Journal Défense de la France, n°29, 15 mars 1943

Légende :

Newspaper "Défense de la France", n°29, March 15, 1943.

Genre : Image

Type : Presse clandestine/ Clandestine Press

Source : © Archives nationales, fonds Défense de la France (don association Défense de la France) Droits réservés

Détails techniques :

Numéro imprimé sur un seul feuillet. Format : 21 x 31 cm. La papier utilisé, acheté au marché noir, est de médiocre qualité.

Lieu : France - Ile-de-France

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Analyse média

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29e édition du journal clandestin Défense de la France. Seul le recto de ce numéro est présenté ici mais il existe très probablement un verso et donc d’autres articles.

A cette période, le mouvement utilise toujours la Rotaprint, baptisée « Simone », acquise par le mouvement dès le printemps 1941. En 1943, le tirage va connaître une croissance spectaculaire qui s’explique, d’une part, par l’extension des effectifs et, d’autre part, par le développement du professionnalisme des imprimeries.

Ainsi au début de l’année le tirage atteint une moyenne de 100 000 à 120 000 exemplaires.

Ce 29e journal se compose de deux articles :

- Dans le premier article, « Volontés françaises », Jean-Daniel Jurgensen propose trois solutions pouvant répondre aux attentes de la société lorsque sonnera l’heure de la libération.

- Sous la plume « d’Indomitus », Défense de la France appel les Français à « Résister ». Le message est clair et sans aucune ambiguité. Philippe Viannay incite fortement au combat.

- Une consigne radicale fait suite à ce deuxième article et illustre parfaitement les nouveaux modes d’action de Défense de la France.

 

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L’impression du journal s’effectue, depuis la fin du mois de septembre 1942, dans un appartement de la rue Gazan entièrement insonorisé, grâce à deux épaisseurs de liège fixées sur les murs au moyen de colle et d’épingles, évitant ainsi aux vibrations de passer. 

Cette « imprimerie qui fut une des plus belles réalisations techniques de Défense de la France » permet à « Simone » d’augmenter son tirage. (1)

Par ailleurs, le soutien apporté au mouvement par Jacques Grou-Radenez depuis un an contribue très largement à l’expansion de Défense de la France qui, en ce début d’année 1943, sort définitivement de sa phase artisanale. « Outre la fourniture du matériel, ce professionnel dépanne le mouvement pour l’impression de certains documents » (2) et le met en relation avec des photograveurs et des techniciens qui n’hésitent pas à former les jeunes militants inexpérimentés au métier d’imprimeur et à l’ensemble des règles de la typographie.

Parmi eux, Charlotte Nadel, pionnière du mouvement, qui bénéficie d’un apprentissage rapide et utile, lui permettant de coiffer, à terme, toute la branche technique du mouvement. Dès lors, le mouvement installe un atelier de composition au n° 41, de la rue du Montparnasse (Paris). Ces stages chez l’imprimeur complètent l’apprentissage de ces pionniers de l’imprimerie qui, dans l’ensemble, se forment sur le tas.

En ce début d’année 1943, l’arrivée d’Alain Radriguer participe largement à l’expansion du journal. « Ami de Jacques Grou-Radenez, il est le gérant de la fonderie Caslon, spécialisée dans le matériel d’imprimerie ». (3) Disposant de stocks considérables, il se propose « de donner ou vendre à bas prix tout le matériel nécessaire » à Défense de la France. (4) 

Aussi, afin de pallier le problème du transport des matrices entre l’atelier de typographie et l’imprimerie, il suggère au mouvement de recourir à la technique du clichage qui consiste à prendre, à l’aide d’une clicheuse, une empreinte de la composition. A la composition et l’imprimerie s’ajoute un troisième atelier : celui de la clicherie.

« Ainsi était mise en route une logique qui nous portait, nous emportait plutôt, et nous obligeait à répondre aux multiples interrogations que suscitait son propre développement. Le journal n’était plus une fin en soi mais un support. […] Notre expansion nous contraignait à sortir de notre petit ghetto. » (5) 

Cette préprofessionalisation du mouvement s’accompagne d’une volonté d’expansion. 

« De parisien, il se mue, en une organisation nationale et élargit par ailleurs le champ de son action. » (6) 

Nul doute, le début de l’année 1943 marque une étape importante ; le mouvement change de dimension. Défense de la France entre dans une seconde phase. 

La fusion avec une partie des effectifs du mouvement les Volontaires de la Liberté va, à bien des égards, largement contribuer au développement de Défense de la France : « Avec l’adhésion des Volontaires, […] Défense de la France changea de dimension » raconte Philippe Viannay. (7) Elle lui permet, certes, de renforcer considérablement ses rangs mais elle lui apporte aussi et surtout un réel potentiel qualitatif qui influe favorablement notamment sur l’organisation de la diffusion. 

