Réprobation du traitement infligé à un détenu membre du PPF, décembre 1944

Légende :

Transcription par les Renseignements Généraux de Marseille d'une lettre adressée par une Marseillaise à sa sœur biterroise, 14 décembre 1944

Genre : Image

Type : Note des RG

Source : © AD des B-d-Rhône, 149 W 128 Droits réservés

Détails techniques :

Document dactylographié d'une page.

Date document : 14 décembre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Ce document est la transcription partielle d'une lettre interceptée par les Renseignements Généraux de Marseille. La lettre, postée le 14 décembre 1944, a été saisie le 15, ouverte puis acheminée à sa destinataire après transcription du passage présentant un intérêt politique suffisant.

Dans la première partie du document, la rédactrice, Cécile, s'indigne du sort fait à un ami. Son mari et elle ne comprennent pas pourquoi un couple de leur entourage est interné depuis le 27 août 1944. Le couple, arrêté au moment où les principaux combats pour la libération de Marseille s'achevaient, se trouve accusé d'atteinte à la sécurité de l'État.
Le document ne permet pas de savoir quels faits exacts sont reprochés au couple. L'appartenance du mari au Parti Populaire français (PPF) le fait tomber sous le coup de l'ordonnance du 26 août 1944 définissant l'indignité nationale. Pour la rédactrice de la lettre, cette appartenance à un parti qui incarne à Marseille le collaborationnisme et s'est signalé par sa participation active à la répression de la Résistance, ne constitue en rien une justification à des poursuites contre des personnes qu'elle juge tout à fait estimables. Il est évident pour elle que le couple incarcéré est purement victime.
Alors que la majorité de la population marseillaise souffre de graves restrictions, Cécile s'indigne que les repas ne soient pas fournis par la prison. Elle s'offusque des conditions de visite : « Pour les voir, c'est la double grille avec le gardien entre les deux, comme les assassins quoi ! ».  Les exactions commises par les membres du PPF, bien connues des Marseillais, ne semblent pas la troubler. L'empathie à l'égard de personnes de son milieu est tout aussi forte que son aversion pour les nouvelles autorités issues de la Résistance qui sont condamnées sans appel et frappées d'illégitimité : « Les nouveaux venus au pouvoir veulent tout détruire, tout gouverner ».

Le passage retranscrit se termine sur l'évocation des problèmes de ravitaillement. Il mélange réalité - le mécontentement de la population devant la persistance des pénuries - et fantasme - les pénuries sont artificiellement créées.

Ce passage est un témoignage de la partie de la population qui se reconnaissait en toute bonne conscience dans le régime de Vichy, voire la Collaboration et qui voit avec amertume et inquiétude l'épuration.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Le PPF a été à Marseille le parti le plus en pointe dans la Collaboration. Dirigé de façon tonitruante par Simon Sabiani, il mêle militants d'extrême droite et gangsters dont les fameux Carbone et Spirito. Le 14 juillet 1942, des coups de feu tirés de l'immeuble du PPF tuent deux manifestantes et blessent six autres personnes. Des militants du PPF, parfois sous l'uniforme allemand, participent à des opérations contre la Résistance conjointement avec la Gestapo en particulier en juillet-août 1944. Lors de perquisitions, les militants PPF n'hésitent pas à dépouiller leurs victimes. Politique et banditisme s'entremêlent. Si tous les militants du PPF ne se sont pas rendus coupables de crimes, on est loin de la respectabilité qui semble aller de soi pour la rédactrice de la lettre.

En décembre 1944, Marseille est libérée depuis plus de deux mois. Le Commissaire régional de la République et le préfet représentent l'État et mettent en place les institutions chargées de rétablir l'ordre républicain, cours de justice spéciales, chambres civiques chargées de juger les faits de collaboration. Ces nouvelles autorités doivent composer avec les organismes issus de la Résistance qui ne veulent pas être dépossédés de tout pouvoir de décision. Ce qui produit des tensions et suscite l'inquiétude de la population qui a soif d'ordre. Elles doivent également faire face à une situation matérielle désastreuse en particulier dans le domaine du ravitaillement. Malgré leurs efforts, le sentiment de chaos, de désordre issu des premiers jours de la Libération demeure. Les partisans du régime de Vichy n'acceptent pas leur défaite et attisent les peurs en dressant un tableau apocalyptique de la situation.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Robert Mencherini, Les années de crise, 1939-1940. Midi Rouge, ombres et lumières, tome 1, Paris, Syllepse, 2004.

Robert Mencherini, Vichy en Provence. Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2, Paris, Syllepse, 2009. 

Robert Mencherini, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3, Paris, Syllepse, 2011.

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.