Cecily Lefort, agent du SOE britannique

Légende :

Cette femme courageuse, amie de la France, s’engage dans le SOE (Special operation executive) et apporte aide et formation à la Résistance française. Elle est arrêtée à Montélimar et mourra à Ravensbrück.

Genre : Image

Type : Photo

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Détails techniques :

Photographie argentique noir et blanc.

Date document : Sans date

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Montélimar

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Analyse média

Portrait de Cecily Lefort non daté. Les vêtements qu'elle porte sont vraisemblablement ceux de l'Armée de l'Air britannique.


Auteurs : Robert Serre

Contexte historique

Le SOE (Special Operation Executive) a été créé en juillet 1940 par le Premier ministre britannique Winston Churchill. « Mettez l’Europe à feu et à sang », s’exclame-t-il en inaugurant ce service, alors que son pays est le seul d’Europe encore épargné par les conquêtes territoriales du nazisme ou la sympathie marquée de leurs dirigeants envers Hitler. Cette initiative marque le renoncement à la guerre traditionnelle et l’engagement d’une autre forme de lutte contre l’ennemi nazi, par le sabotage, le harcèlement, les embuscades. Tout en préparant un renforcement de sa défense et, à long terme, un assaut en force sur le continent, Churchill veut continuer la lutte sur les pays européens envahis ou soumis, en y envoyant des agents qui multiplieront les opérations contre les occupants et impulseront la lutte des populations.

Il s’agit de recruter et de former dans la plus grande confidentialité des agents secrets que l’on introduira dans les pays occupés. Il est donc indispensable que le candidat parle sans trop d’accent la langue du pays où il sera envoyé. La formation des agents comprend un entraînement sportif très dur, l’apprentissage de l’utilisation des armes individuelles et des explosifs, ainsi que des méthodes d’exécution rapide et discrète d’un individu, le perfectionnement dans la lecture des cartes, l’apprentissage du saut en parachute à basse altitude. Ils sont initiés aux multiples détails de la vie quotidienne des Français de façon à éviter toute « gaffe » qui les ferait suspecter. Ils apprennent aussi à « sentir » un danger, à semer une filature, et surtout, pour le cas où ils seraient pris, à résister au moins deux jours à la torture, à la souffrance, aux ruses et à la brutalité des interrogatoires. On vérifie même que le futur agent ne rêve pas à haute voix en anglais. Dans le même temps, les postulants sont observés par des spécialistes qui évaluent leurs capacités psychologiques et prennent note d’éléments de leur passé pour leur fabriquer une vie réinventée autour de leur fausse identité.
Le SOE est divisé en autant de sections que de pays à infiltrer. Pour la France, la section « F » est, après plusieurs essais malheureux, placée à la fin de 1941 sous la direction de Maurice Buckmaster. Mais l’envoi en France de plusieurs hommes du SOE ne connaît pas la réussite espérée. Les Français sont encore sous le coup de la déroute et continuent majoritairement à placer leurs espoirs dans la politique du maréchal Pétain. Rares sont les manifestations de rébellion, limitées à l’impression et la diffusion clandestines de papillons, tracts et journaux. Le SOE, sans résultat, fait l’objet de critiques des Services secrets et des militaires britanniques, ainsi que De Gaulle qui déteste cet organisme échappant à son autorité. En 1942, les Français, de plus en plus souffrants de la pénurie, mécontents de l’occupant et de ses alliés de Vichy, témoin des rafles, des brutalités et des persécutions, furieux de l’occupation le 11 novembre 1942 de la zone jusqu’alors dite libre, commencent à pencher fort du côté de la Résistance. La création du STO en janvier 1943 fait franchir une haute marche à cette évolution. Elle complique aussi la tâche du SOE car les hommes jeunes se font rares sur le sol français, partis au travail en Allemagne ou cachés pour y échapper.
Ce sont ces éléments qui conduisent Churchill, qui persiste obstinément à défendre son idée, à décider le recrutement de femmes dans le SOE. Elles passeront plus facilement inaperçues. De façon à être traitées comme prisonnières de guerre en cas d’arrestation, elles seront administrativement incorporées, avec grade d’officier, dans un corps militaire. Leur mission est, plus que des activités d’espionnage ou de sabotage, de soutenir la résistance à l'ennemi nazi et d’établir un contact solide entre les différents réseaux, la Résistance française et Londres, de façon à préparer l’accueil des parachutages et des largages. Elle est donc faite de multiples et périlleux déplacements et de planques solitaires. Cependant les femmes à la hauteur sont rares, elles doivent être vives, intelligentes, courageuses, audacieuses et si possible séduisantes. C'est ainsi que le SOE recrute 39 femmes venant d'horizons multiples et de motivations diverses. Treize d’entre elles trouveront la mort.
L’une de ces femmes, Cecily Margot Lefort, fille d’un pasteur, est née à Londres le 30 avril 1900. Elle a six ans quand sa mère, désireuse de quitter Londres, l’amène à Paris. En 1924 ou 1925, elle épouse un médecin français, le docteur Alix Lefort, qui possède une maison sur la côte bretonne où, amateurs de nautisme, ils vont en vacances. Quand la guerre éclate, Cecily quitte, non sans difficulté, la France pour l’Angleterre. Plus tard, elle signalera la maison bretonne et sa crique comme propices aux débarquements et départs d'agents.
En 1941, Cécily rejoint le groupe féminin de l’Armée de l’Air britannique. L’année suivante, s’appuyant sur sa maîtrise de la langue française, elle s’offre pour servir avec la section France du SOE basé à Londres. Elle suit l'entraînement d’agent de liaison. La nuit du 16 au 17 juin 1943, un avion Lysander la dépose en France près d’Angers, avec trois autres agents. Elle est envoyée dans la zone sud où elle devient agent de liaison de Francis Cammaerts (« Roger »), chef du réseau Buckmaster-Jockey couvrant le sud-est de la France.

