Hébergement des réfugiés

Légende :

Circulaire n°24 bis du 29 septembre 1940 du ministre secrétaire d’Etat à l’Intérieur (direction des réfugiés) aux préfets de la zone non occupée et aux sous-préfets de Confolens (Charente), St-Amand (Cher) et Montmorillon (Vienne), signée par le directeur des réfugiés Marcel Willier

Type : Instructions sur l’hébergement des réfugiés

Producteur : MUREL PACA

Source :

Détails techniques :

Format 21 x 29,7 cm, circulaire de 4 pages.

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Vaucluse - Avignon

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Analyse média

Cette circulaire a été produite par la direction des réfugiés dépendant du ministère de l’Intérieur. Elle est signée par Marcel Willier qui a été nommé directeur temporaire du service des réfugiés le 24 septembre 1940 avant d’être, à partir du 24 octobre 1940, chargé de mission à Paris pour l’ordonnancement des dépenses de plusieurs ministères. Marcel Willier travaillait sous les ordres du ministre secrétaire d’Etat, Marcel Peyrouton, entré en fonction le 6 septembre 1940, en poste jusqu’au 16 février 1941.

Ce texte a donc été rédigé quelques jours seulement après sa prise de fonction. Le sort des réfugiés était une préoccupation importante des autorités de Vichy étant donné les millions de personnes repliées en zone non occupée après la débâcle. Ceci est également confirmé par le nombre de circulaires envoyées en quelques semaines entre l’été et l’automne 1940. La circulaire précédente, la n°23 bis, avait été réalisée seulement la veille de celle-ci et la 11 bis datait du 17 septembre 1940 ce qui veut dire qu’au moins 14 circulaires ont été édictées par la direction des réfugiés dans la seconde quinzaine du mois de septembre.

Ce document consulté aux Archives départementales de Vaucluse n’est pas un courrier adressé spécifiquement au préfet de Vaucluse mais à tous les préfets de la zone non occupée et aux trois sous-préfets de Confolens, de Saint-Amand et de Montmorillon car ces sous-préfectures de la Charente, du Cher et de la Vienne se trouvaient en zone non occupée alors que le reste de ces départements se situait au-delà de la ligne de démarcation. Pour les autres départements se trouvant partagés par la ligne de démarcation (les Basses-Pyrénées, les Landes, la Gironde, la Dordogne, l’Indre-et-Loire, Le Loir-et-Cher, l’Allier, la Saône-et-Loire, le Jura et l’Ain), aucune indication n’est fournie quant à l’application de cette circulaire pour les secteurs se trouvant en zone libre.

L’objet de cette circulaire concerne l’hébergement des réfugiés. Elle a été reçue en préfecture de Vaucluse le 2 octobre 1940 comme le stipule le tampon apposé en haut à gauche. Des annotations ont été faites au crayon rouge ou gris sur les 4 pages que comportent ce document. Certains passages sont soulignés au crayon rouge, gris ou bleu sans savoir quel était exactement le code couleur utilisé par celui qui a annoté cette missive même si le rouge semble correspondre aux passages les plus importants. Ces annotations ont pu être faites par le préfet lui-même ou par son cabinet. 200 copies ont été certainement réalisées comme l’indique l’inscription en rouge en haut ce qui pourrait correspondre à la diffusion des instructions aux 151 municipalités du département susceptibles d’héberger des réfugiés, aux différents agents des services préfectoraux ou aux directions des associations d’entraide et de bienfaisance concernées par l’application de ce courrier. Dans une période de pénurie, le chiffre de 200 copies est élevé et souligne sans doute l’importance du document quant à son contenu.

