Naissance du maquis Pierre

Légende :

Film réalisé au cours d’une rencontre commémorative à Saint-Pons (hameau de la commune de Condorcet), le 20 septembre 2008. Il s'agit ici du témoignage du colonel Challan-Belval. 

Genre : Film

Type : Témoignage vidéo

Source : © Archives privées René Delay-Goyet Droits réservés

Détails techniques :

Extrait (support dvd-rom), format 16.9. Durée totale : 1h14 environ, durée extrait : 8mn environ.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Analyse média

Les huit minutes d’enregistrement proviennent du dvd-rom : Saint-Pons 20 septembre 2008. Commémoration du 19 mars 1944. Avec la participation active du colonel Pierre Challan-Belval et ses souvenirs sur l’époque et ses maquis, réalisé par René Delay-Goyet.

La rencontre annuelle des Darus (nom des membres des groupes du maquis Pierre) et de leurs amis, à Saint-Pons (Condorcet), compagnons du maquis Pierre, commandé par Pierre Challan Belval, comprend plusieurs étapes traditionnelles. L’année 2008 marque les 65 ans de la naissance de ce maquis, ce qui confère à cette réunion sa singularité, marquée en particulier par la réalisation de cette vidéo signée de René Delay-Goyet.

Après la messe célébrée par le père Pierre Lambert dans la chapelle de Saint-Pons, des gerbes de fleurs sont déposées devant la plaque apposée sur la façade de l’école en l’honneur de 7 martyrs du Nyonsais, fusillés à Saint-Pons (Condorcet) en 1944 ; la Marseillaise y est chantée par l’assistance.

Tandis que défilent des images assez caractéristiques des lieux et des participants au rassemblement du 20 septembre 2008, la première séquence retenue fait entendre le Chant du maquis de la Lance : Jeune Sève.  
En voici le texte :

Nous sommes la Jeune Sève
De l'Antique Liberté
Pour saboter la Relève,
Nous avons fui la cité.

Pour libérer la France,
Nous luttons et souffrons
Sur les sommets de la LANCE
Où se forment nos bataillons.

Soutenus par nos frères,
Travailleurs et Paysans
Nous préparons la LUMIÈRE
Et le grand soulèvement.

Avec le coq des campagnes
Nous chanterons le Réveil
Derrière notre Montagne
VA SE LEVER LE SOLEIL

Les époques sont prochaines
Qui nous verrons victorieux
Nous descendrons dans la Plaine
COMME UN TORRENT FURIEUX !

Quand sonnera la victoire
Nous marcherons en avant
NOUS PLANTERONS DANS L'HISTOIRE
LE DRAPEAU DES PARTISANS.

Sur l'air de Hardi Camarades, chant populaire de révolte.
Paroles de Max, jeune maquisard de la Lance disparu dans la tourmente.

La deuxième séquence produit l’essentiel de l’intervention de l’ancien chef de maquis, Pierre Challan Belval, au cours du repas à la salle des fêtes de Condorcet qui clôt les manifestations du matin. La transcription ci-dessous en accompagne le contenu sonore :

« Je veux d’abord vous remercier d’être aussi nombreux. Chaque année, à Saint-Pons, c’est une merveille. Nous voyons quelques visages nouveaux ; mais, beaucoup d’anciens qui sont restés fidèles. Et, pour nous, pour moi, pour mes enfants qui sont là, c’est une grande joie de voir l’amitié qui se poursuit, et dans le public. Et puis on a Charlot [Charles Charpenel de Grignan, ancien combattant du maquis Pierre, décédé en 2009], qui est là pour nous égayer. Et ce que je voulais vous dire : pour moi, c’est un jour assez important. Il y a 65 ans, avec Marcel [Gras] je gravissais les sentiers de la Bessonne. Et, quelques jours après, le maquis Pierre avait pris naissance. Il avait été précédé… Quelques jours avant, j’avais été en contact avec un garçon qui s’appelait Saurel, qui était à Saint-Ferréol.

Là, je vous raconterai une petite aventure. Nous avions décidé de créer un maquis au Barnier
[Saint-Ferréol-Trente-Pas]. Donc, deux maquis, qui se sont formés. À l’origine de ces rencontres avec Marcel et avec Saurel, c’est le docteur Bourdongle.

