Arrêté de réquisition des hommes à Die, le 14 juillet 1944

Légende :

signé par Yves Farge (« Grégoire »), commissaire régional de la République (région R1).

Genre : Image

Type : Arrêté

Producteur : Yves Farge (« Grégoire »)

Source : © Collection privée Albert Fié, archives Pons Droits réservés

Détails techniques :

Texte dactylographié 21 x 20 cm sur papier pelure.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Die

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Analyse média

Le document est traité comme un document officiel, avec les formules traditionnelles. La qualité d'impression et d'écriture témoigne d'une bonne organisation administrative. On peut penser qu'il a été préparé durant les heures précédant le 14 juillet. Dans son livre, Rebelles soldats et citoyens, Yves Farge explique qu'il a signé et fait afficher l'arrêté après le défilé alors que retentissait encore le bombardement de Vassieux-en-Vercors : « Le soir, je trouvai sage d'offrir un alibi à tous ces gens courageux qui avaient déjà donné au maquis tant d'hommes valides que je voyais prêts à tout accepter dès l'instant où l'on apprenait que des fusils et des cartouches avaient été largués sur le Vercors. Je signais et je faisais afficher mon deuxième arrêté ». Le premier arrêté concerne la justice.

Il traduit la volonté de son auteur d'affirmer qu'il se considère comme un représentant de la République qui se substitue à l'État de Vichy.

Il affirme la valeur de son autorité en se référant à la loi de juillet 1938 sur la Nation en temps de guerre.

Le document est un arrêté de réquisition concernant tous les hommes valides de 16 à 40 ans. Cette réquisition est nécessaire afin de réaliser des travaux d'utilité militaire ou civile.

Ne sont exemptés de cette réquisition que les hommes déjà mobilisés dans la Résistance et les malades.


Auteurs : Alain Coustaury
Sources : Albert Fié, Mémoire d'un vieil homme, archives Pons.

Contexte historique

Le débarquement de Normandie date de plus d'un mois. Des portions du territoire français ont été libérées. Immédiatement, les rouages de l'administration prévus par le GPRF (Gouvernement provisoire de la République française) y ont été installés. Ailleurs, dans certains secteurs de la zone encore occupée, la Résistance a décrété la restauration de la République. C'est le cas du Vercors où, le 3 juillet 1944, la République a été proclamée.

L'arrêté de réquisition du 14 juillet 1944, signé par Yves Farge, est pris lors d'une journée mémorable à plusieurs titres.

Trois événements majeurs se déroulent ce jour-là : le parachutage de Vassieux-en-Vercors, la réunion à Die d'importants personnages de la Résistance, la commémoration de la fête nationale avec prise d'armes et défilé militaire.

Le matin, vers 9 heures, sur le terrain Taille-crayon, à Vassieux-en-Vercors a lieu le plus important parachutage d'armes et de matériel qu'a reçu la Drôme. Dans le cadre de l'opération Cadillac, plusieurs centaines de B17 forteresses volantes, parties de Grande-Bretagne, parachutent en divers points de France, armes et matériel. Ces parachutages sont spectaculaires mais maladroits dans la mesure où ils sont diurnes donc immédiatement repérés et attaqués par l'ennemi. C'est particulièrement vrai à Vassieux. À peine les B17 ont-ils disparu que les avions allemands, basés sur l'aérodrome de Valence-Chabeuil, interviennent, mitraillent et bombardent Taille-crayon et le village de Vassieux. À Die, toute la journée on entend les explosions.

La même matinée, Yves Farge, accompagné du sous-préfet Robert Pisserre, parcourt la route nationale 93 en amont de Saillans. Il observe les travaux d'obstruction de la chaussée consistant à planter des morceaux de rails dans des chapes de béton. Ces barrages antichars ont été préconisés par Alain et maintenus par Jean-Pierre de Lassus Saint-Geniès (« Legrand »), chef des FFI (Forces françaises de l'intérieur) de la Drôme, afin de prévenir une attaque allemande. Tous ces travaux nécessitent une abondante main-d'œuvre.

Vers midi, Yves Farge est rejoint par Henri Zeller (« Joseph »), Francis Cammaerts (« Roger »), Christine Granville (« Pauline »). Étaient présents également, Claude Alphandéry (« Cinq Mars »), Pierre de Saint-Prix. Tous discutent des événements de Vassieux et du défilé qui doit avoir lieu l'après-midi. Ce dernier avait été désiré par "Legrand" pour commémorer la fête nationale. Après discussion, il est décidé qu'il aurait lieu à 17 heures en prenant des précautions pour ne pas rameuter l'aviation allemande.

Le défilé se déroule vers 17 heures. À la fin du défilé, Yves Farge prononce un vibrant discours sur les valeurs de la République. Il insiste sur le fait que la région est libérée.

C'est dans ce contexte qu'est pris l'arrêté de réquisition de tous les hommes valides de 16 à 40 ans. Le résultat doit être une mobilisation générale. Avec la présence de grands responsables locaux, régionaux voire nationaux, il souffle à ce moment là une atmosphère de levée en masse, exacerbée par le grondement lointain des explosions et du mitraillage de Vassieux-en-Vercors. Dans le même temps, le parachutage laisse espérer une aide massive de la part des Alliés, voire une opération aéroportée, et la brutale réaction allemande fait prendre conscience des dures réalités de la guerre.

Les circonstances sont suffisamment dramatiques pour que plusieurs responsables dont Yves Farge se rendent à Vassieux pour évaluer les pertes liées au bombardement allemand.

Le document traduit bien les conditions dans lesquelles s'est déroulé le 14 juillet 1944 à Die. Le 21 juillet, l'attaque allemande contre le Vercors débutait. En trois jours, la Résistance du Vercors et de ses abords s'effondrait entraînant de lourdes pertes parmi les militaires mais aussi parmi les civils.


Auteurs : Coustaury Alain
Sources : Alphandéry Claude, Vivre et résister, 1999, Descartes et Cie, 150 pages ; de Lassus Saint-Geniès Jean-Pierre, de Saint-Prix Pierre, Combats pour le Vercors et pour la liberté, 1984, Peuple libre, Imprimerie nouvelle Valence-sur-Rhône, 189 pages ; Farge Yves, Rebelles soldats et citoyens, carnet d'un Commissaire de la République, 1946, Grasset ; Veyer Jean, Souvenirs sur la Résistance dioise 1941 1944, 1986, imprimerie Cayol Die, 111 pages.