Premier numéro de La France de Marseille et du Sud-Est, 10 octobre 1944

Légende :

La France de Marseille et du Sud-Est, 10 octobre 1944, première édition libre

Genre : Image

Type : Journal

Source : © AD Bouches-du-Rhône - PHI 417-1 Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal.

Date document : 10 octobre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Le 10 octobre 1944 sort le premier numéro de La France de Marseille et du Sud-Est qui se présente comme un « journal républicain du matin ». Une petite manchette est consacrée aux opérations militaires, mais les titres qui sont mis en valeur sont ceux de deux tribunes qui veulent donner la tonalité du nouveau quotidien. Sous le titre « Fraternité », Louis Girard attire l'attention des lecteurs sur la difficile réadaptation de ceux qui reviendront, ceux qu'il appelle « l'armée du retour ». Les souffrances auront produit des séquelles durables : «Il pourra rester dans l'âme des déplantés, qui furent pour la plupart des persécutés, le souvenir, le poids des souffrances injustement subies et une rancœur dont leur entourage pourra percevoir les effets.» Dans le contexte de pénurie qui frappe la population, ceux qui ont survécu ne pourront compter que sur l'empathie de leurs concitoyens : « Trop souvent, les moyens nous manqueront d'être secourables effectivement, mais si nous sommes matériellement dépourvus, nous sommes riches spirituellement. Si nous le voulons, cette richesse-là peut faire de grandes choses. » Ce réalisme tranche avec le lyrisme des articles habituellement consacrés « aux absents ».

La seconde tribune, qui tient lieu d'éditorial, est plus politique et présente aux lecteurs le journal sous le titre « Ordre et Progrès ». L'introduction et la première partie de l'article tiennent à rappeler que le journal n'est pas une création ex-nihilo. Il est la continuité de L'Actualité, qui, « dés 1941, avait servi de couvert à de multiples activités de résistance. » L'équipe de L' Actualité a donc fait reparaître le journal après la Libération. L'interdiction du journal par le commissaire régional de la République, qui entérinait la liste établie par le Comité départemental de Libération apparaît comme l'application administrative d'un principe : seuls les journaux clandestins étaient autorisés à paraître. Le Comité régional de la Presse et de l'Information (CRPI) n'a pas voulu faire d'exception, tout en reconnaissant l'engagement gaulliste de L'Actualité. L'équipe de rédaction était autorisée « à l'unanimité » par le CRPI à poursuivre leur activité mais sous un nouveau titre, La France de Marseille et du Sud-Est. Ce rappel a pour but de rassurer les lecteurs de L'Actualité qui auraient pu créditer le CRPI de sectarisme ou d'arbitraire. Le CRPI n'a fait qu'appliquer strictement des principes devant lesquels s'incline la rédaction, ce qui est logique pour un journal prônant l'ordre.

Dans la seconde partie, le journal définit son lectorat : « D'indiscutables républicains et de bons Français qui ne sont dans l'obédience d'aucun parti politique, ni dans les rangs d'aucun mouvement. » Ces citoyens exemplaires sont des démocrates soucieux de progrès social, autant attachés à la grandeur de la France qu'à l'ordre nécessaire à la réalisation de ces objectifs. La fin de l'article essaie d'expliciter l'audacieux slogan de la rédaction : « le Progrès, c'est l'Ordre en mouvement. » On retrouve dans cet éditorial les thèmes gaullistes.

La filiation avec L'Actualité se retrouve dans l'hommage à Guy de Combaud-Roquebrune, tué au combat le 4 septembre 1944. Guy de Combaud-Roquebrune était le co-fondateur avec Emilien Lieutaud de l'Actualité. En pied de page, un article rend compte de la conférence de presse du commissaire du gouvernement, consacrée à l'épuration.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

La France de Marseille et du Sud-Est est le dernier grand quotidien marseillais du matin à recevoir l'autorisation de paraître. Le 3 septembre 1944, le commissaire régional de la République autorise la parution de trois quotidiens nettement marqués à gauche : Le Provençal, journal qui affirmait une sensibilité socialiste, La Marseillaise, organe du Front national, et Rouge-Midi, quotidien communiste.
Le courant chrétien de la Résistance doit attendre le 9 septembre pour pouvoir publier Le Méridional et son édition du soir, Dernière Heure. Les gaullistes ne reçoivent pas l'autorisation de poursuivre la publication de L'Actualité, malgré son interdiction par l'État français en octobre 1941 car l'ordonnance sur la presse du 22 juin 1944 interdit tous les titres ayant continué à paraître pendant l'Occupation. Les cofondateurs de L'Actualité, Emilien Lieutaud et Guy de Combaud-Roquebrune sont d'authentiques résistants, mais aucune dérogation n'est accordée au journal. Cependant, le comité régional de Presse et d'Information autorise les animateurs à faire paraître un autre titre. Une partie du comité départemental de Libération, en particulier la composante communiste, manifestait une certaine réserve à l'égard d'une publication gaulliste. En revanche, le comité régional de Presse et d'Information, le délégué régional à l'Information, Gaston Berger, et les représentants du MRP défendaient la parution du nouveau journal. Le tirage de La France de Marseille et du Sud Est reste modeste comparé à celui des autres quotidiens du matin, avec un tirage à 18 000 exemplaires en juillet 1945.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.

La renaissance de la presse à la Libération, Agence France-presse, BNF. 

Patrick Eveno, La presse en France depuis la Libération, La presse à la Une, BNF.