Blessés et soignants de l’hôpital de la grotte de la Luire

Légende :

Blessés et soignants de l’hôpital de la Résistance, réfugiés dans la grotte de la Luire, qui vont subir un véritable carnage le 27 juillet 1944

Genre : Image

Type : Lieu

Producteur : Fils du docteur Ganimède ?

Source : © Musée de la Résistance de Vassieux Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique en noir et blanc.

Date document : 23 juillet 1944

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Analyse média

Sous le porche de la grotte de la Luire, s’abritent les blessés, allongés ou assis parmi les rochers ou s’appuyant sur des béquilles, encadrés par les médecins et infirmières. À droite, le drapeau à croix rouge est étalé sur la paroi.

Le sol de la grotte est très tourmenté et encombré de rochers. Il était difficile de trouver un emplacement horizontal pour coucher les blessés. Les soignants ne disposaient que d’un matériel médical rudimentaire et n’avaient aucun éclairage la nuit. Ils soignaient cependant aussi bien les quatre prisonniers de la Wehrmacht que les maquisards français.

Cette photo aurait été prise par le fils du docteur Ganimède le 23 juillet 1944.


Auteur : Robert Serre

Contexte historique

Dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944, l'état-major du Vercors, devant l'aggravation de la situation, donne l’ordre de replier l'hôpital du Maquis, installé le 8 juin à Saint-Martin-en-Vercors, sur l'hôpital de Die. Un car, deux camions et une voiture particulière embarquent 122 blessés, les malades et le personnel. Par la route du col de Rousset, le convoi rejoint Die au petit matin. La mère supérieure de l'hôpital signale l'arrivée imminente des Allemands.
Devant ce danger, le docteur Ganimède décide de laisser quelques blessés légers à Die, de remonter sur le massif et, conduit par Fabien Rey, un pâtre résistant, de s'établir provisoirement à Saint-Agnan-en-Vercors, sous le porche d'entrée de la grotte de la Luire, une exsurgence dont le petit lit pierreux est très souvent à sec. Dans ce lieu va se dérouler le drame de la grotte de la Luire.

Le porche n'est pratiquement pas visible depuis la route départementale 518. La grotte, bien que déjà répertoriée dans des guides touristiques, n'est guère connue que des spéléologues et de quelques habitants du voisinage. Elle apparaît donc comme un refuge sûr. Cependant, le docteur Ganimède et le médecin-capitaine Fischer, inquiets, essaient d'évacuer les blessés les moins atteints. Le soir du 22 juillet, 50 blessés et 18 soignants quittent la grotte et rejoignent Romans. Le 25, le docteur Ganimède fait se réfugier, dans une cavité au-dessus du porche, un groupe de blessés qui peuvent se déplacer avec des béquilles. Ils sont accompagnés par deux infirmières, Lucie Jouve et Marie Roblès.
Sous le porche de la Luire, il reste moins de la moitié du groupe : 45 blessés intransportables dont une trentaine de maquisards, parmi lesquels on citera Juliette Lesage ("Lilette"), infirmière blessée au combat de Combovin le 22 juin, un officier américain Chester Meyers, d’un commando parachuté le 29 juin, opéré de l'appendicite, et aussi quatre soldats allemands ou polonais, Félix Dombrowski, Kruzel, Malacowski et Veronecki, blessés capturés en juin au combat de Montclus et portant l'uniforme de la Wehrmacht. Treize personnes constituent l'encadrement : trois médecins, les docteurs Fischer ("Ferrier"), 32 ans, médecin capitaine du Groupement des chantiers de jeunesse n° 19 qui avait rejoint la Résistance au Vercors, Marcel Uhlmann, 32 ans, médecin juif, et Ganimède, ce dernier accompagné de sa femme et de son fils Jean, sept infirmières, et un aumônier, Yves Moreau de Montcheuil, 44 ans, philosophe et théologien très cultivé et très ouvert, qui avait participé activement à l'élaboration et à la diffusion des Cahiers du Témoignage chrétien, dénonçant l'antisémitisme et appelant les chrétiens à réveiller leur conscience, puis avait gagné le Vercors pour y assister les jeunes résistants et les blessés. Un drap blanc à croix rouge est déployé près de l'entrée du porche : croit-on encore les nazis respectueux des conventions de Genève ? De la grotte, on entend passer les convois sur la route distante de 400 mètres. Les patrouilles allemandes qui ratissent le secteur s'approchent dangereusement du porche. Dans le ciel le Storch, le mouchard, survole à très basse altitude l'hôpital improvisé.
Certains blessés décèdent avant le jour du drame : André Bourcereau, 26 ans, résistant originaire de Pauillac (Gironde), résidant à La Seyne-sur-mer (Var), blessé au combat de Saint-Nizier, emmené à l’hôpital de la grotte de la Luire à Saint-Agnan-en-Vercors où il décède le 25 juillet 1944, Pierre Mallein, 18 ans, résistant de Pont-de-l'Isère, blessé (on ne sait s’il est décédé le 24 juillet 1944 à Saint-Martin-en-Vercors ou abattu par les Allemands à la grotte de la Luire, Albert ou Auguste Mulheim, 24 ans, d’origine alsacienne, chasseur de la compagnie Chabal, blessé le 23 juillet 1944 à Villard-de-Lans (Valchevrière) par trois balles de mitrailleuse dans le ventre, il est évacué sur la grotte de la Luire où il meurt peu après, Henri Murot, résistant originaire d’Argenteuil (Seine-et-Oise, maintenant Val-d’Oise), roulottier, grièvement blessé et atteint par la gangrène, il meurt le 27 juillet 1944, peu avant l’arrivée des Allemands, à l’hôpital replié dans la grotte de la Luire, Édouard Ricordo, 27 ans, blessé amené à la grotte de la Luire où il décède le 23 juillet.

