Contexte historique

Marcel Rajman, ou Rayman, dont le portrait figure en médaillon sur l'affiche rouge diffusée par les Allemands en février 1944, accompagné de la mention "Juif polonais 13 attentats", est emblématique de ce qu'il est désormais convenu d'appeler "la génération des rafles". Son frère Simon, de quatre ans son cadet, et lui incarnent peut-être plus précisément "deux générations" de combattants, ainsi définies par les historiens Stéphane Courtois et Denis Peschanski : un encadrement assuré par les 18-22 ans qui ont fréquenté à neuf ou dix ans les "patronages rouges" au sein d'un milieu familial yiddishophone. Marcel est entré dans les FTP à l'âge de 18 ans. Simon appartiendrait à "l'autre génération des 15-16 ans" qui ont rejoint en majorité le combat clandestin au moment de la rafle du Vel' d'hiv' ; cependant, les premières actions de Simon sont antérieures à juillet 1942.

Marcel Rajman est né à Varsovie, le 1er mai 1923. La mère et les deux frères gagnent la France en 1931. Le père les y a précédés depuis deux ans. En 1937, Simon, Marcel et leurs parents déménagent dans un appartement de quatre pièces situé au quatrième étage du 1, rue des Immeubles industriels, dans le XIe arrondissement, tout près de la place de la Nation. A la mi-juin, Marcel a réussi ses examens de sortie du Cours complémentaire commercial et s'est mis au travail avec son père comme tricoteur. Jusqu'à l'été 1941, Simon Rajman vit dans une certaine insouciance. Ainsi, en juillet, avec son frère et cinq copains, il prend ses dernières vacances loin de Paris, au point de gagner la zone interdite des bords de l'Orne, campant aux abords d'une ferme de la région de Caen. Dès leur retour, ils sont confrontés à la brutalité policière, lors de la rafle des Juifs qui a commencé le 20 août dans le XIe arrondissement parisien. Simon raconte : "Trois inspecteurs se présentèrent chez nous et donnèrent l'ordre à mon père de les suivre […] Marcel essaya de les convaincre de laisser une chance à notre père de se cacher […] Il les supplia même de le prendre à la place de son père […] Mon père fut emmené et nous ne devions plus jamais le revoir". Le même jour, leur voisin de palier, Juif français, décoré de la Première Guerre mondiale, est arrêté dans l'après-midi par la police française. De ce jour date la détermination de Marcel Rajman de lutter par tous les moyens contre les occupants et de venger un père interné au camp de Drancy, puis déporté à Auschwitz en juin 1942.

Depuis le printemps 1941, la police arrête de jeunes militants juifs communistes dont la section, reconstituée en juillet 1940 au sein de la MOI, Main d'œuvre immigrée organisée par le parti communiste, a pour premier objectif de regrouper et d'informer. Depuis août 1940, le journal clandestin Unser Wort ("Notre parole") se préoccupe de regrouper, sous le nom de Solidarité, des comités d'immeubles, de rue, de quartier, afin d'aider les familles menacées. Marcel et Simon Rajman, mais aussi Jean Lemberger, Rita et Henri Kurchand… soit en tout une dizaine de jeunes Juifs âgés de 14 à 18 ans environ, tous originaires du XIe arrondissement, souvent orphelins des premières rafles, se rencontrent et réfléchissent aux premières actions de Résistance. Henri Kurchand, âgé de 15 ans, entraîne par exemple Simon, son cadet d'un an, en septembre 1941, à un premier lancer de tracts à la station de métro Château de Vincennes, à un moment d'affluence. Marcel participe déjà, depuis la fin du mois d'août semble-t-il, à ces actions. Des tracts sont glissés sous les portes, aux étages des immeubles, collés sur les murs ou lancés à la sortie des cinémas, avant le couvre-feu. Le groupe participe à des collectes d'argent et de vivres, en compagnie de jeunes non encore engagés dans ces premières actions clandestines, afin d'envoyer des colis aux internés et d'aider les familles juives décapitées et laissées sans ressources. Le 11 novembre 1941, ils organisent une manifestation en plein jour, rue de la Roquette, devant le monument aux morts des Juifs orientaux de la Première Guerre mondiale. Les actions s'amplifient au fil des semaines, ponctuées par des prises de paroles à l'intérieur de différents cinémas, comme le "Savoie", le "Triumph" ou le "Brunin". En 1942, ils commencent à casser les poteaux indicateurs de direction allemands et à dégrader les façades des permanences des partis collaborationnistes et des bureaux de recrutement pour la Relève.

