Après la Libération, des habitants brûlent le drapeau de la Légion locale

Légende :

La scène se passe à Piégon, devant la mairie.

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : Inconnu

Source : © Archives privées famille Oudot Droits réservés

Détails techniques :

Photographie noir et blanc.

Date document : 1944 (après la Libération)

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Piégon

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Analyse média

Groupe d’une vingtaine d’habitants réunis autour d’un feu improvisé devant la mairie à Piégon.
À gauche, sur le cliché, un homme brûle le drapeau de la Légion locale. Au dessus de sa tête, on devine le drapeau français. 

L’auteur de la photo est inconnu.



Contexte historique

Les miliciens n’ont guère de scrupules à se livrer à de basses besognes : vol de matériel et de véhicules aux Chantiers de jeunesse, pillage du domicile d’un entrepreneur en serrurerie, destruction de la devanture d’un café rendez-vous de résistants. Selon un rapport des FFI (Forces françaises de l'intérieur), c’est la Gestapo qui fournit les armes aux miliciens et les protège en cas d’ennui. Elle les fait relâcher, même lorsqu’ils sont détenus pour des crimes ou délits de droits communs.

Les miliciens n’ont pas d’états d’âme lorsqu’on leur demande d’aider à l’application de la politique antisémite de l’État. À Valence, elle colle des papillons sur les vitrines des magasins tenus par des israélites. Elle est présente dans les rafles opérées contre les Juifs de la Drôme. Ainsi, le 20 janvier 1944, des Miliciens sont avec les agents de la Gestapo qui investissent Nyons et se saisissent de 24 Juifs dont deux seulement survivront à la déportation. Il en est de même lorsqu’il s’agit de rechercher les réfractaires au STO (Service du travail obligatoire), par exemple lors de l’opération organisée le 6 juin 1943 sur les flancs du Mont Ventoux.

La recherche s’accompagne naturellement de la délation. La Milice rapporte ses découvertes aux occupants. En juin et juillet 1943, la Milice signale aux Italiens un camp de réfractaires dans la région de Combovin, en particulier chez monsieur Barbu, ainsi que de nombreux défaillants munis d’armes de guerre cachés dans le Vercors. Mais les fouilles par les carabinieri restent sans résultats. C’est sur dénonciation de la Milice qu’Eugène Aymard, trésorier du Comité de libération de Crest, et six autres résistants sont emprisonnés dans les locaux de la Gestapo à Valence le 21 juillet 1944. Dans la nuit du 5 au 6 avril 1944, un comité de réception attend un parachutage à la ferme Guilhaumon à Crest. Un voisin milicien les dénonce, provoquant 20 arrestations.

Un rapport de gendarmerie du 24 novembre 1943 permet d’apprécier le peu d’aide reçue par la Milice dans ses actions policières : « La population se refuse à apporter le moindre concours aux enquêteurs. Tout le monde garde un silence hermétique, on ne peut jamais trouver de témoins. [...] Quant aux attentats terroristes ils ne sont réellement désapprouvés que dans la mesure où chacun pense qu'ils peuvent compromettre sa propre sécurité, ou ses propres intérêts matériels ».

Le 12 février 1944, Caillaud est nommé chef départemental de la Milice en remplacement de Tessier démissionnaire. Dès le 15 mars suivant, on remarque que la Milice drômoise décuple son activité. À Valence elle se montre très active. Chaque jour des perquisitions ont lieu, au cours desquelles les miliciens ont une conduite inqualifiable. Pillages et brutalités sont leur manière d'agir. Au cours d'une perquisition chez le gendarme Lacaze, ils emportent tous les objets et les effets qu'ils trouvent. Une personne arrêtée dans la même journée est l'objet de telles brutalités que son état est jugé grave. Le 11 juillet 1944, la Milice pille et incendie la maison des Lapierre à Romans. Au cours d'une conférence de presse, Caillaud déclare que « l'ampleur du terrorisme dans les départements de la Drôme et de l'Ardèche » justifie d'importantes opérations de police et demande au cours d'un voyage à Vichy que des opérations semblables à celles qui se sont déroulées en Haute-Savoie aient lieu dans la Drôme. « Faire une révolution comme celle qui a été annoncée il y a trois ans, avait écrit Tessier le 24 juillet 1943, c’est amener le peuple à changer de manière de penser. On y arrivera au début, non par la persuasion, mais par la force persuasive ».

En avril 1944, la Milice en a assez de voir les gendarmes ne pas mettre beaucoup d’ardeur dans la chasse aux résistants, voire contrecarrer son action, quand ce n’est pas aider clandestinement la Résistance. Les forces de la Milice au cours de la journée du 16 avril 1944 vont " neutraliser " 8 brigades de la Drôme, à Saint-Nazaire-en-Royans, Saint-Jean-en-Royans, la Chapelle-en-Vercors, Die (où c’est le chef départemental Caillaud qui opère en personne), Saillans, Crest, Tain et Tournon (Ardèche). Des gendarmes sont arrêtés, certains restent détenus. La Milice occupe aussi des bureaux de poste, à Romans, Crest, Saint-Jean-en-Royans, Tain, La Chapelle-en-Vercors. Ils font suspendre immédiatement tout trafic téléphonique et télégraphique, sauf le trafic officiel relatif au maintien de l’ordre.