Il se compose de quatre parties, la plus longue étant la première et les trois autres étant de longueur à peu près équivalente. La première partie parle des « réfugiés devant regagner leur domicile habituel en zone occupée non interdite » à la page 1 et au début de la page 2. Les trois dernières, de la page 2 à la page 4, s’intéressent aux réfugiés demeurant encore en zone libre ce qui était apparemment la principale préoccupation de la direction des réfugiés en cette fin du mois de septembre 1940. La partie 2 examine le cas des « réfugiés de la zone interdite, réfugiés ne pouvant regagner leur domicile en zone occupée non interdite ou expulsés des départements du Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle ». La partie 3 donne des informations sur les « allocations aux réfugiés de la catégorie précédente » et la dernière partie indique quelles sont les fournitures en nature à fournir aux réfugiés pour les aider à surmonter les rigueurs de l’hiver à venir.

Si le sort des « réfugiés devant regagner leur domicile habituel en zone occupée non interdite » tient finalement moins de place dans ce courrier, c’est parce que leur situation devenait moins préoccupante. Des millions de réfugiés fuyant l’avancée allemande avaient afflué entre septembre 1939 et juin 1940 vers des régions éloignées des zones de combats. Grâce à l’article 16 de la convention d’armistice, les rapatriements avaient commencé durant l’été 1940 et le flot des réfugiés s’était en partie inversé. Ce rapatriement « sera terminé dans le délai d’environ un mois » grâce à des aides qui ont été octroyées pour faciliter leur retour (des itinéraires établis, des relais gîtes, du ravitaillement, des bons d’essence, etc.) même si le trajet était parfois rendu difficile par la destruction de certaines infrastructures de transport (ponts, routes ou voies ferrées). Ce délai d’un mois correspondait à la date limite de rapatriement qui avait été fixée initialement à la fin du mois de septembre 1940 puis repoussée au 1er novembre 1940 par les autorités allemandes.

Le deuxième paragraphe indique à mi-mot que certains réfugiés ne souhaitaient pas regagner la zone occupée et la direction des réfugiés essayait de mettre cette situation en partie sur le compte des aides qui ne leur avaient pas encore été versées. Leur présence ne pouvait être que « temporaire », il y avait donc urgence à régler leur situation étant donné le court délai fixé par l’occupant et afin de pouvoir aider d’autres catégories de réfugiés définitivement installées dans la zone libre.

Le troisième paragraphe se fait plus menaçant sur l’octroi de l’allocation en argent ou en nature aux réfugiés de la zone occupée non interdite après cette date-butoir. Ceux qui ne voulaient pas rentrer chez eux en seraient privés sauf « si leur rapatriement n’est pas autorisé par les autorités d’occupation ou s’ils justifient de raisons sérieuses pour rester en zone libre ». Par exemple, les communistes, les francs-maçons, les Alsaciens et les Lorrains francophones ou francophiles, les militaires belges et français, les troupes coloniales et les étrangers étaient interdits de retourner en zone occupée. En théorie jusqu’à l’ordonnance allemande du 27 septembre 1940, les réfugiés juifs pouvaient regagner la zone occupée mais le franchissement de la ligne de démarcation ne leur était pas toujours accordé aux différents points de passage.

Des motifs de non-retour pouvaient être également la destruction du logement mais il n’était pas toujours aisé de savoir dans quel état le réfugié allait récupérer son domicile (la circulation du courrier entre la zone occupée et la zone libre n’a été rétablie que partiellement à compter du 25 septembre 1940 grâce à la mise en place de cartes interzones pré-imprimées, le logement ne faisait pas partie des rubriques préremplies). Pour les sinistrés, il fallait pouvoir prouver la destruction ou l’endommagement du domicile pour demeurer en zone libre (paragraphe 4), une certaine indulgence était néanmoins demandée dans ces circonstances exceptionnelles envers des individus souvent traumatisés par ce qu’ils avaient vécu au moment de fuir et pendant leur exil. Pour compenser le manque d’informations, la direction des réfugiés indiquait enfin qu’elle fournirait des renseignements sur les immeubles détruits en zone occupée afin de pouvoir mieux informer les réfugiés et examiner leur cas individuellement. Des raisons médicales comme une hospitalisation pouvaient sans doute constituer une des « raisons sérieuses » mais elles ne sont pas explicitées ici.

