Chaiffre accompagne de Lassus, à Crest

Légende :

André Chaiffre, alias « Roger », (au deuxième rang, 4e en partant de la gauche, coiffé d’un béret) lors d'une prise d'armes, le 5 septembre 1944, peu après la Libération, à Crest : adjoint du lieutenant-colonel de Lassus Saint-Geniès, « Legrand », commandant des FFI (Forces françaises de l'intérieur) drômoises – au centre sur la photo, il est au deuxième rang de l’état-major de la Résistance du département.

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : Inconnu

Source : © AERD Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique noir et blanc.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Crest

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Analyse média

L’attitude détendue du lieutenant-colonel de Lassus, au centre et au premier rang de l’assemblée officielle, semble indiquer que la manifestation (prise d’armes) n’a pas encore eu lieu.

L’officier supérieur est accompagné (derrière lui, au second rang), par le commandant Chaiffre et le capitaine Rueff (coiffé d’un béret et le bras relevé). À gauche, André Hérold. Devant et à droite, le docteur Schaeffer, maire de Crest. Coiffé d'un chapeau : M. Vallon (père).

La libération de Crest datant du 21 août 1944 (arrivée des premières unités états-uniennes de la Task Force Butler), la prise d’armes s’est déroulée peu de temps après. La ville, au centre d’un pôle résistant et qui a connu les exactions des Mongols le 20 juillet, de durs bombardements, également à proximité du Vercors, est honorée de la présence des deux principaux chefs des FFI de la Drôme, représentant symboliquement deux courants essentiels de la clandestinité armée, l’AS (Armée secrète) et les FTP (Francs-Tireurs et partisans). Cette prise d’armes est la dernière revue avant la dissolution des compagnies.


Auteurs : Michel Seyve 

Contexte historique

La photographie dissimule en partie l’importance d’André Chaiffre, le colonel de Lassus y occupant la position centrale. La discrétion relative de sa place ici, au cours de cette prise d’armes, ne doit cependant pas oblitérer son rôle réel au sein des FFI, depuis le début juin 1944 notamment, époque à laquelle sa présence est mise en évidence, notamment lors de l’attaque allemande de Valréas.

C'est sur le terrain même que quelques-uns des acteurs, qui ont connu André Chaiffre ("Roger"), ont remarqué certains traits de son comportement : ainsi, quelques brèves touches du portrait de ce maquisard nous sont parvenues, lorsque la mémoire et l'écrit les ont conservées, plus tard lorsque le besoin de revenir sur l'événement s'est fait sentir. On peut en retrouver de minces traces dans les récits évoquant l'épisode du 7 au 12 juin 1944 de Taulignan-Valréas. C'est à peine une silhouette que l'on distingue...

Le personnage ne manque pas d'intérêt pourtant, à cause même du rôle que les organismes résistants auxquels il appartient lui ont probablement demandé de jouer, à cause également de ses fonctions dans la Résistance régionale et départementale.

Patrick Martin observe, dans sa thèse, que le PCF gagne « en popularité en 1944 au sein de la population drômoise, dans le Sud-Drôme et dans certaines communes importantes du Nord-Drôme (Romans, Saint-Vallier, Saint-Donat). Il a sous son contrôle 2 500 hommes en armes. Tous ne sont évidemment pas communistes, mais l'encadrement politique de ces hommes commence à s'opérer, avec l'apparition de personnes comme André Chaiffre, venu de Marseille et qui a pris, à Valréas, le commandement des FTP, à la grande surprise de certains d'entre eux. La volonté de diriger [de la part des communistes] se manifeste avec l'apparition de Chaiffre ».

Quoi qu'il en soit, l'ascension rapide de "Roger" témoignerait de ces orientations : "le 6 juin 1944, le capitaine "Alain", qui avait été désigné comme chef FFI de la Drôme-Sud a sous ses ordres l'ensemble des forces FFI de ce secteur. Il a comme adjoint le capitaine "Roger" (André Chaiffre), qui doit assurer la liaison et la coordination avec l'état-major FTPF de la zone Sud. Puis le capitaine Roger passe à l'état-major du commandant Legrand, avec les mêmes fonctions ".

Le général de Lassus ("Legrand") en parle en ces termes, lorsqu'il relate sa prise de commandement des FFI de la Drôme, les 3 et 4 juillet 1944 : « Les rapports avec les FTP s'améliorèrent dès mon arrivée. Je demandais qu'un adjoint FTP vint se joindre à mon état-major. Le capitaine "Roger" (André Chaiffre), qui était l'adjoint FTP d'Alain [le capitaine Alain commandait le 3e bataillon FFI (AS) en Drôme-Sud], fut désigné. D'un grand dynamisme, il circulait énormément et ce n'est que par intermittence qu'il venait à l'Escoulin [commune au nord de la nationale Crest-Die, où était installé le PC des FFI] ».

