Jean Bernay et Krauss (

Légende :

On peut remarquer l'habillement peu militaire des deux résistants.

Genre : Image

Type : Photo de groupe

Source : © Archives privées Challan Belval Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique en noir et blanc

Date document : printemps 1944

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Analyse média

Le Hongrois Jean Bernay, en short, à gauche, et Krauss ("Jimmy"), à droite sur le cliché : un Hongrois et un Lorrain déserteur de la Wehrmacht, au maquis Pierre.

Le cliché présenté est en fait le seul témoignage en notre possession de la camaraderie (ou de l’amitié) de Bernay et de Krauss. Il n’est cependant pas anodin : le rapprochement des deux hommes, compte tenu de ce que nous savons d’eux et du contexte dans lequel ils se débattent, demeure une hypothèse plausible et intéressante.

Ce cliché, et la plupart des commentaires qui l’accompagnent, proviennent des archives personnelles de quelques membres du maquis Pierre.

Le maquis Pierre, dépendant de l’AS (Armée secrète) depuis sa création par Pierre Challan Belval, a attaché une grande importance à sa cohésion, à la conservation de la mémoire de ses activités combattantes et de la personnalité de ses membres. Les anciens maquisards se réunissent d’ailleurs encore actuellement autour de leur chef, lors d’une messe, d’une commémoration et d’un repas amical, chaque année en septembre, à Saint-Pons, hameau de Condorcet (haut lieu de la Résistance). Une lettre de liaison assure régulièrement la coordination du groupe et de ses amis.
Cela explique pour beaucoup que ce document nous soit parvenu.
L’esprit qui animait les différents groupes de cette unité, que l’on retrouve avec des singularités dans d’autres formations comme celles des FTP (Francs-Tireurs et partisans) de la région, qui ont accueilli l’un des deux maquisards photographiés, Krauss ("Jimmy"), a certainement été aussi un élément favorable à la naissance d’expressions fraternelles et internationalistes, telles que la photo le suggère.

L’extrême mobilité des hommes et des maquis, les règles de prudence de la clandestinité, nous permettent de comprendre que ces deux hommes ont laissé seulement des traces sommaires de leur passage dans la Résistance de la Drôme méridionale. Les menus moments de vie que nous transmettent quelques-uns de ceux qui les ont connus, les brèves notes qu’a laissées Bernay, campent pourtant deux comportements et donnent à imaginer avec davantage de vérité, l’originalité des maquis, capables de s’ouvrir à des étrangers ou même à des soldats enrôlés dans l’armée de l’occupant et l’ayant fuie.



Contexte historique

Jean Bernay est un étudiant hongrois, membre du maquis Pierre au printemps 1944. Rescapé de la ferme de l’Aubagne, à Allan, propriété de l’abbaye d’Aiguebelle, il a pu transmettre le récit de cet événement, à travers lequel se devinent quelques traits de sa personnalité.

Bernay est cuistot dans ce groupe de l’Aubagne ; mais, le 30 mars 1944, il assure la responsabilité, en l’absence du lieutenant Delaby, des huit maquisards qui n’ont pas participé à une expédition, à Châteauneuf-du-Rhône, visant à récupérer du carburant.

Ce jour-là, la ferme est subitement encerclée par les Allemands. Bernay crie à ses camarades de fuir avec lui en sautant par l’une des fenêtres. Il s’élance vers le bois voisin, alors que les Allemands les mitraillent et les somment de se rendre.
Les balles soulèvent de la poussière autour de lui. Une brûlure le saisit au mollet. Une balle a traversé le muscle et ressort au niveau du genou. Il parvient cependant à gagner le bois ; et, aidé par une femme qui laboure son champ, il se cache sous un ponceau. À la demande de Jean Bernay, elle prévient le monastère. Lui-même fait ce récit : « Je connaissais en effet à l’Abbaye, le père Yves qui était mécanicien, car il avait été sous-marinier pendant la guerre 14-18. Je l’avais rencontré lorsque, le dimanche matin avec quelques camarades de l’Aubagne, nous allions entendre la messe et communier en l’église abbatiale. C’est ce frère qui vient me trouver dans la baraque où je me suis réfugié après le départ de la paysanne. Il est accompagné du père Bruno, qui est chirurgien au monastère. Il me fait une piqûre antitétanique et soigne ensuite mon mollet blessé. Je leur fais part des événements que je viens de vivre et de mon angoisse pour mes camarades restés à l’Aubagne ».

Deux d’entre eux trouvent la mort, les cinq autres sont faits prisonniers provisoirement. Lui-même séjourne chez des amis résistants, à Taulignan, pour une première convalescence. Puis il trouve refuge à Dieulefit.