C’est le docteur Bourdongle qui est à l’origine du maquis Pierre ; parce que c’est lui que j’ai rencontré dans les premiers jours, quand le général Descour m’a demandé de venir dans la région de Nyons-Valréas. Il m’a fait connaître un certain nombre de personnalités : la personnalité la plus marquante, c’était le docteur Bourdongle qui était le chef de la Résistance dans la région. Et j’arrivais, moi, je me répète, d’un pays plutôt… J’étais plutôt – je l’ai souvent dit d’ailleurs – un nordique, un homme du pays de l’Est et me trouvais dans le midi. Pour moi, c’était quelque chose de tout à fait nouveau. Et, il est bien certain… bien que le commandant Descour m’ait amené et m’ait fait connaître le docteur Bourdongle, monsieur Girard, et d’autres personnalités, j’étais quand même un peu hésitant – me demandant ce que je venais faire dans ce pays où j’étais entièrement inconnu. Et où je me trouvais à la tête de responsabilités importantes. J’ai donc hésité.

Et puis, à la réflexion, je me suis rappelé qu’il y avait des personnalités influentes de la région – le docteur Bourdongle, monsieur Girard ; il y avait Téna…

Je me suis dit : « voilà des gens sérieux ! Qui m’accordent leur confiance (ils me font confiance) parce que je suis officier. J’ai pas le droit de ne pas accepter. Donc je suis venu.

Mais, je vous l’ai dit, j’étais tout à fait ignorant de ce pays. Et celui qui m’a piloté, c’est le docteur Bourdongle. Très vite une amitié s’est forgée. J’ai été accueilli dans son foyer. Il y avait son fils Jacky, qui avait l’âge de mon fils. C’était un lien de plus. Le docteur m’a invité à passer une soirée à … ; il me disait toujours : « prenez le téléphone ; téléphonez pour avoir des nouvelles de votre fils ! » Donc des liens beaucoup plus importants que des liens de la Résistance se sont établis entre le docteur et moi. Le docteur Bourdongle avait une grande qualité pour moi, c’est qu’il connaissait le pays puisqu’il le sillonnait en permanence, comme docteur. Et c’est lui qui m’a un jour cherché la solution ( ?...). Il y avait le maquis de la Lance qui devenait historique. Il y avait des arrivées tous les jours. On arrivait à des effectifs de 60 - 70. Ça devenait incommandable. Il fallait absolument partager ces effectifs. Le Dr Bourdongle m’avait dit : « Allez donc voir Saurel ».

Donc, là se place un incident assez original. J’arrive chez Saurel à Saint-Ferréol ; vers 5 heures du soir, la bouche enfarinée.

J’arrive en leur disant : « Je viens vous voir. Vous pouvez peut-être m’orienter sur un maquis. Et là, il y avait Saurel et Marcel qui me disent :

« De quoi ? de quoi ? Qu’est-ce que vous venez faire ici ? On n’a pas confiance ! On va se renseigner… Pour l’instant, allez dans la grange ! »

Je vais entrer dans une grange, avec un bon tas de paille. Je commence à passer une soirée en me disant : « ça va bien s’arranger. » Mais enfin, c’était un peu bizarre comme accueil.

Et puis, là dedans, à minuit, je vois arriver Marcel qui me dit : « Oh ! On est désolés de vous avoir traité comme ça. Venez ! On vous offre une omelette aux truffes. Réveillé, j’ai mangé une omelette aux truffes. » Et, dans la foulée, on a décidé d’installer un maquis au Barnier. Et puis, Marcel avait dit : « Demain, je vous emmène au-dessus de Saint-Pons. Il y a la Bessonne qui pourrait convenir. Et voilà comment est né le maquis de la Bessonne.
Et à partir de là, Alain Pichon, dont je parlais tout de suite, on a… se sont réunis 4 ou 5 garçons. Et puis, sont venus se joindre, petit à petit, tout un petit effectif. Le maquis de la Bessonne a pris naissance.

Il s’est produit un incident dont je parlais tout de suite ... Je vais vous donner la vérité parce que je ne l’ai jamais donnée !!! C’est que, entre temps, ayant installé un petit groupe à la Bessonne, j’étais reparti au maquis de la Lance. Et là, faisant confiance au gardien pour passer une soirée paisible dans un coin. Quand…, je me suis trouvé réveillé à trois heures du matin par des GMR qui avaient encerclé le camp…

Alors, j’ai bien essayé de dire que j’étais un touriste. Mais ça n’a pas pris. Cette opération était menée par le chef de la police de Marseille.

Ils ont dit : « on vous emmène à Marseille. » Je suis parti à Marseille.

Là j’ai été emprisonné dans la prison de l’Évêché. La prison de l’Évêché, c’était là où on mettait les gens qui étaient en attente. J’ai passé deux jours pittoresques en compagnie de quelques repris de justice… Ils m’ont beaucoup impressionné. Ils discutaient de leur défense avec beaucoup de précision. Je me disais : « ils sont vraiment confiants… ».

