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Témoignage de Pierre Brunini sur les activités de Franc-Tireur à Marseille et dans le Grand Sud, 1952

Légende :

Mémorandum écrit par Pierre Brunini à la demande de Jean-Pierre Lévy afin d'étayer son dossier de candidature à la Légion d'Honneur, janvier 1952

Genre : Image

Type : Lettre manuscrite

Source : © Archives privées Famille Brunini Droits réservés

Détails techniques :

Lettre manuscrite de deux pages (voir recto-verso). Voir également l'album photos lié.

Date document : Janvier 1952

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Pierre Brunini rédige en janvier 1952 un résumé de ses activités de résistant à la demande de Jean-Pierre Lévy qui doit défendre son dossier devant la commission d'attribution de la Légion d'Honneur  qu'il reçoit en 1954 [voir l’album photo joint].

Dans le premier paragraphe, Pierre Brunini explique comment il a rejoint Franc-Tireur. Il dirige avec son frère une entreprise de fabrication de glaces et chocolats, ce qui lui assure de nombreux contacts dans toute la région jusqu'à Nice et même en Corse. Les frères Salini, sous les ordres du Lieutenant Rossi, alias Le Noir, cité ultérieurement par Pierre Brunini, sont responsables de Franc-Tireur dans l'arrondissement d'Ajaccio. John Ulysse Mentha, assureur à Toulon, est le chef régional de Franc-Tireur. Il charge Pierre Brunini et Constantin Mélidès d'organiser la diffusion des tracts et du journal de Franc-Tireur [voir l’album photo joint]. L'entreprise Pivolo sert de dépôt et de plaque tournante pour la distribution de Franc-Tireur dans la région.  Jean-Pierre Lévy estime que Pierre Brunini dirigeait une quinzaine de personnes [voir l’album photo joint].

Dans les paragraphes suivants, Pierre Brunini évoque les activités paramilitaires du mouvement [voir le contexte historique]. À partir de 1942, Franc-Tireur décide de se doter de groupes paramilitaires, les Groupes Francs, organisés en sizaines. Ultérieurement, les Groupes Francs sont censés se fondre dans l'Armée secrète. Le colonel Beaujar (sic.), en fait Louis Beaujard, alias colonel Lambert, est un chef de bataillon à la retraite qui encadre des recrues de l'Armée secrète. Il est arrêté le 16 mars 1943 lors de la grande vague de répression qui frappe la région. Le commissaire Hac (sic.) est Michel Hacq, commissaire spécial de la Surveillance du territoire,  affecté en 1941 à la tête de la Sûreté de Toulon. Il intègre le réseau de renseignements lié à l'Office of Strategic Services britannique (OSS) et le SR d'Alger (service de renseignement) organisé par Frédéric Brown, dit « Tommy ». Michel Hacq passe dans la clandestinité après le démantèlement du réseau Brown. Il est arrêté à Paris en novembre 1943 et déporté à Mauthausen, dont il revient.

L'appartement de Pierre Brunini sert aussi aux rencontres entre les responsables régionaux ou nationaux de Franc-Tireur. Pierre Brunini ne connaît parfois les protagonistes que sous leur nom de code : Maurice pour l'agent de liaison qui vient régulièrement (une fois par mois selon Dominique Veillon) de Lyon, centre directeur de Franc-Tireur. Antoine Avinin est l’un des  membres fondateurs de Franc-Tireur. Au cours du deuxième trimestre de 1942, il  développe le mouvement dans la région toulousaine et le Sud-Ouest. Il effectue aussi des visites à Marseille afin de faire le point sur les actions à mener dans la région et en Corse.

Pierre Brunini témoigne de la très grande vulnérabilité des résistants face à la police allemande. À partir de mars 1943, le Sicherheitspolizei-Sicherheitdienst  (SIPO-SD : police et service de sécurité allemands) fait des ravages dans les rangs de la Résistance méridionale [voir le contexte historique]. Pierre Brunini en est l’une des victimes. Il est parmi les derniers arrêtés le 28 août 1943. Dans le rapport Flora, Dunker-Delage cite parmi les membres reconnus des M.U.R « Pivolo, un des frères du commerce de glace, dépôt de Franc-Tireur ». Transféré au siège de la Gestapo, en fait le SIPO-SD, au 425 rue Paradis, Pierre Brunini est torturé. Son silence permet à son frère et aux autres membres du groupe chargé de la diffusion du journal et des tracts de rester en liberté [voir la notice du témoignage d'Hector Brunini en médias liés].

