Propagande d'une Marseillaise en faveur du vote des femmes, janvier 1945

Légende :

Retranscription partielle d'une lettre datée du 3 janvier 1945 par les Renseignements Généraux de Marseille, 5 janvier 1945

Genre : Image

Type : Note des RG

Source : © AD des Bouches-du-Rhône - 149 W 120 Droits réservés

Détails techniques :

Document dactylographié d'une page.

Date document : 5 janvier 1945

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Dans l'extrait retranscrit par les Renseignements Généraux de Marseille, une Marseillaise, Berthe, déplore le manque d'enthousiasme des femmes de son entourage à s'inscrire sur les listes électorales. « J'ai dû faire de la propagande autour de moi ». Elle présente l'accès à la citoyenneté politique comme un devoir, et non un droit. Bien qu'elle évite tout discours féministe, elle se montre très attachée au droit nouveau que l'ordonnance du 21 avril 1944 accorde aux femmes. Elle invite indirectement sa correspondante rémoise à s'inscrire, si elle ne l'a déjà fait, en mettant en parallèle l'indifférence des femmes de son milieu et l'activisme du Parti communiste, qui incite les citoyennes à s'inscrire sur les listes électorales : « Dans le Parti communiste, on n'est pas obligé de stimuler le zèle ! ». Toutefois, elle craint que son activisme ne paraisse excessif à sa correspondante et s'en excuse : « Vous devez me trouver bien combative ! ». La légitimité de l'engagement de femmes en politique ne va pas de soi. Berthe louvoie entre sa conviction que les femmes doivent voter, puisqu'elles en ont maintenant le droit, et la crainte de faire preuve d'une  passion qui paraîtrait déplacée et contraire à la place que la société assigne aux femmes.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Dans ses Mémoires de guerre, le général de Gaulle consacre deux phrases à ce qui a constitué l'élément le plus novateur de l'ordonnance du 21 avril 1944 : « En outre, les droits de vote et d'éligibilité étaient attribués aux femmes. L'ordonnance du 21 avril 1944 réalisait cette vaste réforme, mettant un terme à des controverses qui duraient depuis cinquante ans. » En 1901 puis en 1911, René Viviani et Ferdinand Buisson déposaient à la Chambre des députés des propositions de loi accordant partiellement ou totalement le droit de vote aux femmes.

Le 8 mai 1919, un débat a lieu à la Chambre des députés sur l'octroi du droit de vote aux femmes, soutenu avec enthousiasme par Aristide Briand. Une très large majorité, 344 voix contre 97, accorde aux femmes l'intégralité des droits politiques. Le Sénat, après trois ans d'atermoiements qui lui ont permis de produire un florilège d'arguments misogynes, repousse le texte par 156 voix contre 134. La Chambre, en 1925, 1932 et 1935, renouvelle son vote. Le Sénat réussit à enterrer le projet jusqu'à la guerre. Le débat rebondit à Alger au sein de l'Assemblée consultative provisoire. Dix débats sur les 27 qui eurent lieu entre le 23 décembre 1943 et le 24 mars 1944 sont consacrés partiellement ou entièrement au vote des femmes. Les radicaux, en la personne de Paul Giacobbi, président de la commission de Réforme de l'Etat, essaient d'enterrer à nouveau la réforme, mais paraissent incarner des combats d'arrière-garde et sont mis en échec par la force de conviction de Louis Vallon et de Ferdinand Grenier. L'amendement proposé par ce dernier est adopté par 51 voix contre 16, et devient l'article 17 de l'ordonnance du 21 avril 1944 : « Les femmes sont électrices et éligibles au même titre que les hommes ».

Le Gouvernement Provisoire de la République Française faisait de la tenue d'élections au suffrage universel la manifestation de la démocratie retrouvée. Il fallait pour cela établir de nouvelles listes électorales qui tenaient compte des mouvements de population, du retrait des droits civiques aux personnes susceptibles d'être frappées de dégradation nationale et de l'inscription des nouvelles électrices. La révision des listes électorales commence à partir du 6 décembre 1944. Elle devait se clore le 31 décembre, mais devant les difficultés matérielles, elle est prolongée jusqu'au 20 janvier 1945. Les formalités sont réduites au minimum : production d'une pièce d'identité (livret de famille ou carte d'identité) et d'une attestation de domicile. Les femmes furent invitées par voie de presse et d'affiche à s'inscrire.

Mais l'hiver 1944-1945 est surtout marqué pour la population par les restrictions, en particulier alimentaires. Dès sa prise de fonction, le commissaire régional de la République Raymond Aubrac est conscient de la situation particulièrement difficile des centres urbains, et en particulier de Marseille. Les mesures prises pour réprimer le marché noir et rationaliser la distribution n'endiguent pas le mécontentement croissant de la population. Paul Ramadier, ministre du Ravitaillement, se rend le 1er janvier 1945 à Marseille, et rencontre à la préfecture les autorités régionales et locales ainsi que « le président du syndicat des ménagères », sans pouvoir répondre aux attentes de la population, ce qui lui vaudra le surnom de « Ramasse-miettes ». Raymond Aubrac note dans un rapport de la mi-janvier 1945 que le ravitaillement de 1944 est inférieur à celui de 1943. Dans ce contexte, beaucoup de femmes se préoccupent en priorité de nourrir leur famille.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources : 

Maurice Agulhon, André Nouschi, Ralph Schor, La France de 1940 à nos jours, Paris, Nathan Université, 1995.

Maïté Albistur, Daniel Armogathe, Histoire du féminisme français, Tome 2, Paris, Des Femmes, 1977.

Christine Bard, Les femmes dans la société française au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2001.

Isabelle Debillly, Claude Martinaud, Madeleine Roux, Aux urnes citoyennes, Marseille CRDP, 1995.

Hélène Echinard, Marseillaises, le vote libérateur, plaquette PAE, Lycée Saint-Charles, 1995.

Jean-Marie Guillon, Philippe Buton, Les pouvoirs en France à la Libération, Paris, Belin, 1994.

Yvonne Knibiehler, Catherine Marand-Fouquet, Régine Goutalier, Eliane Richard Eliane (sous la direction de), Marseillaises - Les femmes et la ville, Paris, Côté Femmes, 1993.

Robert Mencherini, La Libération, et les années tricolores (1944-1947), Midi rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.

Sylvie Orsoni, La Libération du côté des femmes, Dossier pédagogique n° 8, Archives départementales des Bouches-du-Rhône.