Le dernier paragraphe de la première partie à la page 2 précise que les centres d’hébergement sont réservés en priorité aux réfugiés temporaires et aux populations originaires des colonies comme les troupes coloniales. Quelques lignes soulignées en rouge mettent en avant le cas particulier de ces personnes qui ne peuvent plus franchir les mers ou les océans pour regagner leur domicile. Seules les populations d’Afrique du Nord française peuvent encore être rapatriées puisque cette partie de l’empire reste sous administration vichyste. Dès l’été 1940, les premières colonies françaises se rallièrent à la France libre, empêchant ainsi le retour des réfugiés et de soldats originaires des colonies vers leur domicile. Ceux-ci devaient être regroupés séparément pour « respecter leurs coutumes, leur genre particulier de vie et leur goût pour la vie collective » ce qui était peut-être un prétexte pour mieux les surveiller, les encadrer et éviter les contacts avec le reste de la population.

La partie 2 étudie le cas des réfugiés originaires de la zone interdite pour lesquels le retour est prohibé par l’occupant. Ces personnes venaient de la Meuse, de la Meurthe-et-Moselle, des Vosges, de la Haute-Saône, du Doubs et d’une partie de la Somme, de l’Aisne, des Ardennes, de la Haute-Marne, de la Marne, de la Côte-d’Or et du Jura. Le nombre de ces réfugiés pour l’ensemble de la zone sud s’était stabilisé depuis la signature de l’armistice et la mise en place de la ligne de démarcation malgré des passages clandestins. Ce qui était plus fluctuant était leur nombre selon les départements de la zone libre puisque les déplacements à l’intérieur de cette zone étaient autorisés et que des regroupements entre familles avaient dû s’opérer mais encore fallait-il arriver à avoir des nouvelles des uns et des autres pour pouvoir se retrouver.

Une autre catégorie de réfugiés est mentionnée, celle des expulsés des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin ou de Moselle. Les premières expulsions commencèrent en juillet 1940. Elles se poursuivaient encore en septembre, la direction des réfugiés ne savaient pas donc pas si ce processus était achevé ou non au moment de la rédaction de ce texte d’où l’importance de fixer des aménagements pour ces réfugiés déjà présents en zone libre ou susceptibles d’y être dirigés prochainement.

La direction des réfugiés anticipait l’arrivée de l’hiver sans préciser la durée de cette assistance. Ces réfugiés devaient recevoir un « traitement de faveur » et le document insiste bien sur leur nationalité française (rien n’est dit à propos des réfugiés originaires de pays étrangers). Les interdits du retour étaient privilégiés par rapport à d’autres catégories d’exilés mais en période de guerre, c’étaient des mesures simples qui étaient présentées comme ne pas séparer les familles ou loger décemment les réfugiés. Malgré le reflux d’une partie des réfugiés originaires de la zone occupée mais en anticipant la venue possible d’expulsés mosellans et alsaciens au nombre incertain, le manque de logements était une complication supplémentaire selon les départements ou les communes d’accueil d’où la nécessité de faire des réquisitions chez l’habitant. Certains logements de fortune de l’été 1940 n’étaient plus appropriés en période hivernale. L’octroi d’un logement convenable incombait aux préfectures qui répartissaient les réfugiés dans les localités de leur choix. Le dernier paragraphe de la partie 2 indique un autre problème susceptible de se poser, celui des rapports entre les populations locales et les réfugiés. Il était conseillé de placer les réfugiés agriculteurs dans des zones rurales afin de faciliter leur intégration et leur permettre de retrouver rapidement du travail (selon le montant du salaire, l’allocation de réfugiés était alors supprimée puisque le réfugié pouvait subvenir à ses besoins sans aucune assistance). Une annotation de la préfecture de Vaucluse indique que ces mesures ont été réalisées par anticipation. Dans d’autres circulaires, il était même recommandé que les expulsés d’une même commune fussent installés dans une même localité ou dans des localités proches afin de maintenir un lien social malgré l’exil.

