Robert Desnos

Légende :

Robert Desnos, chez lui, 19 rue Mazarine à Paris (1942).

Genre : Image

Type : Portrait

Source : © Association des amis de Robert Desnos / Bibliothèque littéraire Jacques Doucet Droits réservés

Détails techniques :

Photographie analogique en noir et blanc

Date document : 1942

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Contexte historique

Né le 4 juillet 1900 à Paris, Robert Desnos, dont le père est mandataire aux Halles, passe son enfance dans le quartier Saint-Merri. Refusant de s'engager dans une carrière commerciale selon le voeu de son père, il arrête ses études en 1916 après le brevet élémentaire,  Il subvient à ses besoins par divers petits emplois. Devenu  secrétaire de Jean de Bonnefon (auteur et éditeur), il est pourvu d'une carte de lecteur à la Bibliothèque nationale, où il assouvit son immense appétit de lecture. Il fréquente des jeunes gens aux sympathies anarchisantes (Henri Jeanson, Armand Salacrou, Rirette Maîtrejean), et soumet ses premiers essais littéraires à Louis de Gonzague Frick.
Après son service militaire en 1920-1921, il s'intègre en 1922 au groupe animé par André Breton, Philippe Soupault, Louis Aragon, d'où va sortir, en 1924, le mouvement surréaliste. Il pratique alors aisément "l'écriture automatique" et fait preuve de capacités exceptionnelles lors des expériences de "sommeil hypnotique". André Breton, dans ses Entretiens, insiste sur le rôle inoubliable de Desnos à ce moment de l'aventure surréaliste : "Tous ceux qui ont assisté aux plongées journalières de Desnos dans ce qui était vraiment l'inconnu ont été emportés eux aussi dans une sorte de vertige." Après 1924, comme en témoignent les poèmes A la mystérieuse, Les Ténèbres ou les récits Deuil pour deuil, La liberté ou l'amour!, Desnos reste actif dans le groupe  mais refuse d'adhérer avec ses camarades au Parti communiste en 1927. Devenu journaliste à Paris-Soir, Paris-Matinal, Le Soir, il n'est plus assidu aux réunions du groupe. La rupture avec Breton intervient sans ménagement fin 1929. En 1930 Desnos publie Corps et biens, bilan de dix ans d'activité poétique.

A partir de 1933, il se consacre avec succès à l'activité radiophonique. Créateur fécond de slogans publicitaires, il réalise pour le Poste parisien et Radio Luxembourg des émissions restées célèbres comme La Grande complainte de Fantômas ou La Clef des songes. Il vit avec Youki, 19 rue Mazarine, où le couple reçoit écrivains, artistes, intellectuels du monde entier. Dans cette période, il est sensible à la montée du fascisme et de l'antisémitisme en Europe. Proche un moment du mouvement "Front commun" de Gaston Bergery, il s'en éloigne et, sans jamais se rallier au Parti communiste, il fait partie des "compagnons de route", en prêtant son concours aux Maisons de la culture, en donnant des critiques de disques aux revues Commune et Europe, ainsi qu'au journal dirigé par Aragon Ce soir. Il participe aux manifestations de l'Association internationale des écrivains pour la défense de la culture.

En 1939-1940, Desnos fait "la drôle de guerre" en Lorraine, comme sergent-fourrier : il fustige l'état d'esprit défaitiste qui sévit dans certains milieux intellectuels à Paris et affirme, dès la débâcle de juin 1940, ce qui va fonder son attitude pendant l'Occupation : "Les Allemands, dit-il dans une lettre à Youki du 7 juin 1940, instituent une nouvelle règle du jeu et la jouent rigidement. Maintenant, nous allons tricher." Le 3 juillet, il fait ainsi le point : "Il faut mettre les choses au pire. C'est-à-dire victoire d'Hitler et garder de côté nos espoirs, sûr : puissance de l'Angleterre ; possible : attitude des USA ; douteux : intervention des URSS. (...)  L'histoire d'un pays vivant  est faite de cela [les défaites] et quant aux pertes de territoires elles sont la rançon de l'activité et de la vie (...). Non ce qui importe c'est le degré de vassalité auquel nous serons réduits et partant de combien nos libertés seront hypothéquées et notre vie sociale diminuée."

