Création d’une école régionale de cadres FFI

Légende :

Note de Serge Ravanel adressée à tous les chefs départementaux FFI concernant la création d’une école régionale de cadres, 3 septembre 1944.

Genre : Image

Source : © Archives privées Serge Ravanel, don à l'AERI Libre de droits

Détails techniques :

Une page dactylographiée.

Lieu : France - Occitanie (Midi-Pyrénées)

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Contexte historique



A la Libération, le nombre des FFI de la région R4 s'accroît brusquement, passant, selon une estimation du lieutenant-colonel Darnault, de 2000-2400 avant le 6 juin à plus de 45000 vers la mi-septembre 1944, sans compter les effectifs du Lot-et-Garonne et ceux déjà partis combattre sur le front. Aux problèmes quantitatifs s'ajoutent des problèmes qualitatifs qu'il est urgent de résoudre. On manque cruellement de cadres. D'où la volonté de former des sous-officiers et des officiers sélectionnés dans le vivier FFI. C'est dans ce but que le lieutenant-colonel Robert Darnault ("Roland" -"Durandal"), qui a été nommé par Serge Ravanel chef de la zone Ouest FFI de R4 après le 6 juin, crée, avec l'accord de son chef régional, "une première école de tri (pour) des sessions de trois à quatre semaines". Elle s'installe au château de Lespinet, près de Toulouse, un lieu qui a accueilli des Chantiers de jeunesse sous Vichy.
Une deuxième école de formation est créée à Tarbes : dirigée par un ancien Saint-Cyrien résistant, le commandant Lahorgue-Poulot, elle doit recevoir les stagiaires triés à Lespinet, afin de leur donner une formation complémentaire d'officiers de trois à six mois. Le dispositif est complété par l'ouverture de trois écoles de sous-officiers à Cahors, à Pamiers et dans le Gers. L'objectif final est de jeter les bases d'une " armée nouvelle ", une armée citoyenne, très différente, dans son esprit comme dans sa conception, de l'armée traditionnelle.

L'école de Lespinet est dite " école de premier degré ". Elle est ouverte à des élèves-officiers. La première session commence le 18 septembre 1944. Elle concerne 120 FFI issus des différents départements de la région. La phrase qui résume le mieux la philosophie de l'école est : "je participe, donc je réfléchis". Tout un symbole. La sélection finale se fait à partir de critères traditionnels, qu'ils soient militaires (on privilégie alors les aptitudes et les qualités d'officiers), de culture générale (on met en avant là aussi les aptitudes plutôt que les connaissances) et enfin d'activités physiques et sportives. Des innovations sont introduites avec le recours à des batteries de tests psychotechniques individuels et collectifs, et avec la mise en place d'une double notation, l'une traditionnelle (faite par les instructeurs), l'autre plus...révolutionnaire, car elle invite les stagiaires à noter eux-mêmes leurs propres camarades. La formation se répartit entre 65% d'enseignement militaire, 20% d'enseignement général et 15% d'éducation physique et sportive inspirée des méthodes hébertistes. L'enseignement militaire est "fondé sur la nécessité pour l'homme de n'agir qu'après avoir réfléchi aux problèmes concrets qu'il doit résoudre". Il faut privilégier la réflexion et la participation des stagiaires. Quant à la discipline, le lieutenant-colonel Darnault écrit, "ce qui fait la force principale des armées, ce n'est pas la discipline, mais en premier lieu une intime conscience des raisons de se battre, en second lieu l'instruction militaire (...). La discipline n'est donc pas un préalable. Elle est une constatation dans une armée non de mercenaires, ou de sous-évolués, mais de citoyens".
L'enseignement général se fait sous forme de conférences et de cercles d'études, des sortes de libre-discussions en groupes, centrées sur un court exposé d'introduction. Le contenu des conférences porte sur la connaissance du monde contemporain avec neuf grands thèmes retenus : les problèmes de l'armée ; l'évolution sociale contemporaine ; les essais de solutions pratiques ; les problèmes de la formation personnelle ; l'histoire générale ; la communauté française dans le monde ; les problèmes de géographie économique et humaine ; les problèmes internationaux ; l'historique et les aspects de la Résistance.

