Témoignage d'Ernest Quirot sur les exécutions du 18 juillet 1944 à Signes

Légende :

Procès-verbal de la déposition d'Ernest Quirot concernant les exécutions du mois de juillet 1944 dans le cadre de l'enquête diligentée à la suite de la découverte du charnier de Signes, daté du 4 octobre 1944

Transcription du témoignage (3 premières pages de la déposition)

Genre : Image

Type : Témoignage

Source : © DAVCC- 27 P 244- Charnier de Signes : p-v d'enquête et exhumations Droits réservés

Détails techniques :

Document dactylographié de quatre pages (voir l'album).

Date document : 4 octobre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Cette déposition d’Ernest Quirot est une pièce de l’enquête menée par l’Inspecteur principal de Police mobile, Alfred Delahaye, à la suite de la découverte du charnier de Signes au mois de septembre 1944. On trouvera l'intégralité du témoignage d'Ernest Quirot dans l'album, ainsi que la déposition complémentaire de Madeleine Baudoin et le rapport du capitaine de gendarmerie Gamard.

Dans son témoignage, recueilli début octobre 1944, Ernest Quirot, qui a échappé aux exécutions de Signes, relate les conditions de son arrestation au mois de juin 1944 ainsi que les interrogatoires, accompagnés de tortures, dont il a été victime au siège de la Gestapo de Marseille (425 rue-Paradis). Il explique ensuite avoir été détenu à la prison des Petites Baumettes, à partir du 29 juin et jusqu’à la journée du 18 juillet 1944, dont il retrace les événements.

Le 18 juillet, vers 15 heures, Quirot et ses compagnons sont extraits de leurs cellules après un appel individuel, puis rassemblés dans la cour de la prison, avant d’être transportés, à bord d’un car, en direction d’Aubagne et jusqu’à la route de Cuges.

Ernest Quirot décrit ensuite la scène de ce qu’il qualifie comme « une sorte de conseil de guerre » : au milieu d’une clairière, près du lieu-dit « ferme de Siamp », des officiers allemands en uniforme sont installés autour d’une table, couverte de papiers et de dossiers sur les victimes. À l’aide d’un interprète, et après un simulacre de jugement où chaque homme est interrogé, l’officier fait savoir aux « prévenus » qu’ils sont tous condamnés à mort, à l’exception de Quirot, pour lequel l’enquête doit être approfondie. Ernest Quirot, qui, pour sa défense, a clamé son innocence et avancé son attitude en faveur de la Collaboration - qui lui aurait valu d’être expulsé d’Afrique du Nord - est alors écarté du groupe des « condamnés à mort », puis reconduit vers le car.

Bien qu’il n’ait pas assisté à l’exécution des victimes du 18 juillet 1944, le témoignage de Quirot nous renseigne sur l’attitude des Allemands dans le contexte de l’été 1944 (non-respect des règles de la guerre – simulacre de jugement – exécutions sommaires de résistants).

Il livre aussi un récit des derniers moments des fusillés de Signes et de leur attitude. Il indique ainsi qu’André Aune, afin de redonner du courage aux autres condamnés, commença à entonner La Marseillaise, et que l’hymne fut repris par l’ensemble des victimes.

À l’issue de l’enquête, l’Inspecteur Alfred Delahaye adresse à sa hiérarchie un rapport, rendant compte du résultat de ses investigations et daté du 25 octobre 1944.

Ce rapport restitue les faits, reconstitués grâce aux différentes dépositions des témoins, expose les résultats de l’enquête et fait le point sur l’identification des victimes de Signes (à la remise du rapport, 32 personnes ont été identifiées sur les 38 victimes découvertes). Il présente également les différents témoins auditionnés, dont Ernest Quirot, dans le cadre de l’enquête.

Le témoignage de Quirot peut ainsi être complété par les récits d’autres témoins, nombreux à avoir aperçu le car qui transportait les victimes, ou encore celui de Maurice Percivalle, bûcheron domicilié à Cuges, qui assista à la scène précédant la fusillade dans le vallon de Signes et qui, par la suite, permit la découverte du charnier et des deux fosses.

En effet, Maurice Percivalle indique avoir vu, le 19 juillet 1944, vers 18 heures, « dans un petit vallon, appelé le vallon des Marseillais, situé en contre-bas de la route, à 800 mètres environ de celle-ci, un groupe de civils encadrés de militaires allemands. (…)

À ce moment-là, un soldat s’est avancé vers moi et me menaçant de sa mitraillette et m’a ordonné de me retirer en me disant « Partir ou Kapout ». Je me suis alors dirigé vers la route et j’avais à peine fait environ quatre-vingt mètres lorsque j’ai entendu une fusillade. J’ai compris qu’on venait de passer par les armes ces pauvres malheureux.

En arrivant sur la route, j’ai vu un car gris, en service dans l’armée allemande, arrêté en bordure de la route (…). »

Charles Gantelme, cultivateur habitant à Camp, indique également qu’il a vu ce car gris foncé, qui transportait des civils français, se diriger vers Signes le 19 juillet vers 17 heures, puis le même car, mais « vide », repartir en direction de Marseille vers 19 heures, et enfin, vers 20 heures, « un groupe de militaires allemands, une dizaine environ, armés de pelles et de pioches, tout suant qui revenaient vraisemblablement du lieu d’exécution ».

On peut remarquer qu’Ernest Quirot indique la date du 18 juillet comme celle des premières exécutions de Signes (date qui sera finalement retenue comme « officielle »), mais que les autres témoins affirment avoir aperçu le car gris, venu de Marseille, le 19 juillet 1944, date également indiquée par l’inspecteur Delahaye dans son rapport.

Enfin, si une « rumeur publique » circule localement, durant l’été, sur les exécutions de juillet (plusieurs personnes ayant été témoins du passage du car et de son retour « à vide »), aucune ne mentionne la seconde vague d’exécutions, au mois d’août 1944. Maurice Percivalle souligne d’ailleurs sa surprise de découvrir, lorsqu’il retourne sur les lieux le 15 septembre, une seconde fosse, contenant elle aussi des corps.

La date du 12 août, quant à elle, est déterminée grâce au rapport du médecin légiste, aux témoignages relatifs à la date du départ des Allemands du camp et à celui du compagnon de cellule de Jean Libert, exécuté à Signes et dont le corps est retrouvé dans la seconde fosse. Le 12 août 1944 dans la matinée, le codétenu de Jean Libert est transféré dans les locaux de la Gestapo, rue-Paradis, et, lorsqu’il revint le soir même, Jean Libert n’était plus là. De plus, Jean Libert tenait une éphéméride sur le mur de sa cellule, éphéméride interrompue le 11 août 1944.


Laetitia Vion