A la tête de ce nouveau groupe, Jacques Lusseyran. Privé de la vue depuis l’âge de 8 ans, il est « un aveugle voyant qui vit parmi les voyants ordinaires. » (8) 

Doté d’une intelligence et d’une maturité exceptionnelles, ce jeune étudiant en khâgne, âgé de 18 ans, « exerce [avec charisme] une véritable domination sur ses camarades. […] Certains avaient pour lui une sorte de culte. » (9) 

Au sein de Défense de la France il est chargé, avec son ami Jacques Oudin qui avait fondé avec lui les Volontaires de la liberté, de diriger la diffusion du journal. Il entre au comité directeur et devient l’un des rédacteurs du journal. A l’origine d’un recrutement intensif, Jacques Lusseyran va imposer à son nouveau mouvement un rythme de diffusion qui, jusque-là, manquait à Défense de la France. (10)

L’évolution du conflit depuis la fin du mois de novembre 1942 influe favorablement sur le développement de la Résistance. La presse clandestine adapte son discours et fortifie son engagement. C’est le cas pour Défense de la France qui change progressivement le contenu de son journal. Tout en restant fidèle à ses principes énoncés dès 1941, le mouvement abandonne peu à peu son répertoire, centré jusqu’ici sur une simple protestation morale, au profit d’un message plus radical visant à mobiliser activement les Français afin qu’ils « ruinent définitivement l’ennemi ». Ainsi, sur les 27 numéros publiés par Défense de la France du 1er novembre 1942 à août 1944, ce thème revient à 8 reprises et bénéficie parfois d’articles particuliers. 

De même, l’instauration du STO le 16 février 1943 permet au mouvement de fournir des mots d’ordre clairs appelant les jeunes Français à la désertion. Par ailleurs, la contre-propagande comme les informations militaires, jusqu’alors privilégiées, passent au second plan. En outre, « la nocivité du nazisme et du régime pétainiste étant désormais admise par l’opinion, le journal juge inutile de s’étendre sur ces thèmes. » (11) 

La ligne du journal connaît donc un revirement total et « se consacre à définir les modalités du combat. » (12) 


Sources : (1) Extrait d’un Exposé synthétique de ce que fut le mouvement « Défense de la France, document non daté. Mais la nature de ce document d’archive nous permet de situer sa rédaction dans les années 1945-1950, collection Jean-Marie Delabre. (2) Olivier Wieviorka, Une certaine idée de la Résistance, Défense de la France 1940-1949, éditions du Seuil, 1995. (3) Ibid. (4) Philippe Viannay, Du bon usage de la France, Résistance, Journalisme, Glénans, éditions Ramsay, 1988. (5) Ibid. (6) Olivier Wieviorka, Op.cit. (7) Philippe Viannay, Op.cit. (8) Jacqueline Pardon, extrait de la préface Et la lumière fut de Jacques Lusseyran, éditions du Félin, 2005. (9) Philippe Viannay, Op.cit. (10) Jacqueline Pardon. Op.cit. (11) Olivier Wieviorka, Op.cit. (12) Olivier Wieviorka, Op.cit.

 

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This is the 29th issue of the underground newspaper, Défense de la France (DF). Only the front of this issue is presented here, though a back page likely existed with other articles that will not be discussed below

In 1943, the printing achieved even greater numbers of publications partly as a result of an increase in the access to materials, but also due to their professionalization.
Thus, at the beginning of the year, DF achieved an average of between 100,000 and 120,000 copies.

This 29th issue is composed of two articles:

- In the first article, « French Wishes », Jean-Daniel Jurgensen proposes three possible solutions to respond to the attacks against liberty when the bell of liberation sounds at last.

- Under the pen of « Indomitus », Défense de la France calls the French to « Resist ». The message is clear and unambiguous. Philippe Viannay is firmly calling for combat.

- A radical order follows this second article, illustrating the new modes of action taken by DF.


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Since the end of September, Défense de la France, the printing took place in an apartment along Rue Gazan which was completely soundproof, thanks to two cork coverings attached to the walls with glue and pins. This « printing press, which was one of the best technological realizations of the movement » (1), allowing « Simone » to augment its printing.

Since February 1942, the professional printer, Grou-Radenez, offered his support to Défense de la France, and contributing greatly toward its professionalization. « In addition to the supply of materials, Grou-Radenez promised to help Défense de la France with the printing of certain documents » (2).

