Jean-Paul Le Chanois et la Coopérative s'engagent à ajouter des vues de la bataille d'Angleterre et de Londres pour faire le contrepoids à la bataille de Stalingrad, des photos de Churchill et de Roosevelt puisqu'il y a celle de Staline, des commentaires expliquant que le Vercors n'est pas FTPF, avec la photo du général Charles Delestraint (« Vidal »). L'Amicale des pionniers donne finalement son accord pour des raisons financières, sans être pleinement satisfaite du film. Celui-ci, ayant reçu son visa d'exploitation, est lancé par la Coopérative. Le 6 mai 1947, dans une lettre à son ami Frédéric Bleicher (« Fred »), Le Chanois écrit : « Le film du Vercors est venu enfin à maturité. Tout le monde est d'accord y compris Huet et Ullman (…). Les F.T.P. sont enchantés et nos amis aussi ». Mais rapidement, le film subit des échecs notamment au festival de Cannes. Pendant l'été 1947, le film est proposé par Michel Fourré-Cormeray pour figurer dans la sélection du festival de Cannes qui doit se tenir du 12 au 25 septembre. Après l'avoir visionné, la commission de sélection du festival le refuse sous prétexte qu'il n'entre dans aucune catégorie. En réalité, dans l'atmosphère de l'époque, le film peut heurter un public par sa sensibilité communiste et pro-soviétique. Voulant quand même profiter de la manifestation, Jean-Paul Le Chanois et la Coopérative décident d'organiser une soirée de gala au profit des FTP locaux. Au coeur de l'orage est projeté le 24 septembre 1947 devant Michel Fourré-Cormeray président du festival de Cannes et le maire de Cannes. Il remporte un succès d'estime. Mais ce succès est assombri par la décision de Pathé de renoncer à distribuer le film documentaire. La firme, dans le climat dégradé de la fin 1947, tant en France que dans le monde où débute la Guerre froide, se débarrasse de ce brûlot politique. Finalement le film est distribué par l'AGDC (Alliance générale de distribution cinématographique), surtout en province, notamment lors de galas de la FNDIRP (Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes). L'argument promotionnel du film que développe Jean-Paul Le Chanois est l'authenticité du film. Mais il surévalue la proportion des documents authentiques. Le truquage le plus symbolique est celui de la pancarte de signalisation dans les gorges des Grands Goulets « Ici commence le pays de la liberté ». C'est Jean-Paul Le Chanois qui a peint cette inscription lors de son arrivée dans le Vercors ! Pour des Résistants, cette inscription existait déjà avant l'arrivée du cinéaste. La revue de presse montre une faible couverture par la presse de droite et du centre. On est loin de l'unanimité pour La bataille du rail. L'accueil est plus chaleureux à gauche mais il est marqué par une certaine amertume devant les résurgences de l'esprit de Vichy et par les procès intentés aux résistants. La presse communiste s'en sert pour faire le procès de la France libre et des Anglo-Saxons. Une nouvelle bataille du Vercors s'est engagée depuis quelques mois, lancée par Fernand Grenier dans Les Lettres françaises. Cette campagne de presse communiste proteste aussi contre les lois du marché cinématographique et contre l'ostracisme dont sont victimes des cinéastes comme Louis Daquin. Dans l'affaire, le Vercors, sujet premier, sujet français régional, n'est plus qu'un élément d'un film d'une vision internationale du conflit. Des extrapolations permettaient de voir dans le film les signes annonciateurs d'une nouvelle guerre. À son corps défendant, le film de Jean-Paul Le Chanois devait donc assumer la triple fonction de dispositif d'alerte, de rappel des idéaux trahis et d'arme politique contre les nouveaux ennemis, intérieurs et extérieurs. C'est en cela que le film et son histoire sont remarquables dans la mesure où est narré un drame symbolique mais aussi retracés les espoirs et les illusions de la Résistance française. C'est en ce sens que Roland Bechmann écrivait en novembre 1947 à Jean-Paul Le Chanois. Reconnaissant la « beauté du film » mais regrettant que le Vercors en soit « déjà au stade de la légende », il ajoutait : « On ne peut pas vous demander à la fois de faire un film émouvant et de l'histoire ».

Si l'on consulte Internet, on constate que plusieurs sites définissent Au coeur de l'orage comme un documentaire et non un film. De même, il n'est pas inscrit dans l'ouvrage « Cinéguide, 18 000 films de A à Z » à la différence de La Bataille du rail.


Auteurs : Alain Coustaury
Sources : Langlois Suzanne, La Résistance dans le cinéma français, 1944-1994, L'Harmattan, 2002, 457 pages. Lindeperg Sylvie, Les écrans de l'ombre, la Seconde Guerre mondiale dans le cinéma français, 1944-1969, CNRS Éditions, 1997, 442 pages. Vergnon Gilles, Le Vercors, histoire et mémoire d'un maquis, Les éditions de l'atelier, 2002, 256 pages. Leguèbe Éric, Ciné guide 18 000 films de A à Z, Omnibus, 1995, 1405 pages.