Respect de la légalité en matière de police et de justice

Légende :

Appel à la population montilienne à respecter la légalité en matière de police et de justice diffusé par le quotidien Les Allobroges du 8 septembre 1944.

Genre : Image

Type : Presse libération

Source : © Collection Robert Serre Droits réservés

Détails techniques :

Le journal ne compte qu’une feuille recto-verso de 43 x 69 cm.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Montélimar

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Analyse média

Le quotidien régional (publié à Grenoble) Les Allobroges « provisoirement organe du Front national et du Mouvement de Libération nationale », ne paraît encore que sur un recto-verso 43 x 69 cm. Les deux tiers du verso sont réservés aux informations de la Drôme.

Transcription du texte de l’article :
« Appel à la population montilienne
La Délégation municipale de la ville de Montélimar fait un appel pressant à tous ses concitoyens pour les inviter à reprendre immédiatement leur travail et leurs obligations personnelles dans le calme le plus absolu, et en lui accordant leur confiance.
Quelques événements regrettables qu’elle réprouve se sont produits. Ils étaient inévitables dans la période difficile que la ville de Montélimar vient de traverser.
La Délégation municipale déclare :
1° Tout abus de pouvoir et d’autorité sera sévèrement réprimé ;
2° Toutes les mesures de police qui ont été prises ont été ordonnées par l’Intendant régional de Police ;
3° Justice sera rendue par des tribunaux duement qualifiés ;
[…] »


Contexte historique

La population peut commettre des débordements, qu'en certains endroits les résistants, ou d'autres, sauront empêcher. Ces débordements, les nouveaux responsables de l'ordre savent qu'il faut les éviter, qu'au moins ils ne durent pas au-delà des premières velléités de règlements de compte.

René Ladet montre l'un des aspects de ces mesures expéditives : « Peut-être quelques "résistants" de la dernière heure auraient-ils souhaité plus de répression pour démontrer leur "civisme retrouvé » ! À Valence-sur-Rhône, la gendarmerie et la police sont placées sous les ordres du Comité de Libération en attendant l'arrivée de l'intendant de police Kuhn. « Elles avaient déjà épuré leurs rangs. L'arrestation des collaborateurs, miliciens ou autres agents de l'ennemi, dont la liste avait été établie par l'intendant de police, restait à [leur] charge exclusive ». L'épuration est modérée et ne dure pas pour diverses raisons. D'abord, il n'y a pas vacance du pouvoir, puis il y a la volonté de faire les choses « dans les règles », et les résistants se donnent les moyens de cette volonté. Pierre de Saint-Prix en donne une description. « Dans la Drôme on a évité ces vêpres siciliennes en créant, d'ailleurs d'après les ordres du commissaire de la République de Lyon [Farge], une cour martiale que j'ai fait présider par le général Cochinard, c'était une garantie morale. Cette cour martiale a fonctionné pendant environ 15 jours et elle a condamné très légalement avec tous les privilèges de la défense, l'avocat étant présent, environ sept collaborateurs avérés et responsables, qui ont été fusillés, et ainsi je crois que l'opinion publique, sachant que justice avait été faite, s'est calmée ».

Cette volonté légaliste est réalisée grâce également au prestige du lieutenant-colonel de Lassus Saint-Geniès auprès des commandants de compagnie, ce qui lui permet de faire respecter ses ordres :
« Les commandants de compagnies réuniront tous leurs officiers et tous leurs hommes et leur renouvelleront l'interdiction formelle de toute représaille. S'ils ont des griefs sérieux contre une personne, ils feront parvenir par la voie hiérarchique un rapport à l'intendant de police Kuhn. Les commandants de compagnie seront tenus pour responsables de tout acte d'indiscipline de leurs hommes et des sanctions, y compris la peine de mort, seront prises pour mettre fin à cet état de chose ».

Au 1er septembre, donc, la Justice doit reprendre ses droits, l'épuration sauvage ne doit plus (en théorie) être pratiquée. Il y aura 46 exceptions, dont les auteurs seront ensuite jugés pour la plupart. L'une d'entre elles restera impunie : l’exécution par des inconnus, le 29 septembre, des prisonniers sortis de la maison d’arrêt de Valence. Parmi les prisonniers, il y en eut d'injustement arrêtés pour cause de règlement de compte personnel. Désignés à la vindicte de la foule, il est probable que la prison leur a sauvé la vie, même si le traumatisme est resté gravé dans leur esprit. À Romans, M. Armand témoigne qu'il a la garde des prisonniers dont il ne sait pas trop ce qui leur est reproché « sinon leur appartenance à des mouvements pétainistes », il pense « qu'ils étaient plus en sûreté en prison. On a vu des choses frisant les vengeances personnelles, le règlement de compte et, en définitive, tous ont été relâchés ».

