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Plaque à la mémoire d'Adrien Lemoine, Pontoise (Val d'Oise)

Légende :

Plaque apposée 60 rue de Gisors à Pontoise

Genre : Image

Type : Plaque commémorative

Producteur : Jérôme Leblanc

Source : © Association Mémoire et patrimoine militaire - ARHM Droits réservés

Détails techniques :

Photographie numérique en couleur

Date document : 2015

Lieu : France - Ile-de-France - Val-d'Oise - Pontoise

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Contexte historique

Adrien Le Moine est connu d'un certain nombre de Pontoisiens puisqu'une rue du quartier de l'Hermitage -qu'il n'a pourtant pas habité- porte son nom avec la mention "déporté, mort pour la France". Sur sa maison 60 rue de Gisors a été apposée une discrète plaque à la demande de la famille. A ces douloureux événements il faut associer le souvenir de son fils Robert, résistant, membre du réseau Alliance, sous le pseudonyme de "Python".

Adrien et son épouse Blanche possédaient à Paris un atelier de fabrication de bijoux fantaisie, dont les principaux clients étaient anglais, qu'ils vendirent en 1925 afin d'acheter un garage pour leur fils unique Robert, mécanicien, alors âgé de 22 ans. Ce garage, avec pompe à essence, ils le créèrent à l'emplacement d'une ancienne ferme, 60 rue de Gisors où vint s'installer toute la famille : Adrien, son épouse, sa mère, son fils - famille qui, après le mariage de Robert et Andrée s'agrandit avec la naissance de Claude en 1929, Françoise en 1932, Christiane en 1936. L'affaire de Robert marchait bien, aidé de son père Adrien doué dans de nombreux domaines y compris artistiques (peinture, sculpture sur bois) tout en consacrant beaucoup de temps à la maison et à sa femme malade.

Mais avec la guerre la situation, changea ; à cause de la restriction d'essence, Robert perdit beaucoup de clients. Au retour de l'exode, pour aider la famille, Adrien travailla quelque temps à la LTT à Conflans-Sainte-Honorine puis, plein d'idées, il se mit à récupérer de vieux tissus pour fabriquer lui-même des chaussons, des mules, des sacs à main qu'il allait vendre au marché et à des commerçants de la rue de la Roche. De son côté Robert loua ses boxes (35) à des clients pour entreposer leur voiture immobilisée par la pénurie d'essence pour la durée de la guerre. Il accueillit également les camions gazogènes des Français à qui les Allemands avaient fait appel pour participer à des travaux de terrassement dans le camp de Cormeilles-en-Vexin. Ces chauffeurs, qui habitaient dans la région, cherchaient à entreposer leur véhicule la nuit à Pontoise et retournaient chez eux par différents moyens, ceci afin d'éviter de consommer trop de carburant. Il arrivait que ces camions tombent en panne dans le camp ; on faisait alors appel à Robert pour venir les réparer, c'est ainsi qu'il obtint un Ausweis et put faire des observations dans le camp de Cormeilles : les travaux aui y étaient menés auraient eu pour finalité de fabriquer un faux village pour leurrer les Anglais et y camoufler des avions. Ces observations parurent intéressantes à Robert qui songea à les utiliser contre les Allemands...

Un des loisirs de Robert Le Moine était la pêche qu'il pratiquait le plus souvent à Cergy dans la direction de Vauréal ; c'est là qu'il fit la connaissance d'un autre pêcheur, Joseph, jardinier d'une grande propriété voisine. Sans doute mis en confiance par cet homme, il lui parla de ses sentiments patriotiques et anti-allemands ; c'est ainsi que Joseph le mit en relation avec sa nièce Odette Veyrias, qui le fit rentrer dans le réseau Alliance en liaison directe avec l'Intelligence Service et dirigé par Marie-Madeleine Fourcade. Il devint "Python" - un nom d'animal comme tous les membres du réseau -les Allemands baptisèrent le réseau Arche de Noé. Ce ralliement au a été enregistré en mai 1942 et, d'après le certificat délivré par Marie-Madeleine Méric ( Fourcade), "les fonctions qu'il exerçait dans le réseau pendant l'Occupation allemande correspondait dans la hiérarchie de la DGER au grade de chargé de mission de 3e classe".