Comment le refuge a-t-il été découvert ? il n’est pas nécessaire de recourir à l'hypothèse de la trahison que rapporte souvent la mémoire collective. Le 27 juillet, vers 16 heures, les soldats allemands font irruption à l'entrée du porche. Les quatre prisonniers de la Wehrmacht, reconnaissant des camarades de leur unité, leur crient de ne pas tirer, disant "ils nous ont soignés". Devant un début de fraternisation de ses hommes, le chef du groupe les rappelle à l'ordre, jugeant que les quatre Polonais peuvent être des déserteurs. Il fait arracher leurs pansements pour vérifier si les blessures sont réelles.

Dans un bon français, il requiert les responsables. Les docteurs Ganimède, Fischer, Ullmann s'avancent. Les Allemands font aligner médecins et infirmières face à la paroi, lever les blessés auxquels ils arrachent les pansements, et les dépouillent de tout ce qu'ils possèdent. Marc Liozon, 22 ans, de Savasse, résistant de la compagnie Ladet, blessé le 22 juin lors de l'attaque allemande sur Combovin, soigné par "Lilette" Lesage, transporté à l'hôpital, Guy Cretenet, 19 ans, résistant de Romans, Armand Rosenthal, 43 ans, résistant originaire de Nancy (Meurthe-et-Moselle), médecin du maquis, juif, qui avait été le premier à prendre le maquis dans le Vercors en novembre 1942 pour échapper aux rafles, tentent de quitter la grotte, mais sont repris et abattus à proximité de la grotte. Armand Rosenthal, stomatologiste de religion juive, était le directeur de l’Institut dentaire de Nancy, ayant pris en 1936 la succession de son père et de son grand-père. En 1940, les locaux de l’Institut sont en grande partie réquisitionnés et réservés aux cadres allemands. En 1941 le docteur Rosenthal est mitraillé par les Allemands alors qu'il allait rechercher le manuscrit d'un roman oublié dans un abri. Le 28 juin 1941, une note du ministère des Finances ordonne à Armand Rosenthal de quitter ses fonctions et le 7 juillet les chèques postaux refusent de lui virer son salaire. Il décide alors de combattre et prend le maquis dans le Vercors.