La dernière partie du document recense les différents lieux de détention et de déportation de Pierre Brunini, qui retrouve la France le 16 juillet 1945. Il rédige ultérieurement un témoignage poignant de son arrestation et de sa déportation.

Ce document montre l'imbrication des mouvements et réseaux de Résistance, des activités de propagande et paramilitaires qui auraient dû être séparés d'après les directives de Jean Moulin - mais qui ne pouvaient pas l'être dans la réalité à cause du nombre trop réduit de militants. Il permet de saisir l'extrême vulnérabilité de la Résistance face à la répression féroce de la Gestapo et les drames humains que cela entraînait pour ceux qui parlaient et ceux qui ne parlaient pas sous la torture.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Jean-Pierre Lévy fait de fréquents déplacements dans la région méditerranéenne afin d'implanter le mouvement Franc-Tireur. Il est mis en relation en octobre 1941 avec John Ulysse Mentha, assureur à Toulon. Mentha devient le chef de la région R2 et se rend au premier trimestre de 1942 à Marseille, où il rencontre Pierre Brunini et Constantin Mélidès qu'il charge de la diffusion des tracts et journaux de Franc-Tireur.

Pierre Brunini est représentatif des membres de Franc-Tireur qui recrutaient principalement dans les milieux commerçants et chez les fonctionnaires municipaux [voir la notice sur Jacques Colombani en médias liés]. La diffusion de la presse et des tracts du mouvement à partir des établissements Pivolo est l'activité principale de Franc-Tireur dans la région. Constantin Mélidès estime que 3 500 exemplaires de Franc-Tireur étaient diffusés à partir de Marseille, chiffre non vérifiable.

Moins organisé que Combat et malgré sa volonté, Franc-Tireur peine à mettre sur pied des groupes paramilitaires. Quelques actions sont cependant effectuées. John Ulysse Mentha crée  un Groupe-Franc à Toulon, qui plastique le siège toulonnais du PPF dans la nuit du 2 au 3 novembre 1942. En septembre 1942, les dirigeants de Franc-Tireur, Combat et Libération décident de fusionner Groupes-Francs et formations paramilitaires dans l'Armée secrète. Fusion très théorique étant donné, d'une part, les réticences des dirigeants de Franc-Tireur et de Libération-Sud, qui craignent l'hégémonie de Combat et, d'autre part, la faiblesse des effectifs que peut aligner Franc-Tireur.
Par ailleurs, Franc-Tireur est quasiment démantelé par la répression qui s'abat sur la résistance régionale à partir de mars 1943, ce que Pierre Brunini résume dans le troisième paragraphe par l'affaire Amphoux. Le 10 mars 1943, le SIPO-SD découvre l'adresse du radio Auguste Floiras, puis celle du tailleur André Castelli, dans la boutique duquel une souricière est tendue. Les arrestations effectuées conduisent à la chute du responsable départemental de Franc-Tireur, Léonce Amphoux. Une vingtaine de membres de Franc-Tireur sont peu à peu arrêtés, dont Jean-François Leca, responsable de Franc-Tireur pour Marseille et son adjoint, Jean Secco. Les arrestations gagnent toute la région et touchent mouvements et réseaux. 122 résistants sont arrêtés entre le 14 mars et le 4 juillet 1943. Parmi eux, cinq deviennent des contre-agents du SIPO-SD, ce qui alimente la chaîne des arrestations. Dans son témoignage, Constantin Mélidès cite comme agent double Brunet, pseudonyme de Léon Brown (à ne pas confondre avec Frédéric Brown), le chef régional des Groupes-Francs. La répression se poursuit avec l’arrestation de Pierre Brunini, le 28 août 1943.
Lorsque Raymond Deleule, responsable des Groupes-Francs pour la région R2, se rend à Marseille après les arrestations d'avril 1943, il ne peut que constater la faiblesse du mouvement. Madeleine Baudouin qui consacre sa thèse aux Groupes-Francs dans les Bouches-du-Rhône fait le même constat.


AuteurSylvie Orsoni

Sources :

Madeleine Baudouin, Témoins de la Résistance en R2, intérêt du témoignage en histoire contemporaine. Thèse de doctorat d’Etat, Université de Provence, 1977, 3 vol., 820 pages.

Jean-Pierre Lévy, avec la collaboration de Dominique Veillon, Mémoires d'un franc-Tireur. Itinéraire d'un résistant (1940-1944). Bruxelles Complexe/ IHTP, 1998.

Robert Mencherini, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3. Paris, Syllepse, 2011.

Dominique Veillon, Le Franc-Tireur. Un journal clandestin, un mouvement de Résistance. 1940-1944. Paris, Flammarion, 1977.