Déjà, le 23 juin 1943, les équipes spéciales du PPF de Saint-Étienne avaient raté l’arrestation à Montélimar de Pierre Raynaud (« Alain »), adjoint de Cammaerts, et de Cecily Lefort (« Alice »). Dans la soirée du 15 septembre 1943, des Allemands surgissent à Montélimar dans deux voitures chez le grainetier Raymond Daujat qui abrite Alice et Alain. Daujat saute par la fenêtre de la salle de bains donnant dans le jardin sur l’arrière de la maison et s’enfuit. Alain se cache quelques instants et, dans la confusion, réussit à bondir dans une voiture et à filer. Il va avertir Cammaerts qui est emmené dans un asile sûr. Mais Cécily Lefort est arrêtée dans la cave de la maison de Daujat. Selon certains auteurs, Cecily aurait été dénoncée par un membre retourné du réseau Carte, le pilote du Lysander. Emmenée à la Gestapo à Lyon, elle est soumise à un interrogatoire appuyé sur des tortures impitoyables, puis envoyée à la prison de Fresnes et déportée à Ravensbrück. Le transport du 31 janvier au 3 février 1944, le plus important convoi de femmes parti de Compiègne, en contient 959, essentiellement des Résistantes. Au cours du transport, Cecily, comme beaucoup de déportés, réussit à jeter par la lucarne du wagon un bref message à son mari gribouillé sur une feuille de carnet :
« Dr Alix Lefort, 28, av Bosquet, Paris 7e
Suis partie le 30 janvier pour l’Allemagne avec convoi de 400 femmes. Bonne santé, bon moral. Prévenir Croix-Rouge pour colis surtout chaussures et vêtements chauds nourriture »

Après la quarantaine, ces femmes seront en grande partie transférées dans des usines d’armement. Dans le KL de Ravensbrück, Cecily porte sur ses haillons de prisonnière le triangle rouge des « politiques » avec son numéro matricule 27 962. Elle va s’épuiser à travailler fort pendant des heures, souffrant de la malnutrition et de l'épuisement extrême. Elle meurt le 15 février 1945 après avoir été transférée au jugenlager. Rosane, qui partagea sa détention, écrit : « En mars 1945, Cécile Lefort, […] trop maigre, trop affaiblie par les mauvais jours de sa longue captivité, est emmenée à la chambre à gaz... »

Cecily Lefort a été honorée par le gouvernement de la France de la croix de guerre 1939-1945 à titre posthume. Elle est enregistrée sur le mémorial de Runnymede en Angleterre, et son nom figure sur le mémorial franco-britannique de Valençay, dans l’Indre, parmi ceux des 104 agents de la section F du SOE morts pour la France.


Auteurs : Robert Serre
Sources : Chosson H., Desgranges M., Lefort P., Drôme nord, terre d’asile et de révolte, Peuple Libre, Valence 1993. François Marcot (sous la direction de), Dictionnaire historique de la Résistance, éd Robert Laffont, coll Bouquins, 2006 (articles SOE, Roger-Jockey, Buckmaster). Entretiens de l’auteur avec Francis Cammaerts pendant son séjour à Grâne. Cdt Pons, De la Résistance à la Libération, rééd. 1987. Patrick Martin, La Résistance dans le département de la Drôme, mémoire DEA 1997 et thèse de doctorat de l’Université Paris IV Sorbonne, 2001. Burles, La Résistance et les maquis en Drôme-Sud. Fédération des Unités combattantes de la Résistance et des FFI de la Drôme, Pour l’amour de la France, Peuple Libre Valence 1989. Joseph La Picirella, Témoignages sur le Vercors, 1991. Nelly Gorce, Journal de Ravensbrück, Actes Sud, 1995. Livre-Mémorial…, I 175. Germaine Tillon, Ravensbrück, Seuil 1973. Thérèse Dumont, « Hommage à Cécily Lefort », in Basses-Alpes 39-45, n°9 décembre 2008. Rosane, Terre de cendres, Ravensbrück et Belsen 1943-1945, Paris, Les œuvres françaises, 1945. Siedentopf Monika, Parachutées en terre ennemie, Perrin 2008. René Ladet, Ils ont refusé de subir, 1987. Livre-Mémorial des déportés de France, I 175. Journal Officiel 113/1994. Paul Garcin, La Haine, Lugdunum, Paris 1946. Ruby, Résistance et contre-Résistance à Lyon et en Rhône-Alpes. Robert Serre, De la Drôme aux camps de la mort, les déportés politiques, résistants, otages, nés, résidant ou arrêtés dans la Drôme, éd. Peuple Libre / Notre Temps, avril 2006. Fondation pour la mémoire de la déportation, le Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression et dans certains cas par mesure de persécution 1940-1945, Paris, éditions Tirésias, 2004. tome I, 1 446 pages, tome II, 1 406 pages, tome III, 1 406 pages, tome IV, 1 282 pages.