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Avis faisant suite aux événements du 19 février 1944 à Eysses

Légende :

Avis du directeur de la maison centrale d'Eysses, Joseph Schivo, suite aux événements du 19 février 1944

Genre : Image

Type : Avis

Source : © Coll. Bernard Weil Droits réservés

Détails techniques :

Document dactylographié, 13,5 X 10cm

Date document : 1er mars 1944

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

Transcription :

« En raison des évènements qui se sont produits récemment, M. le Chef du gouvernement a décidé :
1°) de supprimer les colis de vivres adressés aux prisonniers par leur famille. Seul reste toléré un envoi mensuel de linge de corps et de sous-vêtement à l’exclusion de tout vêtement de dessus.
2°) d’interdire l’usage du tabac.
3°) de n’autoriser réciproquement qu’une seule correspondance mensuelle entre un détenu et un membre de sa famille choisi parmi les ascendants, descendants et conjoints légitime.
4°) de n’accorder qu’une visite mensuelle entre un détenu et un SEUL membre de sa famille choisi exclusivement parmi les parents spécifiés dans le paragraphe précédent.
Tout colis de vivres arrivant à destination d’un détenu sera versé à la Croix Rouge Française. Il sera d’ailleurs procédé de la même manière pour les timbres inclus dans les lettres. Toutefois pour leur permettre des achats en cantine, l’envoi aux détenus d’une somme mensuelle de 300frs est autorisé.

Les familles sont priées dans leur propre intérêt de se conformer strictement à la présente règlementation.

EYSSES le 1/3/1944
Le Directeur »


Contexte historique

A la suite de l’évasion de 54 détenus du quartier cellulaire, le 4 janvier 1944, la direction de la centrale d’Eysses est confiée au colonel milicien Joseph Schivo, ami personnel de Darnand. Schivo est militaire de carrière jusqu’en 1926, officier dans la Légion étrangère. Huissier de 1926 à 1937, il devient chef départemental de la Milice des Bouches-du-Rhône. N’appartenant pas à l’administration pénitentiaire, il prend son poste comme directeur de la centrale dès le 24 janvier 1944, avant d’être nommé sur contrat à titre temporaire à compter du 1er mars 1944. 

Ce nouveau directeur est avant tout un milicien et c’est la mission d’ordre politique qui prévaut. La façade officielle de directeur d’une administration d’Etat s’efface derrière le milicien jusque dans la tenue. Le costume respectable de directeur fait place au gamma de la milice et à une arme. Il n’a de comptes à rendre qu’à son « chef », et sa correspondance adressée à J. Darnand (la plus nombreuse) est rédigée en termes plus militants qu’administratifs. 

Le 19 février 1944, Eysses est le théâtre d'une ambitieuse tentative d'évasion collective (de mille deux cents détenus politiques). Ce jour-là, alors qu'un inspecteur général effectuait une visite dans la centrale,  les détenus saisissent l'occasion pour le prendre en otage, ainsi que le directeur milicien de l'établissement, Joseph Schivo, et quelques membres du personnel, au moment où ceux-ci pénétraient dans le chauffoir du préau 1. Le plan, préparé depuis plusieurs semaines par l'état-major clandestin des détenus, consistait à s'emparer des gardiens et à se rendre maitre de la centrale en silence. Entre 14h, heure de la capture de l'inspecteur et du directeur au préau 1, et 17h, les détenus progressent, en silence, jusqu'au bâtiment administratif, capturant et ligotant les surveillants au fur et à mesure de leur avancée. 

