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"Et les trains déraillent !"

Légende :

Tract de la propagande vichyste dirigé contre la Résistance et ses sabotages de voies ferrées [1944]. 

Genre : Image

Type : Tract

Source : © Fondation de la Résistance Droits réservés

Détails techniques :

Dépliant à trois volets.
Format ouvert : 26,5 X 10,6 cm
format fermé : 9 X 10,6 cm.
Imprimerie Robaudy à Cannes.

Date document : Sans date [1944]

Lieu : France

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Analyse média

Ce tract de la propagande vichyste intitulé « Et les trains déraillent ! » datant de 1944 prend pour cible les résistants qui « font sauter les trains de marchandises ». Sous la forme de vignettes de bande dessinée, il raconte de façon humoristique les mésaventures d’un Français moyen : « Monsieur Ballandard ».

Les mésaventures de Monsieur Ballandard

Dans son salon confortablement installé, il écoute ravi la BBC qui vante l’efficacité des sabotages de la Résistance : « Les terroristes incendient les meules et font sauter les trains de marchandises » (vignette « Ça va bien »). Cependant, comme beaucoup de citadins, il ressent cruellement les affres de la pénurie alimentaire. Attablé devant son assiette vide, au milieu de la salle à manger glaciale, le visage blafard et emmitouflé dans son manteau d’hiver, Monsieur Ballandard constate avec amertume que : « le ravitaillement n’arrive plus » (vignette « Ça va moins bien »). Encombré de valises, il décide alors de de se rendre à la campagne pour s’approvisionner. Il emprunte un train bondé de Français cherchant comme lui à compléter, de façon plus ou moins légale auprès des paysans ou de trafiquants du « marché noir », les maigres rations reçues officiellement par le Ravitaillement général mis en place dès l’automne 1940 par le gouvernement de Vichy (vignette « Ça va mal »). Lors de ce voyage en train, il finit lui-même par être la victime collatérale d’un sabotage ferroviaire de la Résistance. Sorti de la carcasse du train éventré, Monsieur Ballandard, démembré par l’explosion, est brancardé par deux secouristes de la Défense passive (vignette « Ça ne va plus »).


Frantz Malassis

Contexte historique

Fin 1943-début 1944, la faim est générale dans les centres urbains en France. L’opinion publique critique de plus en plus les services du Ravitaillement qui ne procurent pas les rations minimum. Certains journaux locaux se font de plus en plus l’écho de leurs griefs et essaient d’obtenir des améliorations. La presse clandestine − surtout celle d’obédience communiste à destination des femmes (1) − utilise les injustices criantes du ravitaillement et les scandales qui l’affectent −surtout s’ils touchent les hommes du régime en place− pour jeter le discrédit sur le gouvernement de Vichy et susciter sinon l’engagement du moins la sympathie pour la Résistance. Vichy s’était fixé comme objectif d’assurer un ravitaillement du pays de la manière la plus équitable. Or, rapidement les Français se rendent compte que cette égalité prônée par Vichy est fictive. Aux inégalités géographiques − l’approvisionnement était meilleure en campagne − se superposent celles qui résultent de la position sociale. Selon l’importance de leurs revenus, leurs professions et de leurs relations, certains Français peuvent compléter de façon plus ou moins substantielle l’insuffisance des rations en ayant recours au marché libre (vente de légumes chez les producteurs et envoi de colis familiaux) et surtout au « marché noir ».

Derrière l’humour un régime aux abois

Ce tract diffusé en 1944 s’adresse aux Français qui sont de plus en plus nombreux alors à sympathiser avec la cause de la Résistance qui depuis plusieurs mois intensifie la lutte armée et notamment le sabotage. Il nous montre qu’à l’époque, la capacité d’action de la Résistance n’est plus niée par ses adversaires. Les services de propagande de Vichy la considèrent désormais comme un contre-pouvoir suffisamment influent pour essayer de détourner l’opinion d’elle notamment en la rendant directement responsable des problèmes de ravitaillement. C’est la raison pour laquelle ce tract ne met en avant que les sabotages agricoles (2) (incendies de meules de blé) et les sabotages touchant les trains de marchandises. Ce tract instrumentalise également les déraillements de trains de voyageurs faisant suite à des sabotages mal ciblés de la Résistance qui surviennent à partir de l’automne 1943 comme celui du 19 janvier 1944 à Ossun près de Tarbes lequel provoque la mort de 25 civils français tandis qu’une cinquantaine d’autres sont blessées.


Frantz Malassis

(1) Comme La Femme d’Eure-et-Loir, Femmes de Picardie, Femmes à l'action. Organe du Comité des femmes hyéroises…
(2) Deux affiches de la propagande de Vichy du deuxième semestre 1943 exploitent ce même thème « Les conseilleurs ne sont pas les payeurs… » (Archives nationales cote 72AJ/1125) et « Moins de blé = moins de pain. Qu’attendez-vous pour réagir ?» (Archives nationales cote 72AJ/1126).