La partie 3 décrit les aides apportées aux réfugiés français bloqués en zone libre. Ceux qui étaient hébergés dans des centres d’accueil étaient « en principe » nourris par les préfectures, cet adverbe indique bien les réelles difficultés de ravitaillement de cette époque liées au nombre de réfugiés et à la mauvaise situation économique de la France. La détresse des réfugiés est soulignée à la page 3, « les réfugiés nécessiteux, ou privés de ressources ». Les réfugiés de l’exode partirent souvent avec le strict minimum dans leurs minces bagages même si certains quittèrent leur foyer en chargeant leur voiture, leur vélo ou une charrette. Les expulsés mosellans et alsaciens, eux, furent soumis à des consignes encore plus strictes imposées par les autorités allemandes qui ne leur laissèrent généralement entre juillet et septembre 1940 qu’une heure pour quitter les lieux avec un maximum de 50 kg de bagages et 2 000 francs par adulte. La situation devenait urgente pour des personnes « à bout de ressources personnelles » arrivées depuis plusieurs semaines ou plusieurs mois ou pour des expulsés démunis ce qui explique que les commissions cantonales d’attribution des allocations se réunissaient chaque semaine pour traiter le plus rapidement possible les dossiers et pour répondre à l’afflux de potentiels nouveaux réfugiés. Ce système d’allocations en argent était déjà en place, il devait être interrompu pour les réfugiés de la zone occupée non interdite qui restaient en zone sud sans motif sérieux (voir la partie 1 du document) tout en étant pérennisé pour les réfugiés de la zone interdite et des départements annexés par le Reich allemand. Dans des situations d’extrême urgence, l’allocation pouvait même être versée avant la validation du dossier.

La dernière partie concerne les fournitures en nature afin de surmonter les difficultés de l’hiver (couvertures, vêtements chauds, literie, etc.). Par exemple, certains réfugiés de l’exode avaient peut-être mis principalement dans leurs bagages des vêtements de printemps et d’été, espérant pouvoir regagner leur logement avant l’hiver. Pour les expulsés, 50 kg de bagages et 2 000 francs autorisés par adulte ne permettaient pas de se vêtir et d’équiper convenablement une habitation en période hivernale. Les frais engagés par les préfectures pour les fournitures d’effets chauds étaient pris en charge par la direction des réfugiés mais limités à 100 000 francs. La situation ayant changé avec l’arrivée des expulsés, un supplément pouvait être versé selon le nombre de réfugiés à secourir.

 


Marilyne Andréo

Contexte historique

Un plan de repli de la population avait été préparé en 1936 et en 1938, en cas d’attaque et d’invasion allemande. Par exemple, le plan prévoyait le déplacement des Mosellans vers la Vienne et la Charente, des réfugiés du Bas-Rhin vers la Haute-Vienne et la Dordogne et ceux du Haut-Rhin vers le Lot-et-Garonne, le Gers et les Basses-Pyrénées. Dans ce projet, le Vaucluse n’avait pas été désigné comme département d’accueil. Dès la déclaration de guerre en septembre 1939, des réfugiés avaient commencé à fuir le nord de la France ou à être évacués de Moselle et d’Alsace. Le désordre de l’exode en mai-juin 1940 et le chaos de la défaite firent voler en éclat ce plan prévisionnel de repli. Rien ne prédestinait le Vaucluse à voir affluer une telle masse de réfugiés, malgré un reflux à partir de la mi-juillet 1940, grâce à l’article 16 de la convention d’armistice qui permettait le retour des Français dans leur région d’origine, « le Gouvernement français procédera au rapatriement de la population dans les territoires occupés, d’accord avec les services allemands compétents ». Les chiffres astronomiques du mois de juin 1940 décrurent rapidement. D’après les chiffres du ministère de la Défense du 6 juillet 1940, le Vaucluse abritait 74 000 réfugiés. Selon les statistiques « au 13 août 1940 des réfugiés, français ou belges, recensés dans les départements d’accueil par les soins du secrétariat général aux réfugiés de Vichy », il restait 4 000 réfugiés dans le Vaucluse. Les rapatriements par chemin de fer désengorgèrent les départements de la zone non occupée, entre le 15 juillet et le 15 octobre 1940, trois millions de personnes auraient été rapatriées dont deux millions par chemin de fer.