« Le colonel Sambuc et Madame, écrit encore Jean Bernay, m’accueillaient à la Paillette [Montjoux], puis Jeanne Barnier, secrétaire de mairie de Dieulefit, se chargeait de ma vraie fausse carte d’identité ». Les Sambuc l’hébergent jusqu’à son rétablissement complet. Il réintègre alors le maquis Pierre à Beaufort-sur-Gervanne, participe à la libération de Valence…

François Paris, un de ses amis, appartenant au maquis Pierre, nous a rappelé dans un courrier, que Jean Bernay a « été enterré à Dieulefit où il avait eu refuge et amitié après sa blessure d’Allan », cela à sa demande.

L’histoire est beaucoup plus succincte à l’égard de Krauss – davantage connu dans quelques écrits le concernant et arrivés jusqu’à nous, sous son nom de Résistance, "Jimmy".

"Jimmy", écrit laconiquement Lucien Dufour, est « un Lorrain blond, frisé, au physique anglo-saxon, qui lui a valu son nom ». Henry Paris, un résistant du maquis Pierre, frère de François Paris, est plus précis et plus chaleureux : c’est un « déserteur de la Wehrmacht, un “malgré nous”, incorporé de force dans l’armée allemande, dont il avait pu s’échapper pour nous rejoindre. C’était un grand gaillard très sympathique, calme et peu bavard, avec qui je m’entendais bien ».

Lucien Dufour ("capitaine Paris"), a sans doute été le premier à le connaître puisqu’il le désigne – avec trois autres – pour participer à l’attaque du défilé de Donzère, le 25 février 1944 (déraillement d’un train de permissionnaires allemands) : "Jimmy" a donc été incorporé d’abord chez les FTP, avant de faire partie, quelques mois plus tard, des hommes du maquis Pierre où il connaît notamment Bernay, ainsi qu’en témoigne le cliché. « Quatre gars, écrit le capitaine Paris à propos de l’attaque du 25 février, d’une rare valeur militaire et capables, comme les mousquetaires chers à Dumas, d’en valoir quarante ».

À plusieurs reprises, "Jimmy" apparaît dans cette action, prestigieuse pour la Résistance départementale ; à un poste de surveillance de la gare et du pont de Châteauneuf-du-Rhône, puis, lors du repli vers le Nyonsais, lançant des grenades sur la route pour tenter de stopper la voiture allemande lancée à leurs trousses.

Quelques temps après, il est à nouveau engagé dans une expédition en voiture et en camion pour rafler 10 tonnes de farine entreposées sur un véhicule. Il est à côté de son chef, L. Dufour, qui pilote le véhicule mais « ne sait pas conduire » ; il le seconde. Tour à tour, il le renseigne sur la proximité du ravin alors que la nuit est tombée et que l’on roule tous feux éteints, sort une plaisanterie pour maintenir le moral ou lâche une rafale pour dissuader la voiture allemande poursuivante.

Nous ignorons pourquoi "Jimmy" participe, aux côtés de François Paris le 30 mars 1944, à ce que celui-ci appelle « la malheureuse affaire de la gare de Châteauneuf-du-Rhône, les fusillés d’Allan, 29 et 30 mars 1944 »… "Jimmy" est passé, dans l’intervalle, des groupes FTP de L. Dufour sous les ordres des lieutenants du maquis Pierre. Les deux hommes, "Jimmy" et François Paris, se retrouvent au niveau du pont franchissant la voie ferrée à la sortie sud de Châteauneuf-du-Rhône. « De là, précise le compagnon de "Jimmy", nous surplombions la gare de Châteauneuf et nous avons distingué […] ce fameux wagon, avec 7 ou 8 fûts métalliques. […] Pas de garde, ni brellage, ni bâchage. À cette vue, Jimmy et moi, avons le même pressentiment angoissant : c’est louche ! » Dans une question en débat comme celle-ci, il semble qu’il y ait là, chez ces hommes, une marque commune de perspicacité.

Effectivement, le camion du maquis venu quérir le soi-disant carburant, tombe sous des rafales d’armes automatiques à son arrivée au pont… "Jimmy" a le temps de lancer sa grenade, ce qui stoppe un instant le feu, permet aux deux hommes de franchir la voie et de s’enfuir vers l’est en escaladant la falaise. Tous deux ont la vie sauve, le bilan global de l’opération demeurant lourd pour le maquis.

Nous retrouvons la trace de "Jimmy" un peu plus tard, grâce à L. Dufour. Celui-ci signale en effet, le 6 août 1944, la participation de "Jimmy" aux côtés du corps-franc Garcia dans le sabotage d’un dépôt d’essence à la base aérienne d’Orange.


Auteurs : Claude Seyve
Sources : Challan Belval, Dufour Lucien, Paris Henry et Paris François, archives personnelles.