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Stèle du Franc-Moreau à Bazainville

Légende :

Stèle située sur la route départementale 166 entre Bazainville et Tacoignières

Genre : Image

Type : Stèle

Producteur : Christian Crenn

Source : © Geneanet Droits réservés

Détails techniques :

Photographie numérique en couleurs

Lieu : France - Ile-de-France - Yvelines - Bazainville

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Analyse média

Le 5 août 1944, la plupart des membres du groupe Ceux de la Libération-Vengeance d'Orgerus est arrêtée par le SD et la Feldgendarmerie. Plusieurs d'entre eux sont déportés et deux seulement revinrent d'Allemagne. La stèle perpétue le souvenir de ces combattants de l'ombre morts en déportation : Renée Porchon née Guinant, René Porchon, Emile et Roger Ghelfi, Julien Bollé, Lucien Cruzillac, André Davoust, Léon Duquesne, Roland Lejeune, Marcel Moutarde et Jacques Schropp.
Elle est due à l'initiative de Raymond Hudé, conseiller municipal communiste d'Orgerus à la fin des années 1950. L'édification de cette stèle a engendré un conflit politique local qui témoigne de tensions inhérentes aux enjeux de mémoire. Inaugurée pour les 20 ans de la cessation des hostilités, le 8 mai 1965, l'érection du monument n'a été votée en conseil municipal que le 3 novembre 1966 : à cette date les maires des communes de Tacoignières, Bazainville et Orgerus se mirent finalement d'accord pour l'érection du monument qui avait déjà été construit plus d'un an auparavant. Le 23 janvier 1967, un acte notarial fut signé entre les propriétaires du terrain, la famille Visage, et le maire de Bazainville.
A l'occasion du 50e anniversaire de l'appel du 18 juin 1940, la stèle du Franc-Moreau fut choisie avec celles de Chatou (stèle des 27 martyrs) et de Saint-Germain-en-Laye (lycée Marcel Roby) pour allumer un "flambeau du souvenir" qui fut transporté à Versailles par un véhicule militaire de la 2e DB puis dans la cour d'honneur des Invalides.


Fabrice Bourrée

Contexte historique

Emile Ghelfi était secrétaire du syndicat CGT aux usines automobiles Unic à Puteaux. Menacé par la répression instaurée par le gouvernement français, il se réfugia à Orgerus chez un ami avant de louer une maison à Bazainville. En 1941, il entra dans la Résistance au sein du mouvement Vengeance où sa femme, Renée, ne tarda pas à le rejoindre. De temps à autre, il travaillait au Franc-Moreau, une grande ferme isolée sur le plateau qui relie Tacoignières à Orgerus et qui appartenait à la famille Porchon. Henri Porchon sympathisa avec Ghelfi et entra en février 1942 à Vengeance avec son fils Maurice. Il mit son exploitation au service de la Résistance.

Au début, Mme Ghelfi assurait la liaison avec Paris d'où elle rapportait tracts et journaux clandestins, et faisait la navette Paris-Vernon pour confier à des correspondants les personnes en danger qui devaient s'évader de France. C'est Julien Bollé qui fournit les faux-papiers par l'intermédiaire de sa sœur, gardienne dans une sous-préfecture de l'Oise. Avec l'arrivée des réfractaires au STO, Mme Ghelfi fit alors confectionner par un imprimeur un faux cachet de l'Etat Français et, à l'aide de cartes volées, elle établit elle-même les faux-papiers.

De deux membres en 1941, le groupe Ghelfi passa à sept en 1942 et à plus de trente en août 1944. Jusqu'au débarquement, il se consacra essentiellement à des distributions de tracts et du renseignement. Avec l'annonce du débarquement, l'action s'intensifia : coupures de fils téléphonique et électrique, hébergement de maquisards d'Eure-et-Loir se rendant à Paris pour participer à l'insurrection (chez Roland Lejeune), manifestation avec dépôt de gerbe au monument aux morts d'Orgerus le 14 juillet 1944, sabotage de la voie ferrée Paris-Granville le 25 mai 1943... Dans le même temps, deux membres du groupe, Raymond Porchon et Raymond Daunars, mirent au point avec l'Etat-major FFI du XIIIe arrondissement de Paris, un plan local d'action militaire. Le Franc-Moreau devait être un point d'appui de l'Armée secrète. Il devait recevoir et stocker des armes parachutées et assurer pendant un mois le ravitaillement de cinquante gendarmes attendus au jour J pour libérer le secteur.