Par la nouveauté de ses méthodes de sélection et par sa volonté de privilégier la réflexion avant l'action, celle de faire comprendre le monde dans lequel on vit ou celle de diffuser une formation équilibrée, l'expérience de Lespinet veut s'adresser à des militaires citoyens responsables. Un objectif ambitieux, qui s'inscrit dans la lignée des différentes réformes introduites à Toulouse dans l'immédiat après-Libération. Mais, comme pour la plupart d'entre elles, cet objectif ne sera pas entièrement atteint et approfondi. Dans un premier temps, l'expérience de Lespinet parait intéresser les plus hauts responsables de l'Armée. Lors de la conférence de Paris des écoles de cadres des 20 et 21 novembre 1944, le lieutenant-colonel Darnault présente son programme et semble trouver des oreilles attentives et intéressées. Le 3 décembre 1944, une circulaire du ministre de la Guerre adressée aux généraux commandant les régions militaires s'inspire des principes de Lespinet. Mais elle reste lettre morte. Sans doute "effrayés par (tant) d'audace", les milieux militaires traditionalistes, ceux de l'armée d'active (qui ont également limité la portée et les effets de l'amalgame), obtiennent que la circulaire ne soit pas diffusée et appliquée. Le projet " d'armée nouvelle ", initié à Toulouse, ne verra donc pas le jour.



                Creation of a Regional School for FFI Leaders

At the time of the liberation, the number of FFI forces in the R4 region in the south of France was growing rapidly, with between 2,000 and 2,400 fighters before June 6 and more than 45,000 by mid-September 1944 according to estimates from Lieutenant-Colonel Darnault; this is all without counting enrollment numbers from Lot-et-Garonne and those who were already fighting on the front lines. However, problems with the number of fighters combined with the quality of the resistants still existed and urgently needed to be resolved. There was a crucial lack of high-ranking officers. Hence the willingness to train non-commissioned officers and other officers selected from the pool of current FFI soldiers. In order to achieve this goal Lieutenant-Colonel Robert Darnault (« Roland », « Durandal »), who was named head of the R4 West Zone of the FFI on June 6 by Serge Ravanel, created « the first school to select and train officers with sessions lasting three to four weeks » with the support of his regional leader. The school was situated at the Lespinet castle, near Toulouse, and welcomed the Chantiers de jeunesse paramilitary group that had formed under the Vichy government.
A second training school was created in Tarbes: led by a former Saint-Cyr resistant, Major Lahorgue-Poulot, it received students selected at Lespinet in order to give them a complete officer training in three to six months. The system was completed by the opening of three non-commissioned officer schools in Cahors, Pamiers and in the Gers region. The final objective was the creation of a « new army », a citizen army very different in its spirit, as well as its conception, from the traditional army.

The Lespinet school was said to be « a first level school », open to officer cadets. The first session began on September 18 1944, with 120 FFI members from different departments in the region. The phrase which best sums up the philosophy of the school is: « I act, therefore I reflect ». Quite a symbol. The final officer selection was made according to traditional criteria, such as military knowledge (focusing on the skills and qualifications of officers), general knowledge (again highlighting skills rather than academic knowledge) and lastly physical activities and sports. Innovations were introduced with the use of a series of individual and collective psychological tests and a double grading system: a traditional grade given by instructors and another more revolutionary method, where students were invited to grade their fellow classmates. The training was divided between 65% military training, 20% general instruction and 15% physical education and sports, inspired by the Heberist methods. The military instruction was « based on the idea that men should act only after reflecting on the concrete problems at hand ». The emphasis was on student reflection and participation. With regards to discipline, Lieutenant-Colonel Darnault wrote « the principal strength of armies is not in their discipline but firstly an intimate knowledge of the reasons for which one is fighting and secondly knowledge of military training...Discipline is not, therefore, a prerequisite though it is found in a citizen army and not exclusively in armies of mercenaries or underdeveloped soldiers ».

General instruction comprised of lectures and study groups, with free discussions in groups centering on a short introductory presentation. The content of the lectures focused on the knowledge of the contemporary world with nine major themes: problems in the army; contemporary social evolution; practical knowledge; personal development; general history; the French community in the world; economics and social problems; international problems; and the history and other aspects of the Resistance.

The Lespinet experience wanted to focus on the creation of responsible military citizens with these new methods of selecting officers and the decision to prize reflection before action, in order to understand the world in which one lives and create a well-rounded training program. An ambitious objective, which was one of many different reforms introduced in Toulouse in the immediate aftermath of the liberation. But this project would not be implemented on a wider scale. In the early beginnings, the Lespinet experience seemed to interest the high ranking officers in the Army. At the Paris meeting of military school leaders on November 20 and 21 1944, Lieutenant-Colonel Darnault presented his program and attempted to find supporters. On December 3 1944, a memo inspired by the principles found at Lespinet was addressed to the generals in the various military regions from the Minister of War. But the memo was ignored. Without a doubt « frightened by such boldness », the traditional military circles in the active army (who had limited the scope and impact of the fusion of the active army with the resistance fighters) assured that the memo was not circulated and that the principles were not put into practice. The « new army » project, begun in Toulouse, would not be applied on a larger scale.


Traduction : Carolyn Burkett


Michel Goubet, "L'expérience de "l'armée nouvelle" de Lespinet après la Libération" in CD-ROM La Résistance en Haute-Garonne, AERI, 2008.