Démobilisé le 20 août, il rentre à Paris où il se met en quête d'un emploi. Le 10 septembre il entre comme chef des informations au nouveau journal Aujourd'hui, commandité par Roger Capgras, et dont Henri Jeanson et Robert Perrier sont les rédacteurs en chef. L'espoir d'y maintenir une certaine liberté de parole est de courte durée : Henri Jeanson est arrêté en novembre pour avoir refusé de publier des articles favorables à la loi sur le "statut des Juifs" votée le 3 octobre par Vichy, ainsi qu'à l'entrevue de Montoire du 24 octobre. A partir du 3 décembre, Aujourd'hui tombe sous la coupe de l'occupant, avec comme directeur politique Georges Suarez. En accord avec Jeanson, Desnos reste au journal comme "chroniqueur littéraire". Il dispose ainsi d'un salaire fixe, d'un Ausweis professionnel qui lui permet de circuler la nuit et il capte des informations recueillies au journal avant censure. Désormais il peut "tricher". Toutefois, dans les articles qu'il publie, il n'abdique pas ses convictions : "Si je n'écris pas tout ce que je pense, je pense tout ce que j'écris", écrit-il à Mauriac le 3 janvier 1941. Ainsi dès le 14 septembre 1940, il a fustigé l'esprit de délation qui règne dans Paris par un article intitulé "J'irai le dire à la Kommandantur". Dans sa chronique du 3 mars 1941 il n'épargne pas Les Beaux draps de L.F.Céline qui le 7 mars suivant fait insérer par sommation d'huissier une protestation dans laquelle Desnos est accusé de mener "campagne philoyoutre" et d'être juif lui-même : "Que ne publie-t-il, M.Desnos, sa photo grandeur nature, face et profil, à la fin de tous ses articles ?". Le 16 septembre 1942, Desnos critique sans aménité la traduction des Poèmes d'Edgar Poe par Pierre Pascal, rédacteur du journal pronazi L'Appel. Le traducteur envoie une lettre vengeresse à Suarez et à Desnos. La signature de Desnos se réduit dans le journal jusqu'à ne plus couvrir, en 1943, que les critiques de disques. Il faut remarquer cependant que Suarez le maintient à Aujourd'hui jusqu'à son arrestation.

C'est dans le réseau de renseignement de l'Intelligence Service Z 165 dit "Agir", créé par Michel Hollard, que Desnos s'engage en juillet 1942 : une attestation datée du 4 mai 1954 par Vincent Hollard, fils de Michel Hollard et membre du réseau, précise que Desnos a été agent P2, du 25 juillet 1942 au 22 février 1944 . Par ailleurs une attestation d'appartenance aux Forces françaises combattantes,datée du 9 décembre 1949,  valide les services de Desnos du 1er avril 1943 au  8 juin 1945. La date d'engagement en juillet 1942 paraît devoir être prise en compte, Desnos ayant réagi fortement à la "rafle du Vel d'hiv". Outre les renseignements qu'il recueille au journal, Desnos fabrique de fausses pièces d'identité pour les membres du réseau et des Juifs en difficulté. En 1943, après le vote de la loi sur le STO, il abrite chez lui le jeune Alain Brieux qu'il met à contribution pour faire des tirages photographiques clandestins.

Malgré les  restrictions de toute sorte qui pèsent de plus en plus lourdement sur la vie quotidienne à Paris, Desnos met son ingéniosité à vivre bien : il ne renonce ni aux réunions amicales avec Georges Hugnet, Eluard, Picasso, Jean-Louis et Madeleine Barrault, Jeanson, Galtier-Boissière, Prévert, ni aux rendez-vous dans les petits restaurants de marché noir. Il ne cache pas ses opinions antinazi ce qui lui vaut des altercations publiques avec Alain Laubreaux, journaliste à Je suis partout. Par ailleurs, il retrouve ses préoccupations d'écrivain : il publie chez Gallimard en 1942 Fortunes, bilan poétique des années 30, et en 1943 un roman sur les ravages de la drogue Le vin est tiré.... Chez des éditeurs confidentiels il fait paraître en 1943 Etat de veille, puis en 1944 Le Bain avec Andromède et Contrée. Il s'agit là souvent de ce que l'on a  appelé de la littérature de "contrebande", qui laisse filtrer sous des dehors antiquisants ou anodins bien des allusions à la situation du moment.
En revanche, quand Desnos confie sous pseudonymes des poèmes à des revues de résistance, son ton se fait véhément et accusateur, par exemple dans les poèmes en argot. Le poète se tourne également  vers le cinéma pour lequel il accumule des projets de scenarios dont un seul est réalisé au cours de 1943 : Bonsoir, mesdames, bonsoir messieurs , qui évoque avec humour et fantaisie le monde de la radio (scenario et dialogues écrits en collaboration avec Henri Jeanson ; film réalisé par Roland Tual). Le film sort sur les écrans en février 1944, au moment où Desnos est arrêté.