Parmi les exécutions officielles à Valence, on retiendra celle du colonel Teyssier, chef de la Milice Drôme-Ardèche le 22 septembre 1944. Son recours en grâce a été rejeté. Le 27, la cour martiale de la Drôme condamne à mort le milicien Pierre Moutier. Son dossier est envoyé à Yves Farge à Lyon, il ne contient qu'une feuille imprécise et, contrairement à l'attitude généralement adoptée par ses condisciples, le présumé milicien n'avoue rien. Farge commue la sentence en travaux forcés, ce qui va provoquer de violentes réactions à Valence (voir autre notice). René Caillaud, ancien préfet intérimaire de Valence, ancien chef départemental de la Milice Drôme-Ardèche, est condamné à mort par la Cour martiale de Lyon le 4 octobre et exécuté aussitôt. Le même jour, la Cour martiale de Valence condamne à mort P. et A. miliciens de Valence, ainsi que H., P. et B. qui sont exécutés, la peine de C. est commuée en travaux forcés à perpétuité.
D'autres sanctions, bien entendu, sont infligées. Un bilan est livré au congrès des CDL (Comités départementaux de Libération) du 19 janvier 1945. À ce jour, le comité d'épuration a tenu 30 séances et examiné 340 dossiers, 550 personnes ont été incarcérées (597 selon les statistiques établies par Vincent-Beaume), 225 ont été libérées, 20 transférées dans des camps d'internement et les autres traduites devant les tribunaux compétents. Pour ce qui est des fonctionnaires, en février 1945, le tribunal d'honneur des fonctionnaires de l'ordre administratif a, durant la période du 1er décembre 1944 au 15 janvier 1945, examiné 65 dossiers et proposé 19 révocations sans pension, 2 rétrogradations de classe, 3 rétrogradations de grade, 14 déplacements d'office aux frais du condamné, 3 déplacements dans l'intérêt du service, 1 retard dans l'avancement, 6 mises à la retraite d'office, 1 retenue sur traitement, 5 blâmes, 7 acquittements. Quelques sanctions avaient été immédiatement prononcées dès septembre contre 51 fonctionnaires de toutes administrations (7 révocations immédiates et 44 suspensions) : En février 1945, 3 inspecteurs de l'enseignement primaires sur 5 sont suspendus.
Un cas particulier, l’excès le plus connu de la Libération est celui des femmes tondues, qui apparaissent comme des victimes expiatoires. Henry Rousso l'explique en attirant l'attention sur un « fait significatif et relevé par de nombreux témoignages : les scènes de tontes eurent souvent pour conséquence de faire baisser la tension au plan local et de diminuer le caractère sanglant de l'épuration des premières semaines ». Ce que semble confirmer la Drôme, où l'épuration par la mort est modérée, alors que Fabrice Virgili observe dans le département une proportion de femmes tondues qui est cinq fois celle de la moyenne nationale. À Romans, une liste de huit collaborateurs, membres de la Milice ou du PPF (Parti populaire français) et de deux femmes accusées « d'intelligence avec la Milice » est publiée avec la mention suivante : « Tous ces détenus ont eu les cheveux coupés à la date du 6 septembre 1944 ». Accentuée par le fait qu’ici la sanction s'applique en majorité à des hommes, la tonte revêt les contours d'une décision administrative appliquée à des collaborateurs internés. Des tontes sont également réalisées à Valence, Montélimar, Die, Romans. La modération de l'épuration, cependant, ne s'explique pas seulement par l'importance du nombre des femmes tondues.

La relative indulgence du tribunal provoque parfois des réactions de colère. Le mécontentement du public devant l'insuffisance et les lenteurs de l'épuration se trouve renforcé par le retour des prisonniers et déportés, qui, dans leur immense majorité, paraissent vouloir exiger une prompte et complète justice. La population de Saillans se rassemble le 2 mai 1945 devant la gendarmerie pour réclamer la mise à mort d'un volontaire de la LVF (Légion des volontaires français) faussement rapatrié comme prisonnier, ou que, le 12 juin 1945, la population de Romans manifeste en masse pour réclamer le transfert à Valence du milicien Cottavoz, condamné à mort par contumace par la cour de justice de la Drôme et arrêté à Paris. Ces deux faits sont symptomatiques de l'état d'esprit et de nervosité de l'opinion. Comme l’écrit Albert Camus : « Il nous est resté la haine. […] Il nous en est resté cette fureur qui nous brûle l'âme au souvenir de certaines des images et de certains visages. A la haine des bourreaux a répondu la haine des victimes... Eh bien, c'est de cela que nous devons triompher d'abord. Il faut guérir ces cœurs empoisonnés ».


Auteurs : Robert Serre
Sources : AN, 2 AV 6, 473 AP. ADD, 11 J 40, 500 W 29, 711 W 76, 197 J 26. ADD, 9 J 1, note de service du colonel Legrand 04/09/1944, ministère de l'Intérieur, 15 septembre 1945, à préfets et commissaires régionaux de la République, rapports préfet Drôme 16 mai et 15 juin 1945. Le Patriote Romanais, 8 septembre 1944. Les Allobroges 20 janvier 1945, 8 février 1945. Témoignage d'Elsa Triolet dans le journal La Drôme en armes. Jeanne Deval, Les années noires. René Ladet, Ils ont refusé de subir. Combats pour le Vercors et pour la liberté. Yves Farge. Fabrice Virgili, La France " virile ". Des femmes tondues à la Libération, Payot Paris 2000. Henry Rousso, L'épuration en France. Patrick Martin, La Résistance dans le département de la Drôme, 1940-1944, thèse de doctorat, Université Paris IV-Sorbonne, 29 novembre 2001, base de données.