Premier numéro du journal clandestin Liberté à être publié à Marseille et exposant la ligne directrice du groupe, 10 janvier 1941

Légende :

Numéro 3 du journal clandestin fondé par Pierre-Henri Teitgen et François de Menthon, publié à Marseille le 10 janvier 1941

Type : Presse

Source : © Bibliothèque nationale de France. Gallica.bnf.fr Droits réservés

Date document : 10 janvier 1941

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Le numéro trois du journal Liberté est la première publication du petit groupe de résistants réunis par les démocrates-chrétiens Pierre-Henri Teitgen et François de Menthon à avoir la forme d'un journal. Les deux premiers numéros étaient des tracts ronéotés. Ce numéro est imprimé à Marseille dans les établissements Ferrand dirigés par Guillaume des Chieusses de Combaud-Roquebrune dit Guy de Combaud, beau-frère de François de Menthon. Son tirage d'après les employés qui participèrent à son impression se situe dans une fourchette de 3000 à 8000 exemplaires. 

Comme dans tous les numéros, souvent composés de quatre pages, figurent en exergue deux citations : celle du maréchal Foch incitant à ne pas accepter la défaite et celle, plus célèbre et plus ambiguë dans ce contexte, du maréchal Pétain, « Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal. » 
Sous le titre « Notre combat », qui a valeur d'éditorial, Liberté définit le positionnement du mouvement en reprenant le contenu paru dans les deux premiers numéros à la diffusion plus confidentielle : 
-refus de considérer la défaite française comme définitive
-contribuer à la défaite de l'Allemagne, rejeter toute collaboration militaire et en conséquence soutenir la victoire des Alliés, à cette date essentiellement l'Angleterre 
-rejet du totalitarisme et défense des libertés fondamentales 
-soutien au maréchal Pétain qui selon Liberté « s'efforce avec une admirable lucidité, et une énergie intacte, de maintenir l'indépendance française. ». 

Il n'y a pour les membres de Liberté aucune contradiction entre le soutien au maréchal et l'apologie des libertés que les actes constitutionnels promulgués par le gouvernement de Vichy et signés par le maréchal Pétain ont abolies. Les décisions qui vont à l'encontre de l'indépendance nationale et des libertés françaises sont le fait de l'Allemagne ou des traîtres comme Laval. On retrouve cette contradiction quand en page deux, la notice consacrée à la mort du philosophe Henri Bergson critique implicitement le statut des Juifs qui « ne permettrait plus à un Bergson d'entrer à l'Université » mais le gouvernement de Vichy est exonéré de toute responsabilité : « Statut des Juifs imposé au gouvernement de Vichy par l'Allemagne ». 

Les consignes d'action montrent que l'activité de Liberté est avant tout de lutter contre la propagande allemande et française. Elles donnent une image flatteuse de l'état des forces du groupe qui suggère une implantation étendue et plutôt urbaine. 

Conformément à cette volonté d'information, le reste du journal est consacré à la situation nationale et internationale. On y retrouve les thèmes annoncés en éditorial : condamnation des collaborateurs et mauvais ministres qui ternissent l'oeuvre du maréchal, informations sur la situation militaire en insistant sur les défaites italiennes, refus de la collaboration avec l'Allemagne. Le numéro se termine par la citation de messages du pape Pie XII et du président Roosevelt qui condamnent tous deux les puissances totalitaires.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Le mouvement Liberté est créé par les démocrates-chrétiens Pierre-Henri Teitgen et François de Menthon à Lyon. Les deux premiers numéros sont des feuilles ronéotées par le cousin de François de Menthon, Gérard Mollerat du Jeu. L'arrestation de ce dernier amène François de Menthon à solliciter son beau-frère, Guillaume des Chieusses de Combaud-Roquebrune dit Guy de Combaud, directeur d'une imprimerie à Marseille, les établissements Ferrand. Guy de Combaud a également recours au cercle familial pour diffuser le journal en enrôlant son jeune cousin Etienne Bacot. Le recrutement ne se limite pas à ce cercle restreint politiquement et socialement puisque la diffusion est aussi le fait du franc-maçon Robert Nathan qui avait activement soutenu les républicains espagnols et d'un aventurier, Georges Deshayes, qui sera à l'origine de l'arrestation et du démantèlement du groupe en octobre-novembre 1941 (voir notices liées). 

Liberté est représentatif de ce que Denis Peschanski appelle les « vichysto-résistants » ; c'est-à-dire des personnes qui refusent de considérer la défaite française comme définitive, condamnent la collaboration et les collaborationnistes mais ne rompent pas d'emblée avec le maréchal Pétain et se montrent très ambigus à l'égard de la révolution nationale. Le numéro trois de Liberté illustre abondamment cette ambivalence avec l'éloge répété du maréchal et de sa « grande oeuvre de rénovation nationale ». En conséquence, Liberté se montre hostile à l'entreprise gaulliste et profondément anti-communiste. Cependant, cette position est à terme intenable. Les actes constitutionnels des 11 et 12 juillet 1940, les lois et décrets frappant les francs-maçons, le statut des juifs promulgué le 3 octobre 194O, l'acte constitutionnel n° 6 sur la déchéance des députés et sénateurs sont difficilement compatibles avec la profession de foi de l'éditorial : « Nous nous battons pour la liberté de penser et d'écrire, pour la liberté religieuse, pour la liberté scolaire, pour la liberté de la famille, pour la liberté du syndicat et de la profession, pour la liberté politique dans la commune et dans la cité ».

Au début de 1941, le groupe peut encore maintenir sa cohésion mais l'évolution du régime de Vichy et de la situation internationale amène une clarification. La rupture intervient avec le numéro 5 jugé trop antigouvernemental pour Guy de Combaud et son cousin Etienne Bacot qui refusent de le diffuser et détruisent la presque totalité des exemplaires. Le groupe est démantelé par la police de Vichy en octobre 1941. François de Menthon laissé libre, décide de fusionner Liberté avec le MLN d'Henri Frenay. Les publications des deux mouvements disparaissent et donnent naissance à Combat.


Sylvie Orsoni 

Sources 
Mencherini Robert, Résistance et Occupation (1940-1944))). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3. Paris, Syllepse, 2011. 
Peschanski Denis et Douzou Laurent, La résistance française face à l'hypothèque de Vichy, http://hal.archives-ouvertes.fr/aut/Denis+Peschanski/ aut/ Laurent+Douzou. 
Rémy Dominique, Les lois de Vichy, Actes dits « lois » de l'autorité de fait se prétendant « gouvernement de l'Etat français », éditions Romillat, Paris 1992