Cependant, certaines populations ne pouvaient pas rentrer chez elles à cause du redécoupage de la France en plusieurs zones, pour des raisons matérielles ou tout simplement parce qu’elles ne le souhaitaient pas. Pour les habitants originaires du Nord, du Pas-de-Calais et de la zone interdite (Meuse, Meurthe-et-Moselle, Vosges, Haute-Saône, Doubs, le Territoire de Belfort, une partie de la Somme, de l’Aisne, des Ardennes, de la Haute-Marne, du Jura, d’une partie de la Marne et de la Côte-d’Or), le retour à leur domicile était impossible.

Pour les Alsaciens et les Mosellans, la situation était plus compliquée. Pour la seule Moselle, 227 000 habitants avaient été évacués en septembre 1939 puis 82 000 en mai 1940. Après l’armistice, 70 000 refusèrent de rentrer et 23 953 furent refoulées par les autorités allemandes en raison des théories nazies racistes, antisémites et nationalistes. La Moselle et l’Alsace furent occupées puis annexées par le Reich allemand qui souhaitait germaniser ces territoires dans un délai de dix ans et se débarrasser de tous les éléments considérés inassimilables dans la communauté du peuple allemand. Parmi ces populations jugées indésirables se trouvaient les « Français de l’intérieur » car « nés en France ou en Alsace-Lorraine de parents français et utilisant la langue française comme langue maternelle » mais aussi les Juifs, les francophiles, les personnes parlant uniquement le français, les élites locales, les anciens membres des Brigades internationales, les communistes, les étrangers, les tsiganes, les condamnés de droit commun, les asociaux, etc.

La Moselle fut rattachée le 30 novembre 1940 au Gaue Westmark dont Josef Bürckel était le Gauleiter et à partir du 18 octobre 1940, l’Alsace appartint au Gaue Baden-Elsass dirigé par le Gauleiter Robert Wagner (annexions réalisées après la rédaction de cette circulaire). Bien avant cette annexion de fait, Josef Bürckel, nommé le 7 août 1940, chef de l’administration civile en Moselle et Gauleiter de Sarre-Palatinat, mit en place une politique d’expulsion des populations considérées indésirables dans ce nouveau territoire allemand alors que Robert Wagner préféra une politique de rééducation forcée d’où le nombre plus faible d’expulsés en Alsace. Ainsi, 45 000 Alsaciens et 90 000 Mosellans furent chassés entre juillet et novembre 1940 en plusieurs vagues. A la date de cette circulaire, le 29 septembre 1940, on dénombrait déjà 1 131 Mosellans expulsés en juillet et 23 079 entre le 16 août et le 18 septembre. La notification (Mitteilung) établie par les services de la police de sûreté allemande en Moselle en août 1940 réglementait de manière très stricte les conditions de départ des expulsés.

« Pour chaque personne est à emporter : de la nourriture pour quelques jours, couverts et tasses, une couverture, un vêtement complet, une somme d’argent d’un montant de 2 000 F par adulte et de 1 000 F par enfant et les papiers personnels. Si on le désire, on peut emporter : un nombre de valises correspondantes, un costume usagé, une deuxième paire de chaussures, une deuxième couverture, la montre et les bijoux portés d’ordinaire. Le paquetage ne doit pas dépasser un poids de 50 kg par adulte et 30 kg par enfant. Avant le départ, les paquets seront déposés ; l’argent allemand ne doit pas être emmené. »

Les expulsés arrivaient donc en zone libre avec très peu de vêtements et de literie pour passer l’hiver et le reste de leur vie puisqu’aucun retour n’était alors envisageable. Même Charles Bourrat, préfet de Metz, avec 200 francs en poche, et Albert Durocher, sous-préfet de Thionville, furent expulsés le 8 août. La préfecture de Moselle se replia à Montauban.

