Battage du blé à Mirabel-et-Blacons

Légende :

Les battages sont un des moments forts de la vie rurale. Leur importance explique toute la vigilance qu'on leur porte.

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : Inconnu

Source : © Collection Robert Serre, don de Patrick Houfek Droits réservés

Détails techniques :

Photographie sépia.

Date document : Sans date (été 1943)

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Mirabel-et-Blacons

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Analyse média

La marche de la batteuse est assurée par un moteur électrique (à gauche) monté et transporté par une petite remorque tractée d'une aire de battage à une autre. L'ensemble est stabilisé par un cric bien visible à droite de la remorque. Le câble d'alimentation en électricité arrive par la gauche. Le mouvement est transmis à la batteuse par une large courroie croisée, dangereuse car non protégée (peut sauter des poulies et happer les travailleurs). Le blé sort de la batteuse au niveau de l'homme qui a un tablier, préposé à l'ensachage du blé dans les sacs vides posés à terre.

Trois hommes sont sur le gerbier - dont le tchèque Charles Houfek, détaché du 352e GTE de Crest dans l'exploitation agricole de Camille Félix, au hameau des Berthalais de la commune de Mirabel-et-Blacons - et envoient les gerbes que deux autres enfournent à la main dans la batteuse après avoir coupé le lien de la gerbe. On observe, sur la droite, un homme portant un lourd ballot de paille provenant d'une presse non visible sur la photo.

L'équipe de la batteuse est de l'ordre d'une dizaine d'hommes.

Photographe inconnu.


Auteur(s) : Jean Sauvageon

Contexte historique

Le blé, dès sa récolte, est l’objet d’une surveillance méticuleuse des services de l'État. Les agriculteurs sont obligés de déclarer leurs récoltes, des contrôleurs sont chargés d’y veiller. Ces contrôleurs sont souvent des instituteurs réquisitionnés pendant les vacances d’été. Leur connaissance du milieu ou leur antipathie pour le régime de Vichy, pour certains, les amènent à n’être pas trop stricts sur les contrôles.

Une partie de ce blé est réquisitionné et « exporté » en Allemagne. Les Français sont soumis à des restrictions drastiques. On ne peut obtenir du pain qu’en échange de tickets.

La pénurie de farine amène les autorités à prendre des mesures contraignantes pour éviter la fraude au moment des battages.

Aux contraintes techniques, il faut ajouter des prescriptions administratives sévères afin d'éviter les fraudes, notamment la dissimulation de blé au moment des battages. Les autorités n'ignorent pas qu'elle existe, particulièrement dans les campagnes reculées. Un arsenal de mesures est pris pour essayer de la supprimer ou tout au moins de la diminuer. L'arrêté du 22 juin 1943 impose le plombage des batteuses particulières non agréées. Cela signifie que des battages clandestins sont réalisés avec des batteuses artisanales dissimulées. Afin d'éviter la cache d'une partie de la récolte, des contrôleurs sont obligatoirement présents pour comptabiliser la récolte. Ils doivent tenir un carnet personnel de contrôle où sont inscrits le nom des céréales, les surfaces emblavées déclarées en mairie, les quantités battues avant le passage de la batteuse par l'entrepreneur, le total des quantités battues, la semence, la consommation familiale, les quantités à livrer à l'organisme stockeur ! On imagine facilement la scène d'un contrôleur arrivant sur une aire de battage. Soit il est inconnu et tout de suite il est l'objet de méfiance et plusieurs astuces sont utilisées pour lui soustraire, lui cacher une partie de la récolte. Soit il est connu et il est traité en conséquence. Discrètement, il omet de voir ou de noter quelques "balles" de blé. Bien nourri et bien approvisionné en boissons, son attention se relâche...
L'arrêté du 24 juin mentionne que le contrôleur ne doit pas manutentionner les sacs ce qui sous-entend qu'il le fait pour rendre service dans une opération où le manque de main d'œuvre est réel. En contrepartie, il doit recevoir quelques compensations... Pour trouver des contrôleurs, les amener à faire correctement leur travail, on leur fait miroiter des avantages substantiels si leur mission dure plus de deux semaines. Cela sous-entend que des contrôleurs abandonnent leur fonction avant la fin des battages soit parce qu'ils se heurtent à une forte hostilité des agriculteurs, soit parce qu'ils jugent qu'ils ont retiré suffisamment d'avantages d'une fonction difficile. Souvent, ces contrôleurs sont des instituteurs embauchés pour la période des vacances qui connaissent bien les paysans de la région.
Les battages ont une telle importance réelle et aussi symbolique que les hautes autorités se déplacent pour assister au premier battage dans un canton. Le 3 juillet 1942, le préfet de la Drôme, remplaçant le préfet régional d'Angéli, préside à l'ouverture de la campagne de battage à Saint-Paul-Trois-Châteaux.
Le 16, il assiste à la même cérémonie à Portes-lès-Valence. Le décalage entre les obligations administratives et la réalité sur le terrain est particulièrement évident dans cette opération de surveillance.
L'administration produit des textes, quasiment impossibles à appliquer. La machine administrative tourne dans le vide.
Les meuniers aussi ont joué un rôle important dans les campagnes pour lutter contre la pénurie. Ils traitaient les quantités de blé soustraites aux réquisitions et les transformaient clandestinement en farine ou en gruau. Ils vendaient ces produits aux habitants de la région. Il est possible que certains en aient profité pour majorer les prix. Mais la population leur en a été reconnaissante à la Libération. Le minotier de Saint-Uze, monsieur Chabert, a été élu maire de la commune à une large majorité.


Auteur(s) : Jean Sauvageon
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007.