Nous avons tout loisir de penser (sans posséder d'autres indices que la remarque de Legrand et les signes de rejet des FTP de Nyons et de Valréas), que André Chaiffre, parallèlement à ses activités de commandement FFI auprès de l'état-major départemental, est impliqué dans d'autres missions politiques ou organisationnelles au sein des FTP.

Le général de Lassus Saint-Geniès mentionne plusieurs fois la présence de "Roger" à ses côtés à Die. C'est à la suite d'une réunion avec "Roger", "Alain" et "Constant" qu'il décide « de procéder à la mobilisation générale, d'un certain nombre de classes » ; de même « des affiches, quelques jours après [doivent] être apposées dans tout le département ». Le 14 juillet 1944, Legrand remet des décorations, à la cérémonie de Die, entre autres au capitaine "Roger" « qui avait abattu au fusil-mitrailleur un avion du côté de Valréas... » (Ce qui est très douteux). Un peu plus tard, le 8 août, "Legrand" note dans son emploi du temps : « Je partis dans l'après-midi pour le Sud, à Buis-les-Baronnies, accompagné de mon adjoint FTP "Roger", que je voyais bien rarement ».

Sans doute, "Legrand" regrette que la présence de son adjoint ne soit qu'épisodique - suggérant, compte tenu du dynamisme de son collaborateur, d'autres occupations. Il le signale pourtant près de lui de temps en temps ; il devait même l'apprécier dans les montagnes du sud - qu'il connaissait mal, à forte implantation FTP, ou ailleurs, comme à Puy-Saint-Martin, où, dit-il, « j'étais en voiture avec mon adjoint FTP », après le 18 août 1944 : de concert avec les Américains, et surtout, dans ce cas précis, avec une compagnie FFI, le chef FFI aurait libéré le bourg d'un retranchement allemand d'une soixantaine d'hommes.

Ces alliances sont bien sûr conjoncturelles ; mais leur mémoire demeure très vivante. En témoigne cette rencontre, 40 ans après, en 1984, au cours d'un repas à l'Escoulin, lieu du PC FFI : Chaiffre était là, avec de Lassus Saint-Geniès, donnant une interview à Robert Serre. Au cours de cet échange, le résistant fait état de l’arrestation dont il a été un jour victime. Il rappelle à cette occasion ses appréhensions et son vécu de la torture, sa propre perception de la peur à 21 ans.

En fait, tout se passe comme si "Roger", envoyé de Marseille par le parti communiste [ou (et) les FTP], avait une mission précise, après le débarquement de Normandie le 6 juin, dans une région où les Francs-Tireurs ont une forte présence : dans le secteur Sud-Drôme, au début juin 1944, quatre bataillons FTP côtoient deux bataillons AS. "Roger" se doit d'obtenir que les FTP aient un rôle clé dans l'insurrection locale (Taulignan-Valréas-la Lance, le Nyonsais), voire dans la Résistance départementale. A posteriori, l'ascension de "Roger", dans le sud-est de la Drôme, puis dans le département - qui suit la répression sanglante de Valréas-Taulignan, validerait cette hypothèse.

Il est bien connu que les forces de la Résistance, unies sur un projet ambitieux de libération nationale et d'émancipation humanitaire mondiale, sont aussi un rassemblement d'organisations et de personnes poursuivant leurs propres objectifs. André Chaiffre est un de ceux qui, singulièrement, originaire de Marseille, signale l'influence phocéenne dans la Drôme et semble affirmer la volonté communiste de charpenter un rayonnement politique qui se dessine, de faire concrètement la place des FTP dans le commandement militaire des FFI au plus haut niveau. Il n'est pas surprenant que les chefs locaux et même régionaux de sa propre organisation, les FTP, sur le terrain souvent depuis 1943 et même parfois avant, aient contesté ce qui leur apparaît comme un chapeautage inadmissible et incompréhensible de dernière minute. Mais le contexte général est marqué par l'accélération vertigineuse de la guerre ; déjà, la question d'une nouvelle république se pose, le programme du CNR est en route. Chaiffre est un combattant, apparemment homme d'un parti qui a la ferme intention, comme d'autres éléments des différentes forces du mouvement résistant, peut-être davantage ou en tout cas autrement, de participer au gouvernement de la France libérée.


Auteurs : Michel Seyve
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007.