Il est difficile à Marcel Rajman, engagé dans le deuxième détachement des FTP-MOI, de suivre strictement les règles impératives de la clandestinité. En dépit de "planques" successives, rue de Belleville, laissée par un ami parti en Allemagne au titre de la Relève, ou passage Stinville dans le XIIe arrondissement, Marcel Rajman doit émerger de la clandestinité, afin de subvenir aux besoins de sa mère et de son frère. Grâce à de faux papiers, il réussit, début 1943, à leur trouver une "planque" située au huitième étage du 68, boulevard Soult. Les deux frères se rencontrent régulièrement et s'inscrivent même au club de natation de Pantin, en dépit de l'interdiction faite aux Juifs de fréquenter les lieux publics, grâce au jeu de faux papiers d'identité possédés par Marcel, répondant au patronyme de Michel Rougemont. Marcel Rajman, à la différence de son frère, est un combattant permanent. Comme tel, il est pourvu de faux papiers d'identité et appointé entre 2.000 et 2.300 francs par mois. La première des actions armées de Marcel Rajman est datée de mars 1942, avec l'attaque à la grenade d'un Soldatenheim, place de la Nation. Le mois suivant, il participe, place d'Italie, à une attaque à la grenade, à deux reprises, contre un camion transportant des soldats allemands. En février 1943, son détachement attaque des batteries de DCA situées au pont de Levallois, puis, le mois suivant et à peu près au même endroit, lance des grenades sur un camion de la Wehrmacht. Dans les six premiers mois de 1943, les FTP-MOI parisiens ont perpétré 92 attentats, dont un peu moins de la moitié sont des attaques directes extrêmement risquées. Ainsi, le 3 juin 1943, à 17 heures, rue Mirabeau, Marcel Rajman et un jeune Juif autrichien, Ernest Blaukopf, attaquent à la grenade un autocar transportant des marins allemands. Lors du repli, Ernest Blaukopf, blessé, se tue avec sa dernière balle.

A l'été 1943, à la suite des revers des armées allemandes sur différents fronts, la question de la lutte armée se place, selon les directives du parti communiste, dans la perspective de l'insurrection nationale. A partir de juin, Marcel Rajman fait partie des quatre combattants d'élite composant l'Equipe spéciale, avec Leo Kneler, Spartaco Fontanot et Raymond Kojitski, alors âgé de 18 ans. Ils tentent notamment, le 28 juillet, un attentat à la grenade contre le commandant du Grand-Paris, le général von Schaumburg. C'est un échec. Ils ont plus de chance en abattant Julius Ritter, le 28 septembre 1943.

En 1943, Marcel Rajman est repéré par la police sous sa véritable identité. La filature a commencé le 27 juillet. Il est arrêté le 26 novembre 1943 à 13 heures 30, rue du Docteur-Brousse à Paris, par les policiers français qui le livrent aux Allemands. Son frère et sa mère sont appréhendés le lendemain, puis déportés. Condamné à mort le 18 février, devant le Tribunal allemand de la Seine, Marcel Rajman est fusillé au Mont-Valérien, le 21 février 1944 à l'âge de 20 ans. Un demi-siècle plus tard, le 20 février 1994, un square portant son nom est inauguré sur l'Esplanade de la Roquette, au 15, rue Merlin à Paris, dans ce XIe arrondissement où il aura passé la seconde moitié de sa courte existence.

Square Marcel-Rajman, Paris XIe