Ces fonctions allaient être plus sérieuses et efficaces que ses premiers coups contre les Allemands, à savoir tirer des coups de fusil de chasse sur les avions allemands qui passaient à basse altitude au-dessus du garage tandis que son fils Claude et son camarade Albert Collavizza, avec une voiture mise sur cale et dont le pot d'échappement était débranché faisaient pétarader à fond le moteur pour masquer le bruit des coups de fusil. Mettant donc à profit ses possibilités d'entrer dans le camp de Cormeilles, il observait et prenait des photos. Ces renseignements, des jeunes gens d'une vingtaine d'années -dont l'un s'appelait Marcel Fontenailles- venaient les recueillir et les transmettre sur place grâce à un poste émetteur caché dans le sous-grenier auquel on accédait par une trappe pratiquée dans le mur du grenier et aussitôt après dissimulée par un meuble. De ce poste partait un fil qui courait le long d'un tuyau d'aération jusqu'à une antenne, l'ensemble n'étant visible ni de la rue ni des propriétés voisines, se souvient Françoise.

Mais le 1er octobre 1943 survient le drame. Vers 10 heures, Françoise -11 ans- revient de chercher le lait et, remontant la rue de Gisors, aperçoit stationnées dans la rue de la Citadelle, deux tractions-avant d'où sortent trois membres de la Gestapo qui montent la rue à pied devant elle. Tout de suite elle devine qu'ils viennent chez elle. Elle assiste à la fouille de la maison, mais les Allemands ne découvrent pas le sous-grenier : il n'y avait plus de poste, enlevé par sécurité par l'un des jeunes gens et emmené dans une valise. En revanche, son grand-père y avait déposé des fusils de chasse et des objets de valeur. Apercevant l'antenne sur le toit les gestapistes tirent sur le fil qui cède puisqu' il ne tenait plus à rien et ne découvrent rien d'autre. Toutefois, pendant ce temps, un chauffeur amène une des voitures devant la maison, on en sort un jeune homme ensanglanté -membre du réseau- pour lui faire certainement confirmer la maison recherchée : cette opération est sans nul doute le prolongement d'une longue série d'arrestations durant le mois de septembre provoquées par des trahisons et qui ont abouti au démantèlement presque complet de nombreux sous-réseaux. Les nazis arrêtent les deux Le Moine, mais Adrien devinant les conséquences du drame qui se joue, craignant de voir ses petits-enfants privés de leur père, peut-être orphelins se désigne comme seul coupable. En dépit de cela, père et fils sont embarqués, "arrêtés pour espionnage sur camp d'aviation et émissions de radio" - direction Maurecourt pour perquisitionner chez Mr Julia (lui aussi membre d'Alliance) et l'arrêter.
Ils arrivent à Paris, rue des Saussaies, pour prise d'identité et interrogatoire. Ils retrouvent là leur chef, "Bergerac", arrêté le 15 septembre 1943, ce qui a permis d'établir un alibi pour Robert, lui permettant de sortir le soir-même après interrogatoire serré et correction tandis qu'Adrien était envoyé à Fresnes. De retour chez lui par le dernier train de Pontoise ; Robert, bouleversé ordonne à son fils Claude (14 ans) de prendre rapidement son vélo pour aller à Cergy prévenir Joseph afin qu'il contacte sa nièce Odette : celle-ci échappe ainsi à la rafle.
Pendant un certain temps Robert se tient tranquille, il est sans doute très surveillé. Un évènement précis le laisse le supposer. Le jour-même de l'arrestation, un véhicule allemand, comme par hasard, tombe en panne devant le garage, il est amené dans la cour - panne sérieuse qui demande plusieurs jours d'immobilisation du véhicule que le chauffeur ne doit pas abandonner et que la famille Le Moine est contrainte de garder et nourrir ; durant ce temps ce chauffeur allemand a eu tout le loisir d'épier les faits et gestes de la famille. Ce que Robert peut seulement faire pour son père c'est lui faire parvenir à Fresnes un colis tous les 15 jours en échange du linge sale : c'est là un moyen de se transmettre de courts messages dans les paquets échangés - par exemple sur un petit papier collé au dos du couvercle d'un pot de miel.

