Mise en œuvre de l'épuration des entreprises, 28 octobre 1944

Légende :

Circulaire du ministre de la Production industrielle, Robert Lacoste, aux Commissaires régionaux de la République (CRR) pour qu'ils mettent en place l'épuration des entreprises, 28 octobre 1944

Genre : Image

Type : Circulaire

Source : © AD des Bouches-du-Rhône 9 W 3 Droits réservés

Détails techniques :

Document dactylographié sur papier pelure.

Date document : 28 octobre 1944

Lieu : France

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Analyse média

Robert Lacoste donne aux Commissaires régionaux de la République (CRR) des orientations pour composer les Comités régionaux interprofessionnels d'épuration des entreprises (CRIE) prévus par l'ordonnance du 16 octobre 1944.
Deux impératifs s'imposent aux CRR : s'assurer de la représentativité des membres des CRIE en consultant syndicats et organisations professionnelles, éliminer toute personne qui n'aurait pas manifesté son attachement aux valeurs républicaines. La CGT et la CFTC sont ainsi à privilégier dans la représentation des salariés. Le deuxième impératif, « l'attitude patriotique des divers candidats », est particulièrement important lorsqu'il faut désigner les représentants patronaux et des Chambres de commerce car l'épuration des entreprises mettait en cause les chefs d'entreprises et les institutions patronales.

Les deux derniers paragraphes enjoignent aux CRR de mettre au plus vite en place les CRIE. L'insistance de Robert Lacoste s'explique par le fait que le Parti communiste, ainsi que de nombreuses organisations de Résistance, considéraient l'épuration économique comme condition de la reconstruction du pays sur des bases plus justes.

La traduction dans les faits de cette circulaire se réalise pour les Bouches-du-Rhône le 28 février 1945 lorsque le CRR Paul Haag prend un arrêté créant le Comité régional interprofessionnel d'épuration.
Le CRIE de Marseille entre en fonction le 20 juin 1945. Il n'est toutefois pas certain que cela corresponde à ce que le ministre avait à l'esprit lorsqu'il écrivit : « Il ne vous échappera pas que la mise en œuvre de l'épuration dans les entreprises doit être opérée sans tarder. »


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Le programme du CNR promet « une démocratie économique nouvelle. » Les mouvements de résistance et les organisations syndicales - au premier rang desquelles la CGT - réclament une épuration économique vigoureuse pour sanctionner un patronat jugé globalement réactionnaire et soupçonné d'avoir voulu profiter des malheurs du pays pour revenir sur les conquêtes sociales du Front populaire, sans négliger les possiblités d'enrichissement personnel.

Avant même l'ordonnance du 16 octobre 1944, une épuration économique est appliquée à Marseille. Les comités ouvriers de gestion se substituent aux patrons et cadres dirigeants de grandes entreprises, arrêtés ou en fuite. Raymond Aubrac, nommé Commissaire régional de la République par le général de Gaulle, en réquisitionnant entre septembre et début octobre 1944 quinze grandes entreprises, soutient de fait une nouvelle gestion des entreprises.

L'ordonnance du 16 octobre 1944 organise l'épuration des entreprises. L'exposé des motifs explique que la reconstruction du pays peut être entravée par « la présence dans les entreprises d'éléments malsains et indésirables : patrons, directeurs ou administrateurs, personnel de maîtrise, employés et ouvriers qui ont soit favorisé les entreprises de l'ennemi, soit entravé la résistance des Français ». La collaboration économique est directement concernée, mais l'ordonnance ne vise pas à provoquer les réformes structurelles que permettaient les réquisitions opérées par Raymond Aubrac.

Le ton très volontariste de la circulaire ministérielle ne doit pas cacher que la politique menée par Raymond Aubrac dans la région marseillaise est jugée trop audacieuse. Dès le 5 octobre 1944, dans un télégramme à Raymond Aubrac, Robert Lacoste rejette implicitement le recours aux réquisitions. Le ministre des Travaux publics et des Transports, René Mayer, alerte le ministre de l'Intérieur Adrien Tixier sur la poursuite des réquisitions qu'opère Raymond Aubrac. La divergence sur les finalités de l'épuration économique - sanction ou vecteur de changement structurel - aboutit début janvier 1945 au limogeage de Raymond Aubrac.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Pierre Guiral, La Libération de Marseille, Paris, Hachette littérature, 1974, p. 141.

Robert Mencherini, La Libération et les années Tricolores (1944-197). Midi rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.

Henry Rousso, « L'épuration en France, une histoire inachevée », in Vingtième siècle, PFNSP, n° 33, 1992, pp. 78-105.