Témoignage d'Hector Brunini, novembre 1944

Légende :

Déclaration d'Hector Brunini, membre de Franc-Tireur et du réseau Samson, sur l'organisation de la distribution du journal Franc-Tireur dans la région marseillaise à partir des établissements Pivolo, 30 novembre 1944

Genre : Image

Type : Témoignage

Source : © Archives privées Famille Brunini Droits réservés

Détails techniques :

Document dactylographié sur papier pelure. Voir également l'album lié.

Date document : 30 novembre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Dans cette déclaration, Hector Brunini, membre du mouvement Franc-Tireur, entend montrer la participation du commissaire spécial de la gare Saint-Charles à la Résistance. Pour cela, il décrit à travers un incident qui s’est produit le 4 juin 1943 comment la diffusion de la propagande du mouvement s'effectuait. Le journal et les tracts de Franc-Tireur, imprimés dans la région lyonnaise sont expédiés par le train jusqu'à la gare Saint-Charles où un membre du réseau, en l'occurrence le contremaître des établissements Pivolo, monsieur Campana, les réceptionne. Monsieur Campana organise ensuite la répartition des numéros aux différents diffuseurs à partir de l'entreprise Pivolo, située au 58 de la rue Consolat dans le premier arrondissement de Marseille [voir l’album photos lié].

Le document montre les aléas de ce mode d'acheminement. Si le réseau bénéficiait de l'aide du commissaire spécial de la gare, monsieur Albanese, et de deux inspecteurs attachés au commissariat spécial de la gare, il ne pouvait pas toujours compter sur la complicité des employés de l'octroi qui recherchaient les trafiquants du marché noir. Le 4 juin 1943, deux octroyeurs interceptent le livreur chargé de réceptionner les valises pleines de tracts du mouvement Franc-Tireur, qualifiés par monsieur Brunini de « tracts gaullistes » sans plus de précision [voir le contexte historique]. Le document décrit comment le commissaire Albanese organise un simulacre d'enquête pour couper court aux investigations.

Le document se conclut par la liste des témoins pouvant attester du comportement patriotique du commissaire Albanese.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Le document est produit après la libération de Marseille, alors que des commissions d'épuration fonctionnent dans les administrations, dont la police. Il est un témoignage en faveur du commissaire spécial de la gare Saint-Charles.

À travers ce document, on voit comment le journal et les tracts du mouvement Franc-Tireur, imprimés dans la région lyonnaise parviennent dans le Sud de la France. Le mouvement s'implante à Marseille à partir du premier trimestre 1942. Il se consacre essentiellement à la propagande : diffusion de tracts et du journal du mouvement. Jean-Pierre Lévy, qui dirige le mouvement, est mis en relation avec John Ulysse Mentha, qui devient chef régional. John Ulysse Mentha rencontre au cours du premier trimestre 1942 Pierre Brunini, Constantin Mélidès et leur demande d'organiser la diffusion de la presse du mouvement [voir la notice relative à Pierre Brunini]. Hector Brunini date son engagement dans la Résistance d'avril 1942. Les frères Pierre et Hector Brunini utilisent leur entreprise comme couverture. L'entreprise n'est pas loin de la gare Saint-Charles et à proximité de la place des Danaïdes, où le bar du Chapitre peut servir également de dépôt. Les glaces et chocolats Pivolo sont vendus dans toute la région et sur la côte. Pierre et Hector Brunini utilisent leurs camionnettes de livraison pour distribuer Franc-tireur à leurs contacts [voir l’album lié]. Une partie du personnel partageait l'engagement des frères Brunini, en particulier le contremaître, monsieur Campana. L'incident du 4 juin 1943 montre la vulnérabilité du mode d'acheminement de la presse de Franc-Tireur. À cette date, le mouvement est déjà partiellement démantelé. Grâce à la découverte fortuite de l'adresse de l'opérateur radio Auguste Floiras, le 10 mars 1943, Dunker-Delage du SIPO-SD de Marseille démantèle peu à peu le mouvement Franc-Tireur sur Marseille. Les arrestations se multiplient en avril et mai. Les frères Brunini sont arrêtés le 28 août 1943. Le rapport « Flora », qui recense les arrestations opérées à partir de mars 1943, signale un des frères « Pivolo » membre des M.U.R., sans préciser lequel. Au terme de leur interrogatoire au 425 de la rue Paradis, Hector Brunini est relâché, son frère Pierre est interné à Compiègne jusqu'au 19 décembre 1943 puis déporté à Buchenwald. Il est rapatrié le 16 juillet 1945. Hector Brunini poursuit son action dans le réseau Samson, rattaché au BCRA, et les M.U.R. (Mouvements Unis de la Résistance) à partir du 1er février 1944 jusqu'au 30 septembre 1944 [voir l’album lié]. Les M.U.R résultent de la fusion, décidée en décembre 1942, de trois mouvements de Résistance : Combat, Libération-Sud et Franc-Tireur.

Hector Brunini, lorsqu'il témoigne en novembre 1944, qualifie les tracts de Franc-Tireur de « gaullistes ». Si Franc-Tireur a, dès l'été 1942, accepté de reconnaître le général de Gaulle comme chef de la Résistance, le mouvement tenait à son indépendance idéologique. Hector Brunini considère-t-il que les relations complexes des mouvements de Résistance avec le chef de la France Libre ne présentent pas d'intérêt face à l'intérêt général ? S'agit-il de marquer une distance vis-à-vis de la résistance communiste ? Ou l'engagement dans le mouvement Franc-Tireur fut-il avant tout motivé par son soutien au général de Gaulle ? La perception des acteurs reste parfois différente de celle de l'historien.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Madeleine Baudouin, Témoins de la Résistance en R2, intérêt du témoignage en histoire contemporaine. Thèse de doctorat d’État, Université de Provence, 1977, 3 vol., 820 pages.

Jean-Pierre Lévy, avec la collaboration de Dominique Veillon, Mémoires d'un franc-Tireur. Itinéraire d'un résistant (1940-1944). Bruxelles Complexe/ IHTP, 1998.

Robert Mencherini, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3. Paris, Syllepse, 2011.

Dominique Veillon, Le Franc-Tireur. Un journal clandestin, un mouvement de résistance. 1940-1944. Paris, Flammarion, 1977.