Les Juifs déportés de France sont voués à l'extermination, Fraternité, août 1943.

Légende :

Numéro spécial de Fraternité, organe du Mouvement National Contre le Racisme( zone sud), août 1943

Type : Jjournal

Producteur : MUREL

Source : © © archives privées du groupe Marat Droits réservés

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Fraternité est le journal  publié  par le Mouvement National Contre le Racisme( MNCR) en zone sud ( J'accuse en zone nord).Le MNCR est créé par les responsables de la section juive de la MOI, liée au Parti communiste français. Le texte est transmis du « centre », Lyon, et les militants en assurent l'impression. Le  MNCR s'adresse à un lectorat juif et non juif dans le but de briser l'isolement des Juifs persécutés d'où le choix du français et non du yiddish.

 Le numéro d'août 1943 est un numéro spécial : il est consacré à deux témoignages décrivant les mécanismes d'extermination des populations juives en Pologne.

Les titres de la première page vise à enlever toute illusion aux Juifs de France  quel que soit leur statut: ce qui attend les déportés en Pologne, ce ne sont pas des camps de travail mais l'extermination. La fin de cette introduction reprend un thème courant dans la presse communiste : le peuple de France est solidaire des persécutés et demeure imperméable à la propagande antisémite. Juifs et non-juifs sont victimes de la terreur nazie. Le rédacteur utilise intentionnellement les mêmes termes pour désigner les déportations vers les camps d'extermination et le STO. C'est un choix politique assumé.

Le premier témoignage émane d'un Juif évadé d'un camp satellite d'Auschwitz (voire contexte  historique). Le témoin est arrêté en août 1942 à Monte Carlo et transféré à Drancy puis Auschwitz.

Le témoin donne un bilan chiffré du transfert en train vers la Pologne : 68 morts avant la première sélection en  gare de Kosel , nœud ferroviaire situé à 80 kms d'Auschwitz. Il montre que la sélection voue les vieillards, les enfants et les femmes incapables de travailler à la mort :  « Les vieillards, les femmes et les enfants incapables de travailler sont dirigés vers le camp d'Oschewitz (sic).  Oschewitz est le camp qui fait trembler chaque Juif. Comme disent cyniquement les nazis : on y va pour crever ». Fidèle à sa politique, l'article affirme la solidarité du peuple polonais alors que d'autres témoignages sont beaucoup moins optimistes.

Le second témoignage émane d'un résistant polonais , Jan Karski, (voire contexte historique) qui rapporte ce qu'il a vu dans un camp qu'il identifie à ce moment comme  Belzec. Le témoignage , diffusé par la BBC dans l'émission « Les Français parlent aux Français » en juillet 1943,  ne laisse aucun doute sur le génocide en cours.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Le parti communiste publie à partir de 1941 des brochures condamnant les mesures antisémites prises aussi bien par les occupants que par le gouvernement de Vichy. Il y voit une manœuvre pour diviser les populations vivant en France sans forcément percevoir la spécificité de cette politique et considère que le socialisme peut seul mettre fin aux discriminations . La presse juive communiste tout en suivant la ligne fixée , alerte dés août 1941 sur le génocide à l'oeuvre dans l'est de l'Europe. Elle relaie l'appel lancé sur Radio-Moscou aux Juifs du monde entier  par des intellectuels et artistes juifs soviétiques le 24 août 1941 « La question de l'existence même du peuple juif est aujourd'hui posée dans toute son ampleur : il s'agit de la vie ou de la mort de notre peuple. » La rafle parisienne du 16 juillet 1942 constitue une étape : personne ne peut plus croire que les vieillards, les enfants, les malades raflés sont destinés à des camps de travail à l'est.

A l'été 1942, les responsables de la section juive de la M.O.I. mettent en place une organisation  appelée d'abord Mouvement National contre la barbarie raciste puis Mouvement National Contre le Racisme(MNCR) à partir de juin 1943.

Le premier numéro de Fraternité paraît à Lyon en octobre 1942. Dés l'automne, le MNCR affirme que les Juifs déportés à l'est sont gazés et en janvier 1943, le chiffre d'un million de victimes est avancé pour le seul été 1942.

Le premier témoignage  émane de  Ignace Honig et Haïm Salomon arrêtés fin août 1942 à Monte Carlo, transférés à Drancy et déportés par le convoi n°29  à Auschwitz. Ils travaillent dans le camp satellite de Laurahütte. Grâce à l'aide de codétenus et d'un gardien, ils s'évadent et parviennent à gagner Nice avec l'aide de réseaux sionistes et communistes. Leur récit est transmis à Georges Spolianski, un des responsables de la section juive M.O.I. des Alpes Maritimes.Il est publié dans Fraternité en zone sud et dans J'accuse en zone nord.

Le deuxième témoignage est celui de Jan Karski, membre du mouvement de résistance polonais Armia Krajowa( armée de l'intérieur ou A.K.). Lorsque l'AK  décide d'envoyer Jan Karski à Londres pour informer le gouvernement polonais en exil, deux dirigeants de la résistance juive le font pénétrer clandestinement dans le ghetto de Varsovie et dans un camp que Jan Karski pense être Belzec. Ian Karski après un périple clandestin à travers l'Europe, arrive à Londres fin novembre 1942.  A partir des documents et récits de Jan Karski, le ministre des Affaires étrangères  du gouvernement polonais en exil rédige un rapport  qu'il envoie aux Etats signataires de la Déclaration des Nations Unies dont l'URSS et le comité national français (La France libre du général de Gaulle) . Le 17 décembre 1942, onze gouvernements des Nations Unies publient une déclaration faisant état de l'extermination de masse qui frappent les Juifs en Pologne. Cette déclaration est publiée dans J'accuse en décembre 1942 et dans Fraternité  en août 1943. Jan Karski a sans doute décrit Izbica Lubelska, camp satellite de Belzec et non le camp principal, ce qui n'enlève rien à la force de son témoignage.

Ces deux témoignages montrent que des liens existaient entre organisations de sauvetage et de résistance aux orientations politiques et philosophiques très diverses.

 Quel fut l'impact de ces témoignages ? Raymond Aron lui-même disait « J'ai su et je n'ai pas cru et parce que je n'ai pas cru, je n'ai pas su. »


Sylvie Orsoni

Sources

Besson Rémy, Le rapport Karski. Une voix qui résonne comme une source ». URL:http://etudesphotographiques.revues.org/ 3178

Boukara Philippe, Deux évadés d'un camp-satellite d' Auschwitz arrivent à Nice et témoignent à l'été 1943..., Journée d'étude consacrée à la persécution des Juifs dans les Alpes-Maritimes durant la seconde guerre mondiale et à l'exposition réalisée par le mémorial de la Shoah et l'ONACVG « les Juifs de France dans la Shoah », 06 novembre 2014.

Gilbert Martin, Atlas de la Shoah,éditions de l'Aube, 1992 

Courtois Stéphane, Rayski Adam, Qui savait quoi ? L'extermination des Juifs, 1941-1945, éditions La Découverte, paris, 1987.

Georges-Picot Grégoire, L'innocence et la ruse. Des étrangers dans la Résistance en Provence. Éditions Tirésias, Paris 2011.

Mencherini Robert, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3. Paris, Syllepse, 2011.

Poznanski Renée, Propagandes et persécutions. La résistance et le « problème juif »,éditions Fayard, Paris 2008

Wieviorka Annette, Ils étaient juifs, résistants, communistes, éditions Perrin, Paris, 2018.