A l’automne, les expulsions s’intensifièrent justifiant les craintes émises dans cette circulaire de voir affluer de nouveaux réfugiés en zone non occupée. Les expulsés de Moselle étaient dirigés par la voie ferroviaire vers Lyon d’où ils étaient ensuite acheminés vers leur destination finale. Le 13 novembre 1940, six trains quittèrent la Moselle avec 4 501 expulsés dont un train dirigé vers le Vaucluse. Le 15 novembre, cinq trains avec 4 328 passagers étaient en partance dont un pour le Vaucluse. Le 21 novembre 5 496 individus dans cinq trains dont un pour le Vaucluse. La cadence de ces expulsions avec le nombre de passagers et leur destination mettait bien en évidence que le Vaucluse avec trois trains faisait partie des destinations principales. Le 6 décembre 1941, le Vaucluse comptait un total de 3 792 réfugiés de diverses provenances qui devaient se loger, travailler, se nourrir, scolariser leurs enfants, etc.

A ces difficultés matérielles s’ajoutèrent les problèmes d’intégration. Les expulsés mosellans et alsaciens étaient chassés de chez eux car les autorités allemandes considéraient qu’ils ne seraient pas de bons citoyens allemands et en zone libre, ces expulsés étaient considérés parfois comme des Allemands et finalement indésirables quel que soit l’endroit où ils se trouvaient. Même si la plupart étaient francophones, les plus âgés pouvaient parler uniquement le platt ou l’alsacien, des patois très éloignés du provençal et plus proche de la langue de l’ennemi. Pour les francophones, leur accent différent de celui du Midi trahissait leurs origines et renforçait la suspicion des populations locales envers eux. Cette méfiance voire cette hostilité peut expliquer les difficultés rencontrées quelquefois pour trouver un emploi ou nouer des relations amicales avec leurs hôtes ce dont témoigne d’autres sources.


Marilyne Andréo

 

Sources

20 W 1, AD Vaucluse, Préfecture de Vaucluse, Service départemental des réfugiés (1939-1947).

Eric Alary, L’Exode : un drame oublié, Paris, Perrin, 2010, 640 p.

Hervé Aliquot, Le Vaucluse dans la guerre 1939-1945 : la vie quotidienne sous l’occupation, Le Coteau, Editions Horvath, 1987, p. 9-12.

Aimé Autrand, Le département de Vaucluse de la défaite à la Libération mai 1940-25 août 1944, Avignon, Aubanel, 1965, p. 30

Benoît Charenton, Jean-Eric Iung, Philippe Wilmouth, De gré ou de force : l’expulsion des Mosellans 1940-1945, Lyon, Libel, 2010, 127 p.

Jacques Dupâquier (dir.), Histoire de la population française de 1914 à nos jours, Paris, PUF, 1988, p. 152.

Jean-Luc Leleu, Françoise Passera, Jean Quellien, La France pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Fayard, Ministère de la Défense, 2010, p. 52.

Robert Mencherini, Midi rouge, ombres et lumières. Une histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches-du-Rhône de 1930 à 1950, tome II Vichy en Provence, Paris, Editions Syllepse, 2004.

Philippe Nivet, « Les réfugiés de guerre dans la société française (1914-1946) », Histoire, Economie et Société, 2004, n°2, p.247-259.

Jean Vidalenc, L’exode de mai-juin 1940, Paris, PUF, 1957, 439 p.

« Willier Marcel Jean Charles Louis », Dictionnaire historique, généalogique et biographique (1807-1947) de la Cour des comptes, consulté le 5 août 2021.

https://www.ccomptes.fr/fr/biographies/willier-marcel-jean-charles-louis

Ministère de la défense, Secrétariat général pour l’administration, Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives, La ligne de démarcation, Collection « Mémoire et Citoyenneté », n°7, [En ligne].

http://www.civs.gouv.fr/images/pdf/documents_utiles/documents_dhistoire/La_ligne_de_demarcation.pdf [consulté le 7 août 2021].

Henri Hiegel, « Les expulsés mosellans en 1940 », Société d’Histoire du Pays Naborien, [En ligne]

http://www.shpn.fr/page131/page131.html [consulté le 17 août 1940].