Les exactions sauvages de la Milice contre des résistants sont bien connues et la Drôme n’y échappe pas. La pratique de la torture est courante. Écroué à Valence en janvier 1943, Gabriel Gay, mécanicien armurier à Saint-Uze, est torturé, il décèdera le 13 février des suites des sévices infligés par les miliciens. Le 8 avril 1944, René Geistel, de Châteauneuf-d’Isère, Joseph Fleur et André Buffières, de Bourg-lès-Valence sont torturés au siège de la Milice à Valence. À la fin avril, à Valence, le lieutenant Ferrotin tombe aux mains de la Milice qui le torture toute une matinée. Le 6 mai 1944, Marcel Ranc, résistant très actif, est arrêté et confié à la Milice de Valence qui le passe aux Allemands. Cela le conduira à la torture à Lyon, puis à la déportation. Inversement, le 12 décembre 1943, la Milice qui avait reçu des Allemands le corps de Marcel Champion, l’expose à la vue des passants boulevard Bancel à Valence.

L’assassinat entre aussi dans les pratiques miliciennes courantes. Le 14 avril 1944, deux villageois de Mirabel-aux-Baronnies, Lucien Barnier et René Blanc, n’ayant pas répondu aux sommations, sont abattus par des éléments de la LVF (Légion des volontaires français) et de la Milice. Charles Chival est tué par la Milice le 4 juin 1944 à Bren.

Dressant un bilan des actions de la Milice le 22 mai 1944, le préfet juge que l’ensemble des opérations a été d’une efficacité très faible et que, jusqu’alors, les forces du maquis ont réussi à imposer leur tactique. Il se plaint en outre que ces opérations aient été déclenchées sans que les autorités préfectorales aient été informées, ni les autorités allemandes qui vont protester et sermonner les miliciens convoqués pour s’expliquer à Grenoble. L’arrestation des gendarmes pour avoir aidé les réfractaires, l’occupation de la sous-préfecture de Die et des bureaux des PTT ont provoqué de vives réactions dans la population qui hait de plus en plus la Milice et cela se traduit par un départ assez important d’hommes dans le maquis.

Dès le lendemain du débarquement, les exactions de la Milice s’amplifient. Le 8 juin, René Roux, agent de liaison pour l’Intelligence Service, est arrêté à un barrage de la Milice à Valence, torturé, puis exécuté le 10 juin à Saint-Symphorien d’Ozon. Laissé pour mort, il survivra miraculeusement. Le lieutenant René Gabin, du maquis Geyer-Bozambo, grièvement blessé à la tête le 14 juin à Saint-Marcellin par un milicien, décède le lendemain. Le 2 juillet 1944, à Montboucher-sur-Jabron, une équipe de Résistants du maquis d’Eyzahut tente de s’emparer du milicien Garayt fils, sans succès. Le jeune maquisard André Dufour, 23 ans, est blessé par une balle explosive à la poitrine et au bras droit (complètement coupé) par Garayt père, sans pouvoir être récupéré par ses camarades. Il est découvert par le milicien Croze qui le traîne au domicile des Garayt où les deux hommes le laissent mourir sans permettre qu’il soit visité par le médecin.

La progression des armées alliées oblige les miliciens à se réfugier en Allemagne : ceux qui y parviendront se retrouveront revêtus de l’uniforme vert-de-gris.


Auteurs : Robert Serre
Sources : AN, F/1CIII/1152. AN, F/1a/3901. AN, B.C.R.A, 3AG2/478, Rapport ZAC/7 14031514200. SHAT, 13 P 3, 13 P 48, 13 P107. SHGN, rapport Cie Drôme R4. ADR 182 W 9. ADD, 9 J 1, 9 J 3, 255 W 89. 97 J 27, 97 J 91, 11 J 39-40, 268 W 4. Patrick Martin, La Résistance dans le département de la Drôme, 1940-1944, thèse de doctorat, Université Paris IV-Sorbonne, 29 novembre 2001, base de données. P.-P. Lambert et G. Le Marec, Organisations, mouvements et unités de l’État français, Vichy 1940-1944, J. Grancher Paris 1992, réédition Le grand livre du mois, 2002. Archives A. Fié, compagnie Pons. Henri Amouroux, La grande histoire des Français sous l’occupation, tome 6, p. 346. Note d’information de la Milice Drôme-Ardèche, n° 6 et 8 (août-septembre 1943).