Malheureusement, le groupe fut repéré par des agents du SDqui le surveillaient de près avec l'aide de miliciens logés à La Queue-lez-Yvelines. En quelques jours, les mouchards au service des Allemands identifièrent les principaux résistants : les trois Ghelfi, les trois Porchon, Julien Bollé, Roland Lejeune, André Davoust et beaucoup d'autres. Ils connaissaient leurs noms de code ainsi que leur mot de passe : "La route est longue de Versailles à Paris".
Il semblerait que Ghelfi ait été contacté par deux hommes, dont l'un se disait être un colonel anglais parachuté, qui lui auraient demandé de rassembler ses hommes au Franc-Moreau afin de recevoir un parachutage d'armes le 4 août 1944. Là réside le point crucial de l'affaire : pour des raisons indéterminées Ghelfi prit seul la décision de rassembler ses hommes. On peut avancer plusieurs hypothèses comme la difficulté pour Ghelfi de contacter ses supérieurs ou encore le besoin urgent d'armes. Après avoir hésité, il accepta la mission et prévint les membres de son groupe. Vraisemblablement au courant du piège tendu au groupe, la BBC diffusa le soir du pseudo-parachutage un message à l'intention du Hibou et de la Chouette (noms de code des époux Ghelfi)  : "Attention ! Attention ! les corbeaux pullulent sur la plaine". Mais il était trop tard, le groupe était déjà entre les mains du SD.

En ce qui concerne l'infiltration du SD au sein du groupe de Ghelfi, nous disposons de la confession de Roger Hubert. En 1942, Hubert adhèra au RNP et participa à Saint-Germain à de nombreuses perquisitions. Il devint ensuite un auxiliaire du SD. En juillet 1944, le capitaine Allemand Kogl donna à Hubert l'ordre d'accompagner Raoul Laurenceau dans une enquête à Orgerus pour démasquer un groupe de résistants. Ils se rendirent à l'hôtel des voyageurs de la Queue-lez-Yvelines où le tenancier était un indicateur de la Gestapo. Ce dernier les envoya chez un certain C., à Gambais, qui leur fournit le nom et l'adresse de Ghelfi. Par la suite, un Yougoslave surnommé "Tito" leur indiqua les noms de code des Ghelfi et leur mot de passe. Le jour même, Hubert et Laurenceau prirent contact avec Ghelfi en se faisant passer pour des envoyés du général de Gaulle. Tandis que Laurenceau restait sur place avec les patriotes, Hubert retourna à Saint-Germain pour guider les Allemands. Il revint au cours de la nuit accompagné d'importantes forces de police (70 feldgendarmes, des officiers du SD et des auxiliaires français) et se présenta seul à la porte de la ferme en déclarant qu'il apportait les munitions parachutées. Aussitôt les Allemands envahirent les locaux et arrêtèrent les résistants.
Pendant ce temps, des policiers Français et Allemands arrêtèrent la famille Porchon, frappant avec violence Raymond sous les yeux de sa femme. Des perquisitions effectuées notamment par Roger K. eurent lieu chez Porchon et chez Ghelfi. Puis ce fut au tour de Roland Lejeune d'être arrêté à son domicile. Mme Ghelfi envoya son neveu Henri donner l'ordre de dispersion aux autres membres du groupe. Grâce à lui une partie du groupe eut la vie sauve. Reine Lejeune, de son côté, réussit également à prévenir plusieurs personnes qui parvinrent à s'enfuir.

Au total, une trentaine de personnes fut réunie par les Allemands au carrefour de Guignonville. Toutes les personnes arrêtées furent amenées en camion à Versailles et incarcérées à la prison Saint-Pierre ; après interrogatoire au siège du SD, quelques-unes furent relâchées, les autres dirigées sur Fresnes et ensuite déportées en Allemagne. Deux d'entre elles seulement revinrent des camps. Parmi ces trente-deux résistants, treize avaient été arrêtés sur le site du Franc-Moreau. Chez ces derniers, il y eut deux survivants, Cleyssens et Maurice Porchon.

Laurenceau a été découvert assassiné dans la forêt de Saint-Germain le 20 août 1944. L'examen médical a démontré que la mort remontait au 15 août. Roger Hubert fut arrêté près de Creil le 21 février 1946, condamné à mort par la Cour de Justice de Versailles le 20 novembre 1946 et fusillé le 14 juin 1947. Roger K. fut arrêté à Cannes en décembre 1945 et condamné le 19 novembre 1946 par la Cour de justice de Seine-et-Oise à la peine de mort. Cette peine fut commuée le 30 mai 1947 en travaux forcés à perpétuité.

Une stèle commémorative a été inaugurée le 8 mai 1965 à Bazainville rappelant le sacrifice de ces hommes et de ces femmes.



Auteur : Fabrice Bourrée

Sources et bibliographie : 
Archives départementales des Yvelines, 1374 W 52 (service de recherche des crimes de guerre. Dossier Orgerus)  ; 1081 W 197 (Cour de justice de Seine-et-Oise. Affaire Roger Hubert)  ; 219 W 130 (cour de justice de Seine-et-Oise, affaire Friedman, Hubert…). 
Archives Jocelyne Lejeune-Pichon.
Michel Cullin, Vie et mort des résistants d'Orgerus, slnd.

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