This created a relationship between the movement and photo-engravers and technicians and, above all, to teach the young, inexperienced members the rules of typography.

Among them, Charlotte Nadel, one of the pioneers of the movement, benefited from a rapid and useful apprenticeship, permitting her to control the technical branch of the movement. From then on, the movement operated out of a workshop at 41, Rue du Montparnasse in Paris.

These apprenticeships at the printers helped the young pioneers, on the whole, to learn on the job. At the beginning of 1943, the arrival of Alain Rodriguer was a large factor in the continued growth of the underground newspaper. « A friend of Jacques Grou-Radenez, he was the manager of the foundry, Caslon, which specialized in printing materials ». (3)
Having access to considerable stocks of materials, he proposed to « give or sell at very low prices all of the necessary materials » to Défense de la France. (4)

Thus, to compensate for the problem of transporting the layouts from the workshop at Montparnasse to the printing press at Rue Gazan, he suggested that the movement return to the plate-making process of electrotyping which consisted of, with the help of an electrotyper, taking a stamp of the publication for reprinting. Now, in addition to the two previous workshops of printing and composition of the newspaper, the movement now had a third workshop – that of the electrotyper. « Thus a logic was set in place that carried us, swept us rather, and obligated us to respond to the multiple interrogations that sparked its own development. The newspaper is no longer a goal in and of itself, but a base [...]. Our expansion compels us to leave our little ghetto. » (5)



This pre-professionalism of the movement was accompanied by a desire to expand. « It transformed from a Parisian into a national organization and extended the reach of their action. » (6)

Without a doubt, at the beginning of 1943, Défense de la France was entering a second phase. The fusion with a part of the Volontaires de la Liberté (Liberty Volunteers) movement, in many respects, would contribute to the further development of Défense de la France.

« With the adhesion of these Volontaires, [...] Défense de la France changed dimension », recounted Philippe Viannay (7).
This permitted them, certainly, to considerably reinforce their ranks but it also gave them the opportunity to realize a new qualitative potential of distribution, greatly increasing their diffusion.

The head of this new group was Jacques Lusseyran. Deprived of sight from the age of eight, he was « a seeing blind man who lived amongst those with normal sight. » (8)

Gifted with exceptional intelligence and maturity, this young prep student, aged only 18, « exercised (with charisma) a veritable domination over his peers. [...] Some formed a sort of cult around him. » (9)

At Défense de la France, Lusseyran, along with his friend and fellow founder of Volontaires de la Liberté, Jacques Oudin, was charged with overseeing the distribution of the newspaper. He joined the board of directors and became one of its editors. Starting with an intensive recruitment, Jacques Lusseyran would institute a rhythm of diffusion previously lacked by Défense de la France. (10)

The evolution of the conflict since November 1942 favorably influenced the development of the Resistance. The underground newspapers adapted their discourse and fortified their operations. Such was the case for Défense de la France as well, who progressively changed the content of their newspaper. While staying true to the principles they announced in 1941, the movement abandoned its repertoire little by little, which had thus far been centered on a simple moral protest, and moving in favor of a more radical message looking to mobilize the French to « definitively ruin the enemy ».

Thus, of the 27 issues published between November 1, 1942 and August 1944, the theme returned to 8 central themes, sometimes benefiting particular articles.

At the same time, the Service du Travail Obligatoire (STO) was established on February 16, 1943, which forced young French men to be deported to Germany to work and aid the war effort, as Germany's labor force was weakened by the need of more troops. The establishment of the STO gave Défense de la France the opportunity to provide clear orders calling the young French to desert.

In addition, the counter-propaganda such as military information, which had previously been favored, now took a backseat.

Similarly, « the noxiousness of Nazism and the Pétain regime were proven by opinion, as the paper found it less useful to dwell on these themes. » (11) The discourse of the newspaper thus underwent a complete turnaround, « dedicating itself to defining the terms of the combat ». (12)


Source: (1) Exposé synthétique de ce que fut le mouvement « Défense de la France » collection de JM Delabre. (2) Olivier Wieviorka, Une certaine idée de la Résistance , Défense de la France 1940- 1949, Seuil publications, 1995. (3) Ibid. (4) Philippe Viannay, Du bon usage de la France, Résistance, Journalisme, Glénans, Ramsay publications, 1988. (5) Ibid. (6) Olivier Wieviorka, Op.cit. (7) Philippe Viannay, Op.cit. (8) Jacqueline Pardon, excerpt from the preface of Et la lumière fut, by Jacques Lusseyran, Félin publications, 2005. (9) Philippe Viannay, Op.cit. (10) Jacqueline Pardon, Op.cit. (11) Olivier Wieviorka, Op.cit. (12) Ibid.