Cependant, l'alerte est donnée vers 17 heures par une corvée de droits communs de retour dans la détention. Alerté par des coups de feu, la garde extérieure met alors en batterie des armes automatiques aux fenêtres des bâtiments d'entrée donnant sur la cour d'honneur et commence à ouvrir le feu sur les locaux de détention. Les groupes de choc, formés en particulier d'Espagnols bénéficiant de l'expérience du combat à la faveur de la guerre civile, après avoir sommé en vain les GMR des tourelles de les laisser sortir, tentent, à plusieurs reprises, de franchir les murs de l'enceinte extérieure en attaquant le mirador nord-est à la grenade. Certains détenus atteignent les toits, tirent à coups de mitraillette sur les gardes, pendant que d'autres, protégés par des matelas, tentent de monter à l'échelle jusqu'au mirador de la porte Est. Toutes ces tentatives sont repoussées. Du coté des détenus il y a un mort - Louis Aulagne - deux blessés graves et trois blessés légers. On compte un tué et un blessé parmi le personnel pénitentiaire et seize blessés parmi les forces de l'ordre.   Vers 21 heures, les troupes d'occupation venues d'Agen encerclent la centrale, munies de pièces d'artillerie. Vers minuit, l'état-major des détenus, installé dans le poste de garde du bâtiment administratif, tente de parlementer plusieurs fois par téléphone avec la préfecturedemandant au préfet de les laisser sortir, en arguant de la qualité des otages qu'ils détiennent. C'est Auzias qui dirige ces négociations avec la préfecture afin d'obtenir une reddition acceptable. On libère alors le directeur Schivo qui confirme le traitement correct dont il a été l'objet et relaie la demande des détenus auprès des autorités. Il est ici intéressant de signaler que tous les témoins insistent sur l'attitude particulièrement veule du milicien qui, craignant pour sa vie, tentera de se justifier par toutes sortes d'attitudes mensongères, tout en faisant état de sa qualité d'officier français. Vers trois heures, le commandant des troupes allemandes lance un ultimatum donnant aux révoltés un quart d'heure pour se rendre sans condition, faute de quoi la centrale sera bombardée. Les détenus demandent alors, par l'intermédiaire du directeur, un délai d'une heure pour regagner leurs dortoirs et déposer les armes (temps également nécessaire pour faire disparaître un certain nombre de papiers compromettants), celui-ci ayant donné sa promesse d'officier qu'il n'y aurait pas de représailles. Ce délai est refusé. Conscient que la poursuite des combats se solderait par un échec,  les détenus libèrent les otages, abandonnent leurs armes (onze mitraillettes et huit grenades) et regagnent leurs dortoirs : il est environ quatre heures du matin.

Le 20 février, Joseph Darnand, secrétaire d’État à l’intérieur, se rend à Eysses. Les interrogatoires commencent dans la matinée du 20 dans les préaux, de même qu’une fouille générale de la prison est organisée. Les armes cachées dans la cour de l’infirmerie sont découvertes. Les détenus sont fouillés et tout ce qui leur appartient est détruit. Les brigades mobiles de Limoges et Toulouse sont appelées en renfort pour l’interrogatoire des 1200 détenus. Parmi eux, un seul parlera.
Suite à ces interrogatoires, cinquante otages, considérés comme les meneurs, sont conduits au quartier cellulaire. La sélection des otages terminée, des résistants sont encore « interrogés » toute la nuit, dans la cave, sous l’appartement de Schivo (voir plan détaillé).
Le conseil des ministres nomme une cour martiale qui arrive à Eysses dans la soirée du 22 février. Le 23 à 4 heures du matin, elle examine à huis clos 14 procès-verbaux parmi ceux des 50 otages dans la buanderie. A 10h50 le 23 février, les 12 condamnés sont amenés de la buanderie à la cour d’étendage (aujourd’hui « cour des fusillés »). Henri Auzias lance un réquisitoire contre Schivo et ses complices, puis les condamnés entonnent La Marseillaise, reprise par les détenus du quartier cellulaire. Après les tirs des GMR, les 12 sont achevés à bout portant.

Les autres otages, incarcérés le temps de l’enquête au quartier cellulaire, sont transférés à la prison de Blois le 13 mai 1944. Ils seront déportés à Dachau dans le convoi du 2 juillet 1944 portant le nom de « Train de la mort » (du fait du nombre élevé de morts pendant le transport).  Les autres détenus d'Eysses sont livrés aux autorités allemandes le 30 mai 1944 et déportés.  
    


Lors de la libération de l’établissement le 19 juillet 1944, le directeur Schivo tente de prendre la fuite en passant par Agen où SS et miliciens se rassemblent en vue de se replier sur l’Allemagne. Il est finalement arrêté à Tarascon, après avoir été reconnu et signalé par la famille d’un ancien détenu. Il sera condamné à la peine de mort et fusillé, le 29 mai 1946, au Polygone d’Agen.


Sources : Corinne Jaladieu, Les centrales sous le gouvernement de Vichy : Eysses, Rennes, 1940-1944, thèse de doctorat, Histoire, Rennes 2, 2004. Archives nationales, Fontainebleau, dossier de carrière de M. Lassalle. Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes, L’Harmattan, 2007.