Un mois après l'arrestation, Robert est convoqué à Fresnes pour une confrontation avec son père. Lors d'une dernière visite le 6 février 1944, le directeur de la prison lui apprend que son père est parti pour une destination inconnue. Entre-temps Robert avait repris sa mission quand le réseau, cruellement touché, se reconstitua, mais plus discrètement en allant directement à Paris porter les renseignements recueillis. Quant à Adrien Le Moine, il fut envoyé à Fribourg en Brisgau où siégeait la cour martiale composée de deux généraux, deux colonels, un capitaine - réunie en trois sessions en décembre 1941, mars-avril 1944 (durant laquelle comparut Adrien Le Moine) puis juin 1944. Adrien Le Moine ne fut pas condamné à mort, peut-être au motif de son grand âge (71 ans). A Fribourg les conditions de vie étaient considérées comme acceptables. Une révolte des détenus aurait toutefois eu lieu entraînant une grande répression et l'envoi des détenus dans le camp de concentration de Flossenburg (en Tchécoslovaquie). Là, les conditions de détention étaient atroces. Adrien y arriva affaibli pour travailler dans une carrière de pierre. Il put subsister plusieurs mois grâce à la solidarité de déportés plus jeunes qui l'aidaient à porter les pierres.
Le 5 mars 1945, à la nouvelle de l'arrivée de l'armée russe, les Allemands ouvrirent les portes du camp : c'est alors que l'on perd la trace d'Adrien Le Moine. Est-il mort d'épuisement comme tant d'autres sur la "route de la liberté" ou a-t-il été, comme beaucoup d'autres, abattu par les SS parce qu'il ne marchait pas assez vite ?

Plusieurs mois auparavant, pris dans l'étau des forces alliées, les Allemands fuyaient comme ils le pouvaient ; à Pontoise le 29 août, pour s'échapper au plus vite ils cherchèrent d'autres véhicules. Ils allèrent au garage Le Moine s'emparer des voitures entreposées dans les boxes. L'une d'elles n'ayant plus ses roues, les Allemands obligèrent Robert sous la menace d'un revolver à aller les chercher chez le propriétaire, Mr Goetz . Celui-ci essaya de parlementer en allemand, mais rien n'y fit ; menacé lui aussi, il dut s'exécuter. La voiture n'alla pas bien loin car en mettant de l'essence dans le réservoir Robert avait ajouté du sucre. Voyant les Allemands s'emparer ainsi de tous ces véhicules, certains voisins prirent les Le Moine pour des collaborateurs ce qui nourrit certaines rancoeurs à la Libération. Cependant, Robert Le Moine fut amené à participer, à la caserne Bossut, à la garde des Pontoisiens arrêtés comme collaborateurs.
Pour les Le Moine, sans nouvelles de leur mari, père et grand-père, la joie de la défaite des nazis et de la victoire ne pouvait être complète. L'inquiètude grandissant, Robert écrivit le 15 janvier 1945 à "Coccinelle" (Mme Bernes-Churchill), secrétaire de M.M Fourcade, pour connaître le sort de son père -mais en vain. Après avoir appris la triste nouvelle de la disparition d'Adrien, l'état dépressif de Robert s'accrut- déçu de surcroît de pas avoir été reconnu par les résistants locaux, jamais invité à aucune de leurs manifestations ; peut-être en raison de confusions ou d'interférences avec son père qui, outre son réel et magnifique sacrifice familial, fut reconnu comme étant lui, le membre du réseau Alliance.
Pourtant Robert fut décoré de la Légion d'honneur et Marie-Madeleine Fourcade, dans sa dédicace du Mémorial de l'Alliance, a écrit : "Pour Christiane Le Moine en souvenir des camarades de son courageux père, remarquable agent de la région de Pontoise, avec toute mon affection" ; et, plus tard : "Pour Françoise Le Moine, Marie-Madeleine Fourcade dédie "l'Arche de Noé" en souvenir du combat de son glorieux père".



Annie Delpech in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004
Sources : 
Entretien de l'auteur avec Françoise Not et Christiane Aloisi, leurs petites-filles et filles.