Et heureusement, j’avais été arrêté par un officier qui m’avait connu à Saumur, quand j’étais sous-lieutenant et qui se demandait un peu ce que je faisais là où j’étais. Alors, il m’avait questionné à l’époque. Et je lui avais expliqué qu’il y avait des garçons qui montaient à la montagne et qu’il fallait que j’y sois. Du coup, mon évasion, ça a été plutôt un simulacre, pour être franc. Parce que mon camarade m’a dit : « on va venir vous chercher. Celui qui viendra vous chercher partira à gauche et vous vous pourrez partir à droite. » En partant à droite, il m’avait dit : « il y a un bon restaurant. On se retrouve. On déjeune ensemble. »

Et après ça, comme je voulais quand même prendre le train, il m’a dit : « je vous retiens une place. » Et, quand je suis arrivé, j’avais une pancarte : « Retenu Préfet de Police. »

Maintenant, je peux bien me confesser. Mais, à l’époque, si j’avais raconté ça, ça m’aurait enlevé une partie de mon prestige. J’avais quand même besoin de m’affirmer un peu dans le coin. Donc j’allais pas hésiter à rester silencieux. J’ai simplement dit que j’avais profité des circonstances : je m’étais évadé ! Voilà ! Maintenant, vous savez tout. »

L’allocution de Pierre Challan Belval est une vue fragmentaire de l’histoire du maquis Pierre, contenue par ailleurs dans plusieurs fiches du dévédérom la Résistance dans la Drôme – le Vercors citées en référence et dans les mémoires du colonel. Par ailleurs, son récit est adapté au public du 20 septembre et à la commémoration du massacre du 19 mars 1944. Cela explique notamment la mise en valeur du rôle du docteur Bourdongle dans la constitution du maquis Pierre au printemps de cette année-là, ainsi que l’impasse sur les pérégrinations des groupes durant les années 1943-1944.

 


Auteurs : Claude Seyve et Michel Seyve

Contexte historique

Les dernières minutes de l’enregistrement sont consacrées à un texte relatant les événements sanglants du 19 mars 1944, thème essentiel de la commémoration. La répression était directement liée à la présence, quelques jours auparavant, du maquis de la Bessonne (montagne voisine de Saint-Pons), l’un des groupes du maquis Pierre.

Voici ce texte explicatif :

"Ce jour-là, le 19 mars 1944 à 7 heures du matin, le docteur Jean Bourdongle est arrêté chez lui, place Carnot à Nyons. Emmené à la salle de mariage de l’Hôtel de ville, il est interrogé et odieusement brutalisé.
À 8 heures placé dans une voiture, il est transporté dans la direction d’Aubres, suivi peu après d’une colonne allemande de 200 à 250 hommes. À Aubres, la colonne se divise en 2 groupes, dont l’un, qui avait procédé à l’arrestation du docteur, prend la direction des Pilles puis de Condorcet. L’immeuble de Bertin Montlahuc est encerclé. Il tente de fuir, est arrêté avec son camarade Gustave Long. Avec ces 3 otages, l détachement se hâte vers Saint-Pons. Stanislas Gras est appréhendé à sa ferme, frappé pour lui faire avouer où se trouve son fils Marcel. Ce dernier et son domestique Pélagatti, alertés, parviennent à s’enfuir malgré les rafales de fusil-mitrailleur. C’est à ce moment que le jeune Raspail, qui garde ses chèvres, est abattu. Le camp du groupement des Chantiers de la Jeunesse 33, où avait séjourné un maquis quelques jours auparavant, est incendié. Les fermes attenantes sont fouillées et pillées. Des immeubles, dont l’école du quartier, sont détruits à la grenade. Arrivés à la ferme Gras, les nazis s’emparent du père Silan et de son fils Marcel. Contre le mur de l’école, ils fusillent les 3 premiers martyrs le Docteur Jean Bourdongle, Bertin Montlahuc, et Stanislas Gras. Revenant à la ferme Gras, face au mur de la ferme, les 3 autres otages sont fusillés : Gustave Long, Henri Silan et son fils Marcel Silan Un détachement cantonne au café Lafont jusqu’au lundi 20 mars au soir où des camions viennent prendre en charge le produit de leur rapine. Souvenons-nous.
"


Auteurs : Claude Seyve et Michel Seyve
Sources : Dvd-rom Saint-Pons 20 septembre 2008. Commémoration du 19 mars 1944. Avec la participation active du colonel Pierre Chalan Belval et ses souvenirs sur l’époque et ses maquis, réalisé par René Delay-Goyet. Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007. Les Darus, mémoires du colonel Challan Belval (archives personnelles, manuscrit de 109 pages).