Traduction : Matthias R. Maier


Auteur : Emmanuelle Benassi

Author: Emmanuelle Benassi

Contexte historique

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Le début de l’année 1943 marque un tournant décisif dans l’évolution du conflit mondial.

Amorcé depuis le printemps 1942, ce changement résulte, notamment, de la mise en place d’une stratégie commune par les forces alliées qui permet de stopper, sur la plupart des fronts, l’avancée des forces de l’Axe.

Des rives de la Volga aux plages de Sicile, l’armée allemande vacille. Depuis le 2 février, Stalingrad est enfin reprise par l’Armée Rouge qui déferle à la poursuite de la Wehrmacht et reprend les terres perdues en 1942. Rommel cède du terrain en Afrique où les Alliés ont débarqué le 8 novembre 1942.
Ces derniers événements changent progressivement mais radicalement la face du conflit sur le plan international comme sur le plan national et signent l’inéluctabilité de la défaite allemande. Désormais, l’ensemble des forces alliées peut s’inscrire dans la perspective d’une victoire possible.

En France, le mythe d’un Pétain résistant est définitivement brisé. La population française, fatiguée, usée par les difficultés du rationnement, les restrictions quotidiennes et l’ensemble des exactions commises par les Allemands, cultive une haine de plus en plus marquée à l’égard de l’occupant dont la présence s’étend depuis le 11 novembre sur l’ensemble du territoire.
L’impopularité de Pierre Laval, chef du gouvernement depuis le 18 avril 1942, l’augmentation de la répression qui se traduit par des rafles et l’institution du Service du Traval Obligatoire (STO) favorisent le rejet de la collaboration et marquent un tournant dans l’évolution des mentalités dont profite une Résistance qui n'a cessé, au cours de l’année 1942, de tisser sa toile, de veiller, d'entreprendre.
L’évolution du conflit l’amène à s’inscrire dans cette mouvance générale en s’adaptant aux événements présents et à venir et lui impose une véritable mutation. Elle s’organise notamment grâce à l’action entreprise par Jean Moulin qui, depuis plusieurs mois, parcourt la France occupée en vue de regrouper les dirigeants des principales organisations de résistance et, ensemble de poursuivre le processus d’unification de leurs forces.

1943 est donc une année décisive où les espoirs changent de camp, où, malgré les souffrances et les sacrifices de plus en plus durs, on se prend à espérer, à oser croire peut-être de nouveau en un avenir, à se laisser porter par souffle de la victoire.


Sources : Serge Ravanel, L’esprit de Résistance, éditions du Seuil, 1995.


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The beginning of 1943 marked a pivotal moment in the global conflict. Beginning in the Spring, this change resulted notably from the institution of a common strategy by the Allied Forces, permitting them to stop the advancement of Axis forces on a majority of fronts.

From the banks of the Volga to the beaches of Sicily, the German army began to buckle. On February 2, Stalingrad was retaken by the Red Army, who swept out in pursuit of the Germans, retaking lands lost in 1942. Rommel lost terrain in North Africa, where the Allies landed on the eighth of November.

These recent developments progressively and radically changed the face of the conflict on both the national and international stages, signaling the inevitable defeat of Germany. The Allied Forces could begin to assembling their forces with victory now seeming possible.

In France, the myth of Marshall Pétain was effectively crushed. The French, worn-out and tired of the hardships of rationing and the daily restrictions inflicted by a German occupation, cultivated a hatred toward the occupiers that grew stronger and stronger since November 11.

The unpopularity of Pierre Laval, who became the head of the government on April 18, and the increase in German repression through raids and persecution, encouraged the French to reject the collaboration, which thus inspired a change in the mentalities of the population. The primary beneficiary of this change in mentality was the Resistance, who, throughout the first six months of 1942, ceaselessly spun its web of connections, preparing, watching, and waiting.

The evolution of the conflict led the Resistance to adapt to the general movement and become more involved in the present events. It was organized most notably by the actions of Jean Moulin who, for several months, had traversed France to regroup the leaders of the various resistance movements and bring them together in a process of unification.

1943 was therefore a decisive year in which the balance tipped in favor of the Allies and in which, despite the suffering and the sacrifices that became more and more difficult, one could bring themselves to hope, one could dare to believe in a new future, to let themselves be carried away by the spirit of victory.


Source: Serge Ravanel, L'esprit de la Résistance, Seuil publications, 1995.


Traduction : Matthias R. Maier


Auteur : Emmanuelle Benassi

Author: Emmanuelle Benassi