Ils réquisitionnent un agriculteur de Saint-Agnan-en-Vercors, Jarrand, avec sa charrette tractée par des vaches, pour transporter douze grands blessés à Rousset où ils retrouveront les sept qui peuvent marcher ainsi que le personnel soignant.
Sur le trajet, le convoi des grands blessés rencontre un groupe de parachutistes allemands. La nuit tombe, le chef de ce groupe décide d'en finir. Il fait remonter la charrette en direction de la grotte. En contrebas de celle-ci, sur un terre-plein, il fait achever les 14 grands blessés sur leur brancard : Marcel Amathieu, 32 ans, Marcel Bahr, 25 ans, Polonais, sous-lieutenant, le lieutenant René Cadillac, industriel de Romans, 36 ans, un enfant de 2 ans, épouse enceinte, blessé le 14 juillet à Vassieux, André Charras, 22 ans, de Montvendre, Jean Eymard, 21 ans, originaire de Rencurel (Isère), Roger Feneyrol, 18 ans, résistant de La Roche-de-Glun, Roland Guerry, Charles Jean, 16 ans, résistant de Romans, Jean (ou Charles ou Léon) Julien, 19 ans, résistant originaire de Lyon (Rhône), Joseph Locatelli, 21 ans, résistant originaire de Rencurel (Isère), Gabriel Moulin, 24 ans, résistant originaire d’Aubenas (Ardèche), Georges Roch, 18 ans, ouvrier en chaussures et résistant à Romans, où il avait été blessé par balle, Jean Rouhaud, 23 ans, résistant originaire de Voiron (Isère), blessé le 21 juillet 1944 au col de La Croix-Perrin (Lans-en-Vercors), Paul Walpersvylers, 23 ans, résistant originaire de Méaudre (Isère). Tous seront enterrés le lendemain dans une fosse commune.
L'autre colonne, en direction de Rousset, est arrêtée par un commandant autrichien. Ce dernier est injurié par Abdesselem Ben Ahmed, résistant originaire du Maroc, qui le traite de « sale boche ». Refusant de s'excuser, le maquisard est assommé à coups de crosse de mitraillette et pendu. Le lendemain 28 juillet, au pont des Oules, en amont du hameau de Rousset, sept autres grands blessés sont achevés après avoir été contraints de creuser leur tombe : Albert Baigneux, 24 ans, René Bourgund 17 ans, ouvrier, résistant de Romans, Fernand Delvalle, 35 ans, blessé le 21 juillet 1944 à Vassieux ou au col de La Croix-Perrin, Édouard Hervé, 24 ans, gendarme à La Chapelle-en-Vercors, grièvement blessé par le bombardement allemand du 12 juillet, Roland Guerry, Vittorio Marinucci 18 ans, étudiant, réfugié lorrain, résistant de Romans, Georges Robert, 20 ans, résistant originaire de Lyon, (plus, selon certaines sources, un inconnu).
Les autres membres de ce groupe sont conduits à Grenoble et internés à la caserne de Bonne où siège la Gestapo. Les « civils », Jeanne Ganimède, son fils, et "Lilette" Lesage (dont les Allemands ignorent qu’elle est une résistante) peuvent s'échapper grâce à la complicité des Polonais de la Luire. Le docteur Ganimède, autorisé à se rendre aux toilettes, réussit à s’évader.
Dans la nuit du 10 au 11 août 1944, au Polygone de Grenoble, sont fusillés les docteurs Fischer et Ullmann, et l'aumônier, le Père Yves Moreau de Montcheuil. L’officier américain a la vie sauve. Par contre, le lieutenant Francis Billon, de la mission "Paquebot", originaire du Finistère, qui avait eu la cuisse brisée lors de son atterrissage à Vassieux, le 7 juillet, est exécuté malgré son uniforme militaire de l'armée régulière française. Les infirmières sont envoyées en camp de concentration. Odette Malossane y meurt le 25 mars 1945.

Les exécutions de la grotte de la Luire deviennent rapidement un symbole de l'atrocité de la répression allemande.


Auteurs : Robert Serre
Sources : ADD, 132 J 1. Fédération des Unités combattantes de la résistance et des FFI de la Drôme, Pour l'amour de la France, Drôme-Vercors 1940-1944, Peuple Libre 1989. Escolan Patrice et Ratel Lucien, Guide-Mémorial du Vercors résistant, Paris, Le Cherche-Midi, 1994. Colonel Richard Marillier, Vercors, 1943-1944, Le malentendu permanent, éditions de l'Armançon, 2003. Martin, thèse. Archives Vincent-Beaume. Pons, De la résistance à la Libération. La Picirella, Témoignage sur le Vercors. De Richter. Jacques Peyrouse, Pont d'Isère. Vergnon Gilles, Le Vercors, histoire et mémoire d’un maquis, éd. De l’Atelier, Paris, 2002. Association des Pionniers du Vercors, Le Vercors raconté par ceux qui l’ont vécu, Valence 1990.Rosine Bernheim, Pierre Sulivan, La Traîne-Sauvage, Flammarion, 1999.