A l'automne 1943, le réseau Agir, qui s'est étendu et vient d'identifier diverses bases de lancement en Normandie et dans la Somme, se trouve menacé par l'infiltration d'agents doubles. Par ailleurs, par l'intermédiaire de Jacques Prévert, Desnos rencontre André Verdet, membre du réseau Combat venu de la zone Sud pour constituer un groupe d'action immédiate en relation avec Degliame-Fouché. Desnos accepte d'apporter son concours à ce groupe, en parallèle avec son appartenance à Agir. Février 1944 voit le démantèlement des deux réseaux : Michel Hollard est arrêté le 5 février, Desnos le 22 et Verdet le 22 ou le 24. Se sachant menacé, Desnos avait déposé du matériel chez des amis qui devaient le brûler en cas d'arrestation comme il avait chargé Alain Brieux d'expurger sa bibliothèque de tout document dangereux.
Dans un agenda, Desnos a noté les étapes de son incarcération : "22 février, 10 heures, arrestation. Rue des Saussaies, puis Fresnes. 23 février, Fresnes, cellule 355. 4 mars interrogatoire. 5 mars idem. 20 mars départ midi-arrivée à 14 heures 30 à Compiègne." Youki a ajouté : "27 avril départ de Compiègne." Le trajet  du convoi de 1.700 hommes dont Desnos a fait partie, convoi dit parfois "Pucheu", car il aurait été déporté en représaille à la mort de Pucheu à Alger, a été plusieurs fois décrit . Arrivé le 3 juin 1944 à Flöha en Saxe, Desnos et son kommando sont évacués le 14 avril 1945 pour arriver à marches forcées à Terezin en Tchécoslovaquie le 8 mai. Epuisé, Desnos meurt du typhus le 8 juin à 5 heures 30 du matin, après avoir été assisté et reconnu par deux jeunes soignants tchèques, Josef Stuna et Alena Tesarova.

Dans Paris occupé, Desnos a été "ce libertaire qui pleure et qui rit", sans s'être jamais avoué vaincu. Sa lutte a pris diverses formes : dans le quotidien il a maintenu une vie aussi "libre" que possible, "trichant"sans abdiquer ses convictions. Dans le domaine intellectuel, qu'il s'agisse de journalisme ou de poésie, il a été de ceux qui se sont opposés au nazisme. Dans l'action clandestine à l'intérieur du réseau "Agir", il a fourni des renseignements, aidé des personnes en danger. A-t-il été jusqu'à commettre un attentat comme peut le laisser penser "Le Veilleur du Pont-au-change" ? "Moi aussi, est-il dit, j'ai abattu mon ennemi./Il est mort dans le ruisseau, l'Allemand d'Hitler anonyme et haï." S'agit-il ici d'une confidence de Desnos ou d'une simple pensée du "veilleur" ? La question reste à ce jour irrésolue.


Auteur : Marie-Claire Dumas in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004

Sources et bibliographie :
 
Fonds Desnos à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. 
Robert Desnos, Oeuvres, Gallimard, 1999, collection Quarto. 
Robert Desnos, Mines de rien, Le temps qu'il fait, 1985. 
Lettres inédites de Robert Desnos à Georges Gautré (1919-1928) et à Youki (1939-1940), dans collectif Robert Desnos pour l'an 2000, Paris, Gallimard, 2000. 
Youki Desnos, Les Confidences de Youki, Paris, Fayard, 1957, réédition 1999. 
Marie-Claire Dumas, Robert Desnos ou l'exploration des limites, Klincksieck, 1980. 
André Bessière, Destination Auschwitz avec Robert Desnos, Paris, L'Harmattan, 2001. 
Dominique Desanti, Robert Desnos, le roman d'une vie, Paris, Mercure de France, 1999. 
Collectif, Robert Desnos, Simoun,1956. 
Collectif, Desnos, Europe, 1972
Collectif, Robert Desnos, L'Herne, 1987, réédition 1999. 
Témoignages recueillis dans les ouvrages précécents. En particulier, pour la période 1939-1945, ceux de : André Bessière, Alain Brieux, Robert Laurence, Henri Pfihl, Blanche Picard, Josef Stuna, Alena Tesarova, André Verdet, etc. 
Attestations d'appartenance aux Forces Françaises Combattantes (1949), au réseau "Agir" par Vincent Hollard, dans le fonds Desnos de la BLJD. 
Louis Parrot, L'Intelligence en guerre, La Jeune Parque, 1945. 
Pierre Seghers, La Résistance et ses poètes, Seghers, 1974, réédition 2004.
Lucien Scheler, La Grande Espérance des poètes, Temps actuels, 1982.
George Martelli, L'homme qui a sauvé Londres, Julliard, 1960 [sur Michel Hollard et le réseau Agir]. 
Jean Lhôte, L'homme qui a sauvé Londres, film de 1974. 
Henri Noguères et Marcel Degliame-Fouché, Histoire de la Résistance en France, Paris, Laffont, 1972,tome 3. 
Gisèle Sapiro, La Guerre des écrivains, 1940-1953, Paris, Fayard, 1999. 
Michel Winock, Le Siècle des intellectuels, Paris, Seuil, 1997. 
